Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Analise algébrique, article 1

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ANALISE ALGÉBRIQUE.

Théorie générale des fractions continues ;

Par M. Bret, professeur à la faculté des sciences de
Grenoble, Chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur.
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Le problème du développement d’une fraction ordinaire en fraction continue, se réduit évidemment à la résolution de l’équation

(1)

dans laquelle nous supposons que A, sont deux nombres entiers positifs donnés, tels qu’on ait et où sont des nombres entiers indéterminés, positifs ou négatifs ; on peut toujours supposer, au surplus ; que sont positifs.

Posons successivement

(2)

il viendra ainsi

c’est-à-dire,

et la question se trouvera réduite à satisfaire en nombres entiers à cette suite d’équations, dans laquelle il est évident qu’on pourra prendre à la fois arbitrairement les dénominateurs et les numérateurs des fractions intégrantes.

Or, si l’on prend constamment la fraction continue se terminera nécessairement ; en effet, on aura d’abord et, comme on aura aussi il s’ensuit qu’on aura donc, on aura

mais est au plus l’unité ; donc, on aura

On aura, par la même raison,

donc

et, par suite ;

d’où on conclura, comme ci-dessus,

En continuant ainsi, de proche en proche, on parviendra à se convaincre que les portions de développement

sont toutes moindres que l’unité.

Il est pourtant un cas qui fait exception : c’est celui où l’on aurait précisément c’est-à-dire le cas où la fraction continue serait

et où, prolongée à l’infini, elle tendrait sans cesse vers l’unité ; dans tout autre cas, elle sera constamment plus petite.

En appliquant présentement ce que nous venons de démontrer à la suite des équations (2), en voit que, si l’on a constamment, abstraction faite des signes,

on aura aussi constamment, abstraction faite des signes

c’est-à-dire,

les nombres seront donc continuellement décroissans ; et, comme ils sont tous entiers, il faudra enfin que l’un d’eux soit nul, ce qui prouve que la fraction continue se terminera.

Donc, si une fraction continue, dans laquelle les dénominateurs des fractions intégrantes sont constamment plus grands que leurs numérateurs, ne se termine pas, elle ne pourra être le développement d’une fraction finie, et sera conséquemment le développement d’un incommensurable.

Tout ce que nous venons de dire a encore lieu lors même que les numérateurs des fractions intégrantes sont d’abord plus grands que leurs dénominateurs, pourvu qu’ensuite ils deviennent plus petits qu’eux et demeurent constamment tels ; il arrive seulement alors que la suite des nombres est d’abord divergente ; mais elle devient ensuite convergente et doit conséquemment se terminer à zéro, comme dans le premier cas.

Posons présentement

En réduisant la première de ces fractions continues en fraction ordinaire, on trouvera une expression de cette forme

on passera de là à la valeur de , en y changeant en

ce qui donnera

c’est-à-dire,

et l’on aura de même

d’où

Éliminant entre ces deux équations, il viendra

on aura donc, en général,

le signe plus ou le signe moins aura lieu, suivant que le nombre des fractions intégrantes est impair ou pair, en les supposant du moins toutes positives.

Si nous prenons la différence entre deux fractions convergentes consécutives, nous aurons, abstraction faite des signes,

mais nous avons trouvé ci-dessus

posant donc

ce qui donnera nécessairement

on aura

et l’on aurait semblablement

d’où on conclurait, en multipliant,

on aura donc généralement

étant des quantités positives, plus petites que l’unité.

On aura donc ainsi ;

et par conséquent

et comme on a les inégalités.

il s’ensuit que la différence devient de plus en plus petite, à mesure qu’on s’avance dans la série des fractions convergentes, puisque d’ailleurs le dénominateur croit très-rapidement.

Cherchons présentement la différence entre la fraction et la fraction continue

étant quelconque, mais plus grand que Il viendra

on aura pareillement

divisant ces deux équations l’une par l’autre, on trouve

or, on a, par hypothèse donc est moindre que et l’on voit de plus qu’ils sont des signes contraires ; ainsi, si l’on a on aura et vice versâ ; ainsi, dans tous les cas, la valeur exacte de se trouvera comprise entre deux fractions convergentes consécutives quelconques mais plus voisine de la seconde que de la première ; puis donc que, comme nous l’avons vu ci-dessus, la différence entre ces deux fractions décroit rapidement, à mesure qu’on s’avance dans la série des fractions convergentes, il s’ensuit qu’elles s’approchent aussi très-rapidement de la véritable valeur de dont elles diffèrent alternativement par excès et par défaut, ce qui justifia pleinement leur dénomination.

Ce qui précède, suppose, à la vérité, que toutes les fractions intégrantes sont positives ; mais, dans le cas contraire, il est toujours facile de transformer la fraction continue en une autre qui n’en renferme que de telles ; on a, en effets



et ainsi de suite.

On conclut de cette transformation que la nouvelle fraction continue remplira, à la fois, la condition de ne renfermer que des fractions intégrantes positives et celle de la convergence, si l’on a

Il suffira même, quelles que soient d’ailleurs les premières fractions intégrantes, que ces conditions soient remplies, à partir de l’une quelconque d’entre elles, d’où l’on voit qu’en particulier la convergence vers une valeur fixe aura toujours lieu, lorsque les numérateurs étant égaux et d’une grandeur quelconque, les dénominateurs croîtront constamment, quelque lentement que ce soit, à partir de l’un quelconque.

Voyons présentement comment on pourra procéder, d’une manière régulière, au développement en fraction continue d’une fonction quelconque de On pourrait bien supposer que la fonction dont il s’agit a d’abord été développée en série ascendante ; mais, pour plus de généralité nous la supposerons développée en fraction, ayant de pareilles séries pour ses deux termes ; c’est-à-dire que nous supposerons

alors, en posant successivement




et ainsi de suite, on aura

Et l’on conclura les valeurs de des valeurs connues de au moyen des formules

que l’on conclut des équations ci-dessus, en y chassant les dénominateurs ; et exprimant ensuite qu’elles sont identiques.

Si les deux termes de la fraction valeur de au lieu de procéder suivant les puissances de procédaient suivant celles de il ne s’agirait que d’y traiter ainsi que nous venons de traiter dans le développement général ; et si une puissance de se trouvait être facteur soit du numérateur soit du dénominateur, on la ferait préalablement passer soit comme diviseur soit comme multiplicateur de ce qui ramènerait la question au premier cas.

Pour premier exemple, prenons la fonction

nous écrirons d’abord

traitant alors comme dans le second membre, il viendra





Nous avons donc finalement

puis donc qu’on doit avoir

on aura

ce qui donne, en amenant successivement les numérateurs à être entiers négatifs, et en multipliant ensuite par

résultat dont la loi est manifeste, et qui, quel que soit satisfera à la condition de convergence, pourvu qu’on le pousse assez loin.

Si l’on transforme cette expression en une autre dont tous les termes soient positifs, d’après les formules trouvées ci-dessus, on obtiendra

d’où il suit que, pourvu que l’on prenne ou cette fraction continue convergera, à partir de l’origine, vers la véritable valeur de dans tout autre cas, elle finira toujours par être convergente, pourvu qu’on la prolonge suffisamment.

Soit nous aurons et notre formule deviendra

Nous savons qu’on soit donc, s’il est possible, et étant deux nombres entiers premiers entre eux, tels que il viendra, en substituant,

or, cette équation est absurde, car son second membre est une fraction continue qui, ne se terminant pas et étant convergente, en la prolongeant suffisamment, doit avoir une valeur incommensurable, tandis que son premier membre est une fraction rationnelle ; il est donc absurde de supposer que est égal à une pareille fraction, est donc incommensurable.

Prenons, pour second exemple, la fonction

nous aurons ici

Nous aurons donc finalement

ce qui donnera, en substituant

résultat dont la loi est manifeste.

On a, d’après cela

ce qui prouve que le nombre est incommensurable.

On pourrait étendre cette théorie à d’autres exemples, non moins intéressans ; mais, comme ces applications ne présentent aucune difficulté, nous terminerons par observer que, lorsque les numérateurs sont supposés égaux à l’unité, les résultats auxquels nous sommes parvenus se simplifient d’une manière notable. C’est ainsi, par exemple, que l’équation

devient

alors aussi les fractions convergentes se trouvent toutes réduites à leurs moindres termes, et la différence entre deux fractions convergentes consécutives diminue de plus en plus, à mesure qu’on avance dans la suite que forment ces fractions ; on peut aussi remarquer que le quotient

est toujours moindre que l’unité, puisqu’on a, à la fois, et d’où il suit que les conditions de la convergence de la fraction continue se trouvent nécessairement remplies. Si la fraction continue a quelques fractions intégrantes négatives, en la transformant en une autre qui ne présente plus cette circonstance, les conclusions seront encore les mêmes. Enfin, il est facile, dans le cas que nous examinons, de démontrer ce beau théorème, savoir : que chaque fraction convergente approche plus de la valeur totale de la fraction continue que ne pourrait le faire toute autre fraction, exprimée par de plus petits nombres. Nous ne faisons que rappeler cette propriété, pour montrer comment elle se rattache à la théorie nouvelle et plus générale des fractions continues que nous avons essayé de présenter dans ce mémoire.