Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 06/Géométrie élémentaire, article 10

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GÉOMÉTRIE TRANSCENDANTE.

Théorie géométrique de la cycloïde,

Par M. du Bourguet, ancien capitaine de vaisseau,
Chevalier de l’Ordre royal et militaire de St-Louis,
professeur de mathématiques spéciales au collège de
Louis-le-Grand.
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Si les géomètres n’avaient jamais en vue dans leurs recherches que les applications pratiques dont elles peuvent être susceptibles, ils mettraient, sans doute, beaucoup moins de soin et de prix à obtenir, sous forme finie, une multitude d’expressions que l’on peut aisément avoir en séries très-convergentes, et propres conséquemment à fournir des résultats incomparablement plus approchés que, dans aucun cas, l’état physique des choses ne le réclame, et même ne le permet. De quelle utilité pratique, par exemple, pourrait être la solution rigoureuse du problème de la rectification de la circonférence ; aujourd’hui que nos séries nous ont fourni au delà des premiers chiffres décimaux du rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre ; lorsque sur-tout on considère que les premiers de ces chiffres sont plus que suffisans pour déterminer, à moins de l’épaisseur d’un cheveu près, la circonférence d’un cercle qui embrasserait tout notre système planétaire. À quoi l’on peut ajouter encore que les expressions finies elles-mêmes, dès qu’elles ne sont point à la fois algébriques et rationnelles, ne sont susceptibles, tout comme les séries, que d’évaluation approchée.

Toutefois, on ne saurait disconvenir que, du moins aux yeux des théoriciens, les expressions sous forme finie ne soient plus satisfaisantes que les séries illimitées, quelque convergentes qu’on les suppose d’ailleurs. Outre que ces sortes d’expressions s’introduisent et se combinent plus facilement dans les calculs, elles sont souvent susceptibles d’un énoncé concis et élégant ; et c’est sans doute ce qui les fait rechercher encore, lors même qu’elles ne sont point susceptibles d’évaluation immédiate, ainsi qu’il arrive pour la formule de Bernoulli On peut remarquer enfin que la découverte de l’expression finie d’une quantité, déjà connue par les séries, est un pas de plus dans la solution de l’important et difficile problème de la sommation des suites.

Par ces motifs, nous osons espérer que les géomètres voudront bien accueillir, avec quelque intérêt et bienveillance, l’opuscule que l’on va lire. Il présente, dans un cadre peu étendu, un système complet de formules finies pour la rectification et la quadrature indéfinie des arcs et segmens de cycloïdes, pour la quadrature des surfaces et la cubature des corps engendrés par la révolution de ces arcs et segmens autour de chacune des quatre lignes les plus remarquables de la courbe, enfin pour la détermination des centres de gravité des unes et des autres. Plusieurs de ces expressions n’avaient point été données jusqu’ici, et on paraissait même incliner à penser que quelques-unes d’entre elles ne pouvaient l’être que par les séries. On va voir qu’elles sont toutes susceptibles d’une forme finie.

I. Pour éviter au lecteur l’embarras de feuilleter des traités de calcul intégral, ou de suppléer à ce qu’on n’y trouve pas, et pour lui offrir en même temps le moyen de vérifier facilement nos calculs, nous croyons convenable de présenter brièvement ici les seules formules d’intégration, peu nombreuses d’ailleurs, qui nous seront nécessaires pour parvenir à notre but, Nous sous-entendrons les constantes.

1.o On a d’abord immédiatement

(A)
(B)

2.o Si l’on a à intégrer des formules de l’une des deux formes

on les transformera dans les suivantes

lesquels, par leur développement, donneront une suite de termes rentrant dans le cas (1.o ).

3.o Si les formules à intégrer sont de l’une des deux formes

on les transformera en celles-ci

lesquelles, par leur développement, donneront uner suite de termes rentrant également dans le cas (1.o ).

4.o Si les formules à intégrer sont

on aura recours à l’intégration par parties, qui donne, comme l’on sait,

(C)
(D)

formules au moyen desquelles on parviendra, par degrés, à ramener les intégrales cherchées à

5.o Si les formules à intégrer sont de l’une des deux formes

on leur substituera leurs équivalentes

lesquelles, par le développement, donneront une suite de termes qui rentreront dans l’un des cas (2.o ) et (4.o ).

On sait donc, par ce qui précède, intégrer, sous forme finie, toute formule de la forme

et étant des nombres entiers positifs quelconques ou zéro.

6.o Soit présentement une formule de la forme

l’intégration par parties donnera z

(E)

au moyen de quoi on ramènera, par degrés, l’intégration demandée à que nous avons traitée dans les numéros précédens.

II. Soient respectivement (fig. 1) la demi-base et la montée d’une cycloïde, et soient menées respectivement parallèles à ces deux droites. Par un quelconque des points de la courbe, soient menées aux mêmes droites les parallèles terminées aux quatre droites. Soit le lieu du centre du cercle générateur, pour sa position où le point décrivant est en et soit son diamètre parallèle à coupant en soient enfin menées et soient Nous prendrons

au moyen de quoi nous aurons

Nous poserons en outre

ce qui donnera

d’où

Cela posé, nous aurons

Nous aurons encore

mais, par la nature de la cycloïde,

donc, en substituant,

donc encore

De là on passerait facilement aux équations primitive et différentielle de la courbe, soit en et soit en et mais elles ne nous seront pas nécessaires.

Pour la commodité typographique, nous poserons encore

ce qui donnera

III. Cherchons d’abord les longueurs des arcs indéfinis ?

L’élément du premier de ces arcs est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

(a)

De là

et par conséquent

(b)

ce qui met en évidence la propriété de la développée. On pourra évidemment, par ce qui précède, obtenir la longueur d’un arc quelconque de la courbe.

IV. Cherchons les surfaces engendrées par l’arc tournant successivement autour de et  ?

L’élément de la première surface est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

(c)

De là on conclura, pour l’expression de la surface engendrée par l’arc entier autour de

L’élément de la seconde surface est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

De là on conclura, pour la surface engendrée par l’arc entier tournant autour de

Il est très-remarquable que la surface engendrée par l’arc est toujours de même étendue, soit que cet arc tourne autour de ou qu’il tourne autour de On pourra évidemment, par ce qui précède, obtenir la surface engendrée par un arc quelconque de la courbe, tournant autour de ou

V. Cherchons les coordonnées du centre de gravité de chacun des deux arcs indéfinis et  ?

Soient les coordonnées, pour l’origine du centre de gravité du premier de ces deux arcs ; soient les coordonnées, pour l’origine du centre de gravité du second.

Suivant la règle centrobarique, et seront les quotiens respectifs des formules (d) et (c) par la formule (a) multipliée par de sorte qu’on aura

Dans le cas oh il s’agira de l’arc entier on aura

Or, on a, en général

prenant donc successivement et pour axes des momens, il viendra

d’où on tire, toutes réductions faites,

Cette dernière formule prouve que le centre de gravité de tout arc de cycloïde qui a son milieu à son sommet est au tiers de sa flèche, à partir de ce sommet. D’après les précédens résultats, la recherche du centre de gravité d’un arc quelconque de cycloïde ne saurait offrir de difficulté.

VI. Cherchons les surfaces engendrées par l’are tournant autour de ou  ?

Suivant la règle centrobarique, ces surfaces seront les produits respectifs de la formule (b) par et ce qui donnera

La première sera donc les de la surface engendrée par la tangente tournant autour du même axe.

S’il s’agit de l’arc entier on aura, pour la première surface,

c’est-à-dire, la moitié de la surface engendrée par le même arc autour de On aura ensuite, pour la seconde

résultat qui prouve (IV) que la somme des surfaces engendrées par la demi-cycloïde , tournant successivement autour de et est égale à la surface convexe du cylindre engendré par le rectangle circonscrit à la cycloïde entière, tournant autour de sa base. Au moyen de ce qui précède, on obtiendra facilement la surface engendrée par un arc quelconque de la courbe, tournant autour de ou ou même autour d’une droite quelconque, puisque le centre de gravité de cet arc sera assignable.

VII. Cherchons les centres de gravité des surfaces engendrées par tournant autour de ou  ?

Nous avons déjà vu (IV) que les élémens de ces deux surfaces sont respectivement

d’où il suit que leur moment commun, par rapport aux plans conduits par perpendiculairement aux axes de rotation, est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc cette intégrale successivement par les deux formules (c) et (d), nous aurons pour les distances du point aux centres de gravité des deux surfaces,

Dans le cas où il sera question des surfaces engendrées par la révolution de l’arc entier ces deux expressions deviendront également

On pourra facilement, d’après ces résultats, trouver le centre de gravité de la surface engendrée par un arc quelconque de la courbe, tournant autour de ou

VIII. Cherchons les centres de gravité des surfaces engendrées par l’arc tournant autour de et  ?

Ces surfaces ayant pour élémens respectifs

le moment commun de ces élémens, par rapport aux plans conduits par perpendiculairement aux axes, sera

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc successivement cette intégrale par les deux formules (g) et (h), on aura, pour les distances du point aux centres de gravité des deux surfaces

S’il s’agit des surfaces décrites par l’arc entier ces formules deviendront respectivement,

La première prouve que la distance du point au centre de gravité de la surface décrite par autour de et les de et non point les de cette droite, comme quelques auteurs l’ont écrit. On peut, d’après ce qui précède, trouver le centre de gravité de la surface engendrée par un arc quelconque de la courbe, tournant autour de ou

IX. Cherchons les aires des quatre segmens  ?

L’élément du segment est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

On aura ensuite

c’est-à-dire,

De là on conclura

c’est-à-dire, que l’aire de la cycloïde entière est triple de celle du cercle générateur. On a en outre

c’est-à-dire,

De tout cela on déduira facilement l’aire de toute surface plane terminée par des lignes droites et par des arcs de cycloïdes.

X. Cherchons les volumes des corps engendrés par la révolution des segmens tournant autour de et respectivement ?

L’élément du premier de ces deux corps est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

D’après cela, le volume du corps engendré par la révolution du segment entier , autour de sera

c’est-à-dire, les du volume cylindre engendré par la révolution du rectangle autour de

L’élément de l’autre corps est

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

D’après cela, le volume du corps engendré par la révolution du segment entier autour de aura pour expression

c’est-à-dire, le quart du cylindre engendré par le rectangle tournant autour de , moins deux sphères ayant même rayon que le cercle générateur. À l’aide de ces résultats on pourra toujours trouver le volume du corps engendré par un segment quelconque de la courbe, tournant autour de ou .

XI. Cherchons le centre de gravité de chacun des quatre segmens  ?

Par la règle centrobarique, l’ordonnée du centre de gravité du segment s’obtiendra en divisant la formule (aa) par la formule (p) multipliée par ce qui donnera

Par la même règle, l’abscisse du centre de gravité du segment s’obtiendra en divisant la formule (bb) par la formule (q) multipliée aussi par  ; ce qui donnera

Mais on a, quel que soit l’axe des momens,

prenant donc respectivement pour axes des momens, on aura

divisant donc respectivement ces momens par les formules (p) et (q), on aura pour l’abscisse du centre de gravité de et l’ordonnée de celui de

Voilà donc les deux coordonnées des centres de gravité des deux segmens qui se trouvent ainsi déterminées ; le point étant pris pour origine.

On trouvera, d’après cela, pour l’ordonnée et l’abscisse du centre de gravité de l’aire de la demi-cycloïde,

et ensuite, pour l’ordonnée et l’abscisse du centre de gravité de l’espace

Il nous reste maintenant à assigner les centres de gravité des deux autres segmens Ici nous prendrons le point pour origine. Nous aurons d’abord, quel que soit l’arc,

prenant donc successivement et pour axes des momens, cette équation deviendra

En divisant donc ces deux momens par la formule (r), on aura pour l’ordonnée et l’abscisse du centre de gravité du segment

De là on passera aisément à l’ordonnée et à l’abscisse du 4.me segment On a, quel que soit l’axe des momens,

prenant donc successivement et pour axes des momens, on aura

Divisant enfin ces deux momens par la formule [illisible], on aura, pour l’ordonnée et l’abscisse du centre de gravité du segment

M. Poisson a paru penser que les abscisses des centres de gravité de ces segmens ne pouvaient être exprimées que par des séries (Voyez sa Mécanique, tome 1.er, page 147). Mais on voit, par ce qui précède, qu’on peut toujours avoir exactement, sous forme finie, les deux coordonnées du centre de gravité d’une surface plane quelconque, terminée par des lignes droites et des arcs de cycloïdes.

XII. Cherchons les volumes des corps engendrés par la révolution des deux segmens autour de et respectivement ?

Suivant la règle centrobarique, le volume du premier de ces deux corps, s’obtiendra en multipliant par le produit des deux formules (r) et {gg) ; ce volume sera donc

Le volume de l’autre corps s’obtiendra, suivant la même règle, multipliant par le produit des deux formules (r) et (ll) ; ce volume sera donc

On trouvera, d’après cela, pour le volume du corps engendré par tournant autour de

c’est-à-dire, le 8.me du cylindre circonscrit ; et pour le volume du corps engendré par tournant autour de

c’est-à-dire, les du cylindre circonscrit, moins deux sphères ayant même rayon que le cercle générateur. On obtiendra facilement, d’après cela, les volumes des corps engendrés par des segmens quelconques de cycloïdes, tournant autour de ou ou même autour d’une droite quelconque, puisque (XI) le centre de gravité de l’aire de ce segment sera assignable.

XIII. Cherchons les centres de gravité des corps engendrés par la révolution des deux segmens tournant autour de et respectivement ?

L’élément du premier de ces deux corps étant le moment de cet élément, par rapport au plan conduit par perpendiculairement à l’axe, sera

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc par la formule {aa), on aura, pour la distance du point au centre de gravité de ce volume,

En conséquence, s’il s’agit de la distance du point au centre de gravité du corps engendré par on trouvera pour son expression

L’élément du second de ces deux corps étant le moment de cet élément, par rapport au plaa conduit par perpendiculairement à l’axe, sera

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc par la formule (bb), on aura, pour la distance du point au centre de gravité de ce volume

En conséquence, s’il s’agit de la distance du point au centre de gravité du corps engendré par on trouvera pour son expression

On voit, d’après ce qui précède, qu’il sera toujours facile de déterminer le centre de gravité du corps engendré par un segment quelconque de la courbe, tournant autour de ou

XIV. Cherchons enfin les centres de gravité des corps engendrés par la révolution des deux segmens tournant autour de et respectivement ?

L’élément du premier de ces deux corps étant le moment de cet élément, par rapport au plan conduit par perpendiculairement à l’axe, sera

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc par la formule (mm), on aura, pour la distance du point au centre de gravité de ce corps,

En conséquence, s’il s’agit de la distance du point au centre de gravité du corps engendré par tournant autour de on trouvera pour son expression

L’élément du second de ces deux corps étant le moment de cet élément, par rapport au plan perpendiculaire à l’axe, passant par sera

dont l’intégrale, commençant avec est (I)

divisant donc par la founule (nn), on aura, pour la distance du point au centre de gravité de ce corps,

En conséquence, s’il s’agit de la distance du point au centre de gravité du corps engendré par tournant autour de on trouvera pour son expression

On voit, d’après ce qui précède, qu’il sera toujours facile de déterminer le centre de gravité du corps engendré par un segment quelconque de cycloïde, tournant autour de ou

Paris, 17 janvier 1815.