Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Géométrie analitique, article 1

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GÉOMÉTRIE ANALITIQUE.

Formules nouvelles pour la transformation des coordonnées
rectangulaires dans l’espace ;

Par M. Gergonne.
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La transformation des coordonnées le plus fréquemment employée, dans la géométrie à trois dimensions, est celle qui consiste à passer d’un système rectangulaire à un autre système, aussi rectangulaire, ayant la même origine que le premier. On sait qu’alors les coordonnées primitives sont des fonctions du premier degré de celles qu’on leur substitue[1], ne renfermant point de terme constant ; et l’on obtient facilement, entre les neufs coefficens que ces fonctions comportent, six relations distinctes, lesquelles en renferment implicitement un grand nombre d’autres, non moins symétriques que celles-là. On sait d’ailleurs que ces neuf coefficiens ne sont autre chose que les cosinus tabulaires des angles que forment chacun des axes transformés avec les trois axes primitifs.

Les relations élégantes qui se trouvent exister entre les neuf arbitraires introduites par la transformation, lorsqu’elles sont bien connues et employées avec adresse, permettent souvent d’heureuses simplifications dans les calculs ; mais elles deviennent aussi quelquefois une source d’embarras. À la vérité, on pourrait en faire usage pour substituer à six des neuf arbitraires des fonctions équivalentes des trois autres, qui alors entreraient seules dans les formules ; mais, en faisant même de celles-ci le choix le plus avantageux ; c’est-à-dire, en prenant, avec M. Monge, les cosinus des angles que forment respectivement les nouveaux axes avec ceux que l’on suppose leur correspondre dans le système primitif, on ne parvient qu’à des formules radicales, dont la symétrie ne saurait racheter la complication ; et qui sont conséquemment plus curieuses qu’utiles.

Guidé par cette considération, que tout changement de situation d’un angle trièdre dans l’espace autour de son sommet peut toujours être effectué au moyen de trois rotations exécutées successivement autour de ses arêtes, Euler a donné un autre procédé de transformation ; adopté depuis par Lagrange et Laplace. La méthode d’Euler a l’avantage de n’exiger qu’une application trois fois réitérée des formules très-simples à l’aide desquelles on passe, dans la géométrie plane, d’un système rectangulaire à un autre système rectangulaire de même origine que celui-là ; cette méthode a encore l’avantage de ne mettre en évidence que trois arbitraires absolument indépendantes, comme la nature du problème l’exige ; mais malheureusement les formules auxquelles elle conduit, assez compliquées d’ailleurs, manquent totalement de cette élégante symétrie si justement recherchée aujourd’hui dans l’analise algébrique, et la valeur de chacune des coordonnées primitives, en fonction de celles qu’on leur substituent, se trouve être plus ou moins simple, suivant l’ordre observé dans les trois rotations successives. Nous devons remarquer, au surplus, que les trois arbitraires introduites, lesquelles sont ici les angles qui mesurent les trois rotations, entrant à la fois dans les formules par leur sinus et par leur cosinus ; il s’ensuit que, si l’on veut conserver à ces formules la forme rationnelle, il faudra absolument les considérer comme introduisant six arbitraires, liées deux à deux par trois équations de condition. La méthode d’Euler mériterait donc incontestablement la préférence sur l’autre, si elle conduisait à des résultats plus symétriques[2].

Il est connu depuis long-temps que tout changement de situation d’un angle trièdre dans l’espace, autour de son sommet, peut être censé résulter, non seulement de trois rotations successives autour de ses trois arêtes, mais encore d’une rotation unique autour d’un axe fixe, passant par ce même sommet. On a donc lieu d’être surpris ; d’après cela, qu’on n’ait point encore songé jusqu’ici à fonder sur cette remarque un mode de transformation de coordonnées. Cependant, dans cette manière d’envisager la chose, les trois axes des coordonnées étant absolument traités de la même manière ; on pouvait se promettre à l’avance de la symétrie dans les formules ; On pouvait penser d’ailleurs que l’application de ce mode de transformation pourrait être très-convenable, soit dans la recherche des surfaces de révolution, soit dans les problèmes de mécanique relatifs à la rotation des corps.

Cherchons donc les formules qui peuvent résulter de cette manière de considérer la transformation des coordonnées. Soient les coordonnées rectangulaires primitives ; soient les coordonnées rectangulaires de même origine que l’on se propose de leur substituer : soit, l’axe fixe passant par l’origine autour duquel on suppose qu’il faut faire tourner le système primitif pour que les axes des , des et des viennent respectivement coïncider avec ceux des des et des  ; supposons en outre que la rotation s’exécute des vers les des vers les et des vers les  ; et désignons par l’angle qui en mesure la quantité. Si nous désignons par et les angles que forme l’axe fixe avec ceux des et des nous aurons évidemment

(1)

Si de plus nous désignons par l’angle que comprennent entre eux les deux plans conduits par et par et on devra avoir aussi

(2)

Cela posé, soient faits

nous aurons

Les équations de et de l’axe des seront

En conséquence, on aura

mais on a d’ailleurs

on aura donc (1)

(6)

Le plan qui contient et a pour équation

et celui qui contient et a pour équation

d’après quoi l’on doit avoir (2)

Le numérateur de cette expression, qui revient à

se réduit, en vertu des relations (3 et 6), à

Le second facteur sous le radical du dénominateur devient, en développant

ou, par la relation (3),

ou, par la relation (4),

ou enfin, par la relation (6),

ou

Il viendra conséquemment

(7)

À cause du radical de la valeur primitive de on pourrait concevoir du doute sur le signe du second membre de cette dernière équation ; mais en remarquant que, par la nature du problème, on doit avoir en même temps et , on se convaincra que ce signe doit être positif.

Présentement, on tirera des équations (4, 6, 7), en ayant égard aux relations (3, 5)

Pour lever l’ambiguïté des signes, supposons que l’axe fixe, soit symétriquement situé par rapport aux axes des coordonnées primitives, et que l’on fasse faire au système un tiers de révolution entière autour de cet axe ; il est clair qu’alors l’axe des devra coïncider avec l’axe des , on aura donc  ; mais, dans la même hypothèse l’équation (3) donne et l’on a de plus ce qui donne , et prouve ainsi que ce sont les signes supérieurs qu’il faut prendre.

On a donc ainsi

et l’on aura semblablement

d’où on conclura, par les formules connues,

Ce sont là les formules demandées, dans lesquelles les cinq constantes sont liées entre elles par les deux relations

Les trois premières fixent la situation de l’axe de rotation ; les deux autres déterminent la quantité de cette rotation.

Si l’on veut repasser du système transformé au système primitif, il faudra faire

formules qui ne diffèrent des précédentes qu’en ce que y ont pris respectivement la place de et réciproquement, et que y a changé de signe. Il est très-aisé de se rendre raison de cette dernière circonstance.

  1. Pour prouver cette proposition, plusieurs géomètres se bornent à observer qu’à un point quelconque, rapporté au système primitif, il ne doit répondre qu’un point unique, dans le système transformé. Mais, si ce raisonnement était concluant, il devrait être également applicable au cas où l’on prend-pour nouvelles coordonnées les distances du point variable à trois points fixes. Or, on sait qu’alors les formules nécessaires pour passer des unes aux autres, loin d’être du premier degré, ne sont pas même rationnelles.
  2. On peut consulter, sur tout ce qui précède le 1.er volume du Traité de calcul différentiel et de calcul intégral de M. Lacroix. On trouvera aussi à la page 241 du VI.e volume de ce recueil, une démonstration très-élémentaire du principe qui sert de fondement à la méthode d’Euler.