Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Géométrie descriptive, article 1

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GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE.

Recherche du plan oscillateur et du centre de courbure
d’une ligne courbe, en un point donné ;

Par M. Ch. Dupin, capitaine du génie maritime,
correspondant de l’académie des sciences, institut de France.
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On a inséré depuis peu, dans le Bulletin des sciences, la notice d’un mémoire, dans lequel M. Hachette traite la question suivante : Trouver, pour l’un quelconque des points d’une courbe plane ou à double courbure, donnée dans l’espace par deux surfaces dont elle est l’intersection, le plan osculateur et le rayon de courbure de cette courbe ?

Un illustre géomètre avait déjà traité cette question, par la considération des surfaces développables. M. Hachette y emploie des surfaces gauches, ce qui en complique nécessairement la solution, sans la rendre au fond différente de celle de M. Monge.

Lorsqu’une courbe est donnée, dans l’espace, par l’intersection de deux surfaces, ou de toute autre manière ; il faut, pour pouvoir lui appliquer les procédés de la géométrie descriptive, la projeter sur deux plans. Or, nous allons voir qu’alors la simple méthode des projections suffit pour résoudre complètement le problème dont il s’agit.

LEMME. Les centres de courbure, pour un même point de toutes les projections orthogonales d’une même courbe, sur des plans conduits par sa tangente en ce point sont tous situés sur une même droite, perpendiculaire au plan osculateur mené à la courbe primitive par ce même point

Démonstration. Considérons l’un des cylindres projetans de la courbe proposée, ainsi que la sphère ayant pour grand cercle le cercle osculateur de la projection, base de ce cylindre. Ces deux surfaces auront, suivant la tangente en un contact du second ordre ; d’où il résulte (Dévelop. de géom. pag. 36) que tout plan conduit par cette tangente, et conséquemment le plan osculateur, coupera la sphère et le cylindre suivant deux courbes ayant de même entre elles un contact du second ordre ; mais ce dernier plan coupe la sphère suivant un cercle ; donc ce cercle est le cercle osculateur de la courbe primitive en et conséquemment le centre de la sphère, centre de courbure de la projection, est aussi un des centres de courbure de la courbe primitive. Les centres de courbure de toutes les projections se trouvent donc être ainsi les centres d’une suite de sphères passant toutes par le cercle osculateur de la courbe primitive ; ces centres sont donc sur une même droite perpendiculaire au plan de ce cercle et passant par son centre.

PROBLÈME. Construire le plan osculateur et le centre de courbure d’une courbe donnée en un point donné ?

Solution. I.er Cas. Supposons d’abord que la courbe soit projetée orthogonalement sur deux plans quelconques, passant par sa tangente en on verra sur-le-champ, par ce qui précède :

1.o Que la droite joignant les centres de courbure des deux projections en sera, pour ce même point, le lieu des centres de courbure ;

2.o Que le plan conduit par perpendiculairement à cette droite, sera le plan osculateur de la courbe en

3.o Enfin, que l’intersection de ce plan et de cette droite sera le centre de courbure de la courbe, pour le même point

Il n’est pas difficile de voir, d’après cela, ce qu’il y aurait à faire, si les deux plans de projection, au lieu de passer par la tangente, lui étalent simplement parallèles.

II.me  Cas. Supposons présentement que les plans de projection soient quelconques par rapport à la tangente en soient cette tangente et la courbe[1] ; de manière que soient les projections de la courbe celles de sa tangente, et enfin, celles du point de contact. Soient de plus et les rayons de courbure de et en et

Soit menée la droite de projection et soient menées à cette droite deux parallèles quelconques qui en soient équidistantes ; et concevons que et représentent les longueurs des parties de tangentes interceptées entre ces parallèles ; et seront ainsi les milieux respectifs de et

Soit menée à du côté de la concavité de une parallèle qui en soit distante d’une quantité troisième proportionnelle à et à Soient le point où cette droite coupe et les points où elle coupe les deux parallèles à

Soit pareillement menée à du côté de la concavité de une parallèle qui en soit distante d’une quantité troisième proportionnelle à et à Soient le point où cette droite coupe et les points où elle coupe les deux parallèles à

Alors le plan conduit par et par sera le plan osculateur de la courbe en et son rayon de courbure au même point sera une troisième proportionnelle à la distance du point à et à la moitié de la longueur de cette droite.

Démonstration. Concevons que, sur et comme demi-diamètres conjugués on construise une ellipse et que sur et pris aussi comme demi-diamètres conjugués, on construise une autre ellipse ces deux ellipses se trouveront ainsi comprises entre les deux parallèles à qui en seront des tangentes communes. De plus, d’après la construction et seront respectivement osculatrices de et en et [2]

Cela posé, considérons les ellipses et comme les bases de deux cylindres de projections ; ces deux cylindres ayant les mêmes plans tangens, en et auront une commune section plane, passant par et dont et seront les projections (Mém. sur les contacts des sphères et des surfaces du second degré. Dupin).

Cette intersection des deux cylindres oscule nécessairement en d’où il suit que le plan conduit par et est osculateur de en

Et, comme le rayon de courbure en de l’intersection plane des deux cylindres est aussi celui de la courbe au même point ; il s’ensuit que ce dernier est troisième proportionnel à la distance de à et à la moitié de la longueur de cette droite.

Remarque. Il est un cas particulier qui mérite d’être remarqué : c’est celui où la tangente à par le point se trouve dans un plan perpendiculaire à la fois aux deux plans de projection. Il ne suffit plus alors que et aient avec et un contact du second ordre, pour que oscule en Il est nécessaire, dans ce cas, que les deux contacts soient du troisième ordre, ainsi qu’il serait facile de le démontrer.

Si de plus, dans ce même cas, on suppose le plan osculateur de la courbe proposée parallèle à l’intersection des deux plans de projection ; le rayon de courbure de cette courbe se trouvera immédiatement donné par ce théorème, que nous avons exposé ailleurs (Dévelop. de géom.) : Si l’on projette une courbe sur deux plans à angle droit, parallèles au rayon de son cercle osculateur en un point au même point la somme des rayons de courbure des deux projections de cette ligne, est égale au rayon même du cercle osculateur de la courbe proposée.

Nous ne saurions terminer sans signaler à l’impartiale justice des géomètres la phrase suivante, qui termine la notice sur le mémoire de M. Hachette : « L’application de ces diverses propositions est de la plus haute importance dans les arts graphiques ; elle donne la mesure de la quantité de courbure des lignes et des surfaces, dont on n’a déterminé, jusqu’à présent, que la direction, par les tangentes et les plans tangens. ».


Séparateur

  1. Nous emploirons ici une notation commode, dont nous avons déjà fait l’essai, dans nos Développemens de géométrie. Elle consiste à représenter les projections horizontale et verticale des divers objets, considérés dans l’espace, par les lettres même qui représentent ces objets, mais affectées des indices respectifs et
  2. Ceci est fondé sur le théorème que voici :

    THÉORÈME. Le rayon de courbure d’une ellipse, en un quelconque de ses points, est troisième proportionnel à la distance de ce point au diamètre parallèle à sa tangente, et à la moitié de ce diamètre.

    Ce théorème, dont M. Dupin fait un grand usage dans ses Développemens de géométrie, se déduit fort simplement de la théorie qu’il y expose { voyez la page 29 de cet ouvrage). Il peut aussi se démontrer directement comme il suit.

    On a vu (Annales, tom. VI, pag. 229) qu’en prenant respectivement pour axes des et des la tangente et la normale en un point quelconque d’une ligne du second ordre, l’équation de cette courbe était de la forme

    (1)

    étant le rayon de courbure qui répond à l’origine.

    Il est connu d’ailleurs (Annales, tom. VI, pag. 160) que les dérivées de cette équation, prises successivement par rapport à et à sont les équations de deux diamètres, c’est-à-dire, de deux droites qui se coupent au centre de la courbe ; de sorte qu’en désignant par et les coordonnées de ce centre, on doit avoir

    (2)

    d’où on tire

    (3)

    Ces valeurs étant substituées dans l’équation (1), elle devient

    (4)

    Voilà donc la courbe exprimée en fonction du rayon de courbure et des coordonnées du centre.

    L’équation du diamètre parallèle à la tangente, ou à l’axe des est en la combinant avec l’équation (4), il vient

    (5)

    équation qui fera connaître les deux extrémités du diamètre, et qui donne

    Si l’on appelle la longueur entière du diamètre dont il s’agit, sera la demi-différence de ces deux valeurs ; c’est-à-dire qu’on aura

    ou

    conformément à l’énoncé du théorème.

    J. D. G.