Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Analise élémentaire, article 5

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ANALISE ÉLÉMENTAIRE.


Démonstration du principe qui sert de fondement à
la théorie des équations ;
Par M. du Bourguet, professeur de mathématiques spéciales
au lycée impérial.
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Toute la théorie des équations algébriques repose sur le théorème suivant :

Une fonction algébrique, rationnelle et entière d’une seule variable étant donnée ; parmi le nombre infini de valeurs, réelles ou imaginaires, que l’on peut donner à la variable, il en existe toujours une, au moins, dont la substitution rend nul le polynôme proposé ; ou, en d’autres termes, toute équation algébrique d’un degré quelconque, à une seule inconnue, admet toujours une racine, au moins.

Quelque fondamental que soit ce principe, plusieurs auteurs d’elémens d’algèbre ont négligé de le démontrer, ou ne l’ont fait que bien longtemps après avoir développé la théorie des équations : ce qui est contraire à la méthode et à l’ordre qui doit régner dans un livre élémentaire où les théories qu’on développe ne doivent poser que sur des principes déjà démontrés. Cette sorte d’interversion, dans l’ordre des propositions, a été considérée comme nécessaire, par les auteurs en question, parce qu’ils ont jugé le principe dont il s’agit ici d’une démonstration trop difficile pour de simples élémens. Je crois donc faire une chose utile en ramenant la démonstration de ce principe aux notions élémentaires que doivent déjà avoir acquises les élèves qui parviennent à la théorie générale des équations.

Soit le polynôme du degré

dans lequel les coefficiens sont des quantités réelles finies quelconques, et où représente une variable. Puisque ce polynôme change de valeur, à chaque valeur qu’on attribue à  ; il peut lui-même être considéré comme une variable. Représentant donc cette variable par on aura l’équation

qui établit entre les variables et une relation en vertu de laquelle chacune d’elles est déterminée par l’autre.

De même donc que, dans l’équation (2), se trouve exprimée en fonction de et des coefficiens, il doit y avoir réciproquement une expression de en fonction de et des mêmes coefficiens ; de manière qu’on doit avoir

désignant une fonction qui peut être inconnue, mais qui, dans tous les cas, doit être absolument déterminée. Cette dernière équation n’est, au fond, qu’une transformation de l’équation (2) ; et, si l’on en contestait l’existence, il faudrait admettre qu’il y a des valeurs de indépendantes de celles de et réciproquement, ce qui serait contradictoire avec l’équation (2), et par conséquent absurde.[1]

Cela posé, il est clair que si, dans l’équation (3), on fait on ne pourra avoir ni  ; car, dans le premier cas, l’équation (2) donnerait et, dans le second, elle donnerait , résultats contraires à l’hypothèse ; donc, lorsqu’on pose doit avoir une valeur, réelle ou imaginaire, différente de zéro et de l’infini, telle que

qui satisfasse à l’équation

à laquelle se réduit l’équaton (2) dans la même hypothèse de  ; donc il y a, au moins, une fonction des coefficiens de cette dernière équation qui, substituée dans son premier membre, à la place de , réduit ce premier membre à zéro. C’est-là ce qu’il s’agissait de démontrer.

  1. Si l’équation (3) pouvait ne pas exister, c’est-à-dire, si pouvait n’être pas fonction de  ; alors, en représentant par une des valeurs de qui ne dépendraient pas de celles de , le polynôme déterminé

    devrait, en vertu de l’équation (2) être à la fois égal à toutes les valeurs qu’on voudrait donner à  ; ce qui est absurde.