Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Analise algébrique, article 1

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ANALISE ALGÉBRIQUE.

Résolution des équations littérales, par une nouvelle
méthode, directe et générale ;

Par M. Suremain de Missery, ancien officier d’artillerie,
membre de plusieurs sociétés savantes[1].
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

Quoique notre méthode soit également applicable à des équations complètes, nous les supposerons, à l’ordinaire, dépourvues de leur second terme ; ce qui simplifiera les calculs d’une manière notable.

Et, attendu que l’équation du second degré, privée de son second terme, se résout immédiatement, nous passerons de suite à celle du troisième.

Résolution de l’équation du troisième degré.

I. Nommant les racines de la proposée  ; on a, par la théorie générale des équations,

partant

ou, en faisant

Éliminant entre le cube de la première équation et le quarré de la seconde, on obtient

d’où, l’on tire

ajoutant et retranchant enfin cette équation successivement à l’équation

le premier membre de l’équation résultante sera un cube parfait ; et en conséquence, elle prendra cette forme

[2]

On tire de là

ce qui donne

puis

ce qui donne ultérieurement

expressions qui, avec la suivante,

sont les trois racines de la proposée, en y remettant pour et les quantités connues dont elles sont les symboles.

2. Comme, jusqu’à présent, on n’a pu parvenir à résoudre les équations du quatrième degré sans l’intermédiaire d’une réduite ; nous allons, pour une plus grande uniformité, chercher la réduite qui répond à l’équation du troisième degré.

D’après ce qui précède, il est aisé de voir que

d’où

faisant donc

on aura

d’où la réduite

et les valeurs

qui, toutes deux, sont les racines de la réduite, considérée comme équation du second degré. Après quoi le calcul s’achève comme ci-dessus, avec les deux équations qui donnent et c’est-à-dire ici et en fonction de et

On a donc ainsi les racines de la proposée, en fonction des racines de la réduite.

3. On trouve, d’après ce qui précède,

Cette expression remarquable, qui montre que doit être le dernier terme de l’équation aux quarrés des différences des racines de la proposée, prouve évidemment que, lorsque les trois racines de la proposée sont réelles, leurs expressions, en fonction des coefficiens, doivent être compliquées d’imaginaires ; propriété qui est réciproque, ainsi que nous le dirons plus loin ; elle montre aussi que l’équation exprime la condition d’égalité entre deux racines de la proposée.

4. On trouve encore

et telles sont les expressions, très-symétriques, des trois racines cubiques de

En y changeant le signe de ce qui changera aussi en , on aura les expressions analogues des trois racines cubes de

On a donc les racines de la réduite en fonction des racines de la proposée. Lagrange n’y est arrivé que par le calcul différentiel, et d’une manière plus longue[3].

5. De là il suit que l’expression de l’une quelconque des trois racines de la proposée les comprend toutes ; car l’expression

donne, par la substitution des valeurs de et en fonction de

et il en serait de même de chacune des deux autres expressions

pourvu qu’on eût soin de ne combiner ensemble que des valeurs de et telles que ainsi que cela doit être (2).

6. Comme on a ce qui donne

il s’ensuit que la méthode résout, non seulement l’équation proposée

dont les racines sont

mais encore l’équation conjuguée

dont les racines sont

et pareillement l’équation conjuguée

dont les racines sont

7. Si les racines de la proposée se présentent toutes sous une forme embarrassée d’imaginaires, ce qui arrive lorsque est négatif, c’est-à-dire, lorsque les racines de la réduite, considérée comme équation du second degré, sont imaginaires ; on sait que les premières sont toutes réelles : en voici une démonstration directe et rigoureuse.

D’après la théorie générale des équations, l’équation du troisième degré, à titre d’équation d’un degré impair, doit avoir au moins une racine réelle ; ce que je pourrais d’ailleurs démontrer par mes formules.

Une des trois racines est donc réelle ; mais, lorsque négatif, une de ces racines ne peut être réelle, sans que les deux autres ne le soient aussi.

En effet, si est réelle, est aussi réel. D’ailleurs, est réel ; donc, puisque est réel, doit l’être pareillement. De plus, on a

d’où

or, le premier membre de cette équation est réel ; donc le second l’est aussi ; mais le facteur est réel, puisque et le sont ; donc l’autre facteur l’est de même ; et, puisque et sont réels, et le sont nécessairement ; donc enfin les trois racines sont réelles.

Je ne crois pas que la réalité des trois racines, dans le cas irréductible, ait jamais été si complètement ni si directement démontrée.

Résolution de l’équation du quatrième degré.

1. Nommant les racines de la proposée on a, par la théorie générale des équations,

partant

En faisant

ces équations deviennent

ce qui donne

d’où la réduite

et les valeurs

pour les trois racines de cette réduite, considérée comme équation du troisième degré ; valeurs dans lesquelles et désignent des fonctions connues des coefficiens de cette même réduite.

Cela posé, on a

donc

expressions qui donneront les quatre racines de la proposée, si l’on y met pour une des six valeurs connues représentées par n’importe laquelle.

2. Mais, pour exprimer les racines de la proposée, en fonction de celles de la réduite, nous observerons que cette réduite, d’après la théorie des équations, donne

et que, de cette dernière équation, on tire

le signe supérieur ou le signe inférieur ayant lieu, suivant que est positif ou négatif ; car nous supposons les racines positives de

Nous prendrons d’abord positif, parce que, s’il était négatif, les racines de la proposée seraient les mêmes aux signes près.

Substituant donc ces valeurs de et de dans celles de et prenant arbitrairement ces dernières deviendront

formules qui donneront les racines de la proposée, lorsque est positif.

Et par conséquent les doubles formules

prises avec le signe supérieur ou avec l’inférieur, donneront respectivement les racines de la proposée, suivant que sera positif ou négatif.

On a donc les racines de la proposée, en fonction des racines de la réduite.

3. On trouvera

d’où

On a donc les racines de la réduite, en fonction des racines de la proposée.

4. Observons que la première expression

des quatre racines de la proposée, comprend tacitement

Or si, dans la formule

on substitue les valeurs de et de comme on l’a fait (Art. 2) ; et que, de plus, on prenne successivement pour les six valeurs

on trouvera

d’où l’on voit que la première des quatre formules des racines de la proposée les comprend toutes ; et il en est de même de chacune des trois autres. Ainsi ; une quelconque des expressions des quatre racines de la proposée les comprend toutes.

5. Comme on a , il est aisé de voir que la méthode résout, non seulement l’équation proposée

dont les racines sont

mais encore l’équation conjuguée

dont les racines sont

6. Si les racines de la proposée se présentent sous une forme embarrassée d’imaginaires, ce qui arrive si les racines de la réduite, considérée comme équation du troisième degré, sont, ou toutes trois réelles et positives, ou toutes trois réelles et une seule positive ; on sait que, dans le premier cas, elles sont toutes réelles, et, dans le second, toutes imaginaires[4]. Voici une démonstration directe et rigoureuse de la réalité des racines dans le premier cas.

Si les racines de la réduite, considérée comme équation du troisième degré, sont réelles et positives, les racines, de cette même réduite, considérée comme équation du sixième degré, sont aussi réelles. Donc, puisqu’on a

les racines de la proposée sont toutes réelles.

Cette démonstration de la réalité des quatre racines, dans le cas irréductible, est très-simple et déjà connue. Je ne l’ai reproduite ici que pour conserver l’analogie entre le troisième et le quatrième degré.

  1. Ce qu’on va lire n’est que l’extrait d’un mémoire beaucoup plus étendu que l’auteur a bien voulu réduire à ce qu’il renfermait d’essentiel.
    J. D. G.
  2. Il est difficile de penser que M. de Missery eût pu deviner toutes ces transformations, s’il n’eût connu, à l’avance, la forme des racines du 3.me degré. Le propre d’une bonne méthode paraît être cependant de ne présupposer aucune connaissance acquise sur ce qu’on cherche.
    J. D. G.
  3. Ce n’est presque pas la peine de dire que Lagrange se sert du calcul différentiel en cet endroit ; il ne l’emploie que par pure élégance ; et l’usage qu’il en fait pourrait facilement être suppléé par le théorème des racines égales.
    J. D. G.
  4. Cependant, deux d’entre elles deviendront réelles, si l’on a ou ou
    (Note de l’auteur.)