Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Analise algébrique, article 2

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ANALISE ALGÉBRIQUE.

De la détermination du nombre des racines imaginaires
des équations numériques[1] ;

Par un Abonné.
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Nous nous proposons d’offrir ici, pour la détermination du nombre des racines imaginaires des équations, une méthode à laquelle on pourra peut-être reprocher sa prolixité, dans les degrés un peu élevés ; mais qui néanmoins, dans l’espèce d’indigence où nous nous trouvons à cet égard, nous paraît ne devoir pas être tout-à-fait dédaignée, et qui peut d’ailleurs recevoir divers perfectionnemens dès qu’elle sera bien connue.

Pour rendre nos développemens plus facilement intelligibles, nous procéderons d’abord successivement des degrés les moins élevés à ceux qui le sont davantage. Nous présenterons ensuite l’exposé général de la méthode.

1. Soit d’abord l’équation du premier degré

on sait que étant positif, sa racine unique, toujours réelle, est positive, négative ou nulle, suivant que est lui-même positif, négatif ou nul.

2. Soit l’équation du second degré

dans laquelle nous pouvons toujours supposer, et nous supposons en effet positif.

Considérons la parabole ayant pour équation

il est clair que la recherche des racines de la proposée se réduit à la recherche des abscisses des intersections de cette parabole avec l’axe des ces racines seront donc réelles et inégales, égales ou imaginaires, suivant que les intersections de la courbe avec l’axe des seront au nombre de deux, se confondront en une seule ou n’existeront pas.

Et comme les branches extrêmes de la parabole se prolongent du côté des positives, on peut dire que la proposée aura ses deux racines réelles et inégales, égales ou imaginaires, suivant que le sommet de la courbe aura son ordonnée négative, nulle ou positive. Tout se réduit donc à obtenir l’ordonnée de ce sommet.

Au sommet de la parabole on doit avoir c’est-à-dire.

c’est donc là l’équation qui donne l’abscisse du sommet de la courbe ; on aura donc l’équation qui donne son ordonnée, en éliminant entre celle-ci et l’équation ce qui donnera

[2]

d’où l’on conclura (1) que l’équation a ses deux racines réelles et inégales, égales ou imaginaires, suivant que est positif, nul ou négatif.

3. Soit l’équation du troisième degré

dans laquelle nous supposons toujours positif.

Considérons la courbe parabolique ayant pour équation

il est clair que la recherche des racines de la proposée se réduit à la recherche des abscisses des intersections de cette courbe avec l’axe des ces racines seront donc toutes trois réelles ou inégales, ou bien deux d’entre elles seront égales, ou enfin il y en aura deux d’imaginaires, suivant que la courbe aura avec l’axe des trois intersections distinctes, ou que deux de ces intersections se confondront en une seule, ou enfin que la courbe ne coupera l’axe des qu’en un seul point. Il pourrait aussi arriver que les trois intersections se confondissent en une seule, auquel cas la proposée aurait ses trois racines égales.

Or, sauf les cas d’exception, sur lesquels nous reviendrons tout-à-l’heure, la courbe aura généralement deux sommets ; et, en supposant, pour fixer les idées, que l’angle des coordonnées positives soit pris au dessus de l’axe des supposé horizontal, et à droite de l’axe des supposé vertical, voici quel sera son cours : de ses deux branches extrêmes et infinies, celle de gauche se prolongera en bas et à gauche, tandis que celle de droite se prolongera en haut et à droite ; et, quant à ses sommets, le plus à gauche aura sa convexité tournée vers le haut, tandis que le plus à droite aura la sienne tournée vers le bas.

Or, de là il est aisé de conclure, 1.o que la proposée ne pourra avoir ses trois racines réelles qu’autant que l’axe des se trouvera compris entre les tangentes aux deux sommets ; 2.o qu’elle aura deux racines égales, lorsque l’axe des se confondra avec l’une ou l’autre de ces tangentes ; 3.o qu’enfin elle aura deux racines imaginaires, si l’axe des est au-dessus ou au-dessous de ces deux tangentes.

Cela revient évidemment à dire, 1.o que la proposée ne pourra avoir ses trois racines réelles et inégales qu’autant que les ordonnées des deux sommets seront de signes contraires ; 2.o que deux de ses racines seront égales, si l’une quelconque de ces ordonnées est nulle ; 3.o qu’enfin elle aura deux racines imaginaires, si ces deux ordonnées ont un même signe quelconque.

Tout se réduit donc, comme l’on voit, à déterminer les ordonnées des deux sommets, ou seulement à pouvoir en assigner les signes ; or, aux sommets de la courbe, on doit avoir c’est-à-dire,

c’est donc là l’équation qui doit donner les abscisses des sommets ; on aura donc l’équation qui donne leurs ordonnées, en éliminant entre celle-ci et l’équation ce qui donnera[3]

La proposée aura donc ses trois racines réelles et inégales, deux racines égales, ou enfin deux racines Imaginaires, suivant que cette dernière aura ou ses deux racines de signes contraires ou l’une d’elles nulle ou toutes les deux de mêmes signes ; c’est-à-dire, suivant que son dernier terme

produit de ces deux racines, sera négatif, nul ou positif.

Passons présentement aux cas particuliers. Nous avons supposé que la courbe parabolique avait deux sommets réels et distincts, ce qui suppose que l’équation a ses deux racines réelles et inégales ou, en d’autres termes, qu’on a (2)

mais, ces deux sommets pourraient fort bien se confondre en un seul ; ou bien ils pourraient être tous deux imaginaires, et c’est ce qui arriverait si cette même fonction était nulle ou négative.

Dans le premier cas, la courbe n’aurait qu’une seule tangente parallèle à l’axe des dans le second, elle n’en aurait aucun ; dans l’un et l’autre elle ne pourrait évidemment couper l’axe des en plus d’un point, et conséquemment l’équation proposée devrait avoir deux racines imaginaires.

Or, lorsque est nul, la fonction qui se réduit alors à est essentiellement positive ; il n’y a donc rien de changé alors au principe que nous avons établi ci-dessus.

Passons au second cas, c’est-à-dire, à celui où l’équation a ses deux racines imaginaires, ou, ce qui revient au même, à celui où est négatif ; si nous résolvons la fonction égalée à zéro, comme équation du second degré en nous trouverons

racines essentiellement imaginaires /lorsque est négatif ; donc, dans cette hypothèse, quelque valeur que l’on donne à dans la fonction on obtiendra toujours des résultats de mêmes signes ; ils seront donc constamment positifs, puisqu’ils sont tels lorsqu’on fait, en particulier, Ainsi, dans ce cas encore, nous n’avons rien à changer à nos conclusions.

Il est un dernier cas qui a échappé à notre analise : c’est celui où les deux sommets se confondant en un seul, c’est à-dire, celui où la courbe n’ayant qu’une seule tangente parallèle à l’axe des cette tangente est l’axe des lui-même. Il est évident qu’alors la proposée doit avoir ses trois racines égales ; il faut donc que son premier membre soit un cube parfait, ou du moins soit susceptible de le devenir au moyen d’un multiplicateur convenable ; soit ce multiplicateur, la proposée devra équivaloir à

c’est-à-dire ;

on devra donc avoir

d’où

et, par suite,

on aura donc, à la fois,

la fonction sera donc nulle, comme dans le cas de deux racines égales seulement ; mais, de plus, l’équation qui, dans ce cas, ne perdait, que son dernier terme, perdra aussi celui qui le précède.

Ainsi, en résumé, et quels que puissent être d’ailleurs les cas particuliers qui auront lieu, 1.o si l’équation a une variation et une permanence, l’équation aura ses trois racines réelles et inégales ; 2.o si celle équation n’a que des permanences, la proposée aura deux racines imaginaires ; 3.o si cette équation est dépourvue de son dernier terme, la proposée aura deux racines égales ; 4.o enfin, la proposée aura ses trois racines égales, si l’équation est privée à la fois de ses deux derniers termes.

Il n’aura pas sans doute échappé au lecteur que la fonction se compose de la même manière des coefficiens qui, dans la proposée, se trouvent être également éloignés des extrêmes. On conçoit que cela ne saurait être autrement, puisqu’en changeant dans la proposée en cette équation ne fait simplement que se renverser ; et que les racines de la nouvelle équation doivent être réelles ou imaginaires, égales ou inégales, suivant que celles de la proposée le sont elles-mêmes. C’est principalement pour laisser apercevoir cette circonstance que nous avons donné un coefficient au premier terme de la proposée ; nous en avons d’ailleurs recueilli l’avantage de n’avoir à considérer que des fonctions homogènes.

4. Soit l’équation du quatrième degré

Soient posées les deux équations

dont la dernière n’est autre chose que la dérivée de la proposée. En éliminant entre elles, et posant, pour abréger,

on obtiendra

[4]

Cette équation est encore, comme ci-dessus, celle qui donne les ordonnées des sommets de la courbe parabolique, lesquels sont ici, en général, au nombre de trois : l’intermédiaire a sa convexité tournée vers le haut : les deux extrêmes ont la leur tournée vers le bas ; et les deux branches infinies de la courbe se prolongent en haut, celle de droite vers la droite, et celle de gauche vers la gauche.

En supposant donc ces trois sommets réels et distincts, on voit, 1.o que la proposée ne pourra avoir ses quatre racines réelles qu’autant que l’axe des se trouvera compris entre la tangente au sommet intermédiaire et celle au sommet extrême dont la tangente est la plus voisine de celle-là ; 2.o que la proposée aura deux racines réelles inégales et deux autres égales, si l’axe des est tangent soit au sommet intermédiaire soit à celui des deux extrêmes qui est le plus élevé ; 3.o qu’elle aura deux couples de racines égales, si l’axe des est à la fois tangent aux deux sommets extrêmes ; 4.o qu’elle aura deux racines réelles inégales et deux racines imaginaires, si l’axe des se trouve compris entre les tangentes aux deux sommets extrêmes ; 5.o qu’elle aura deux racines égales et deux racines imaginaires, si l’axe des est tangent au sommet extrême le moins élevé ; 6.o qu’enfin ses quatre racines seront imaginaires si l’axe des tombe au-dessous de cette dernière tangente.

Tout cela revient évidemment à dire, 1.o que l’équation ne pourra avoir ses quatre racines réelles et inégales qu’autant que l’équation aura une racine positive et deux racines négatives ; 2.o que l’équation aura deux racines réelles inégales et deux racines imaginaires, si l’équation a deux racines positives et une négative ou trois racines négatives ; 3.o que l’équation aura enfin ses quatre racines imaginaires, si les racines de l’équation sont toutes trois positives ; 4.o qu’en particulier, l’équation aura ou deux racines égales ou deux couples de racines égales, suivant que l’équation sera dépourvue de son dernier ou de ses deux derniers termes, et que, dans le premier cas, ses deux autres racines ne seront réelles qu’autant que les racines restantes de l’équation ne seront pas toutes deux positives.

Le dernier terme d’une équation du troisième degré, pris avec un signe contraire étant le produit de toutes ses racines, il s’ensuit que, quand le dernier terme de l’équation sera positif, l’équation aura deux racines réelles et deux racines imaginaires, et que, quand il sera négatif, les racines de l’équation seront toutes quatre réelles ou toutes quatre imaginaires ; mais, par la règle de Descartes, l’équation sera, dans le premier cas, de l’une des trois formes

tandis que, dans le second, elle ne pourra être que de la forme

ainsi ces deux cas seront toujours faciles à discerner l’un de l’autre.

Si nous, en venions présentement à discuter les cas particuliers dans lesquels deux de nos trois sommets deviennent imaginaires, ou dans lesquels ces trois sommets se réduisent à deux ou à un seul, circonstances qui sont indiquées par les équations ou qui ont alors deux racines imaginaires, ou bien deux ou trois racines égales, nous nous convaincrions que ces cas particuliers ne nécessitent aucun changement dans nos conclusions générales relatives au nombre des racines tant réelles qu’imaginaires de la proposée. Il pourrait seulement se faire alors que cette équation eût trois ou même quatre racines égales, ce qu’on reconnaîtrait au nombre des termes de la droite de l’équation qui s’évanouiraient.

5. Soit, en général, l’équation quelconque

et soit

l’équation qu’on obtient en éliminant entre la dérivée

de la proposée et l’équation

[5]

Cela posé, soient et respectivement le nombre des variations et le nombre des permanences de l’équation ce qui donnera Si la proposée est de degré impair, le nombre de ses racines imaginaires sera

et si, au contraire, elle est d’un degré pair, le nombre de ses racines imaginaires sera

[6]

Nous avons construit des formules générales pour les quatre premiers degrés, et on pourrait également en construire pour les autres ; mais il sera peut-être plus court d’opérer immédiatement, dans la pratique, sur les équations numériques.

  1. Ce qu’on va lire présente des points nombreux de ressemblance avec le contenu du VI.e chapitre d’un ouvrage que M. Bérard vient de mettre au jour, sur la Résolution des équations numériques ; mais, l’ouvrage de M. Bérard n’étant point encore en circulation, lorsque ce mémoire nous est parvenu, il est impossible que son auteur en ait eu connaissance. On trouve d’ailleurs des premiers germes de la théorie qui va être exposée, dans un mémoire du même, auteur, inséré à la page 22 du VIII.e volume de ce recueil.
    J. D. G.
  2. Il est clair que tout se réduit à éliminer entre et sauf à changer ensuite, dans le résultat, en or, si l’on prend la différence des produits de par et de par il vient donc, tout se réduit à éliminer d’abord entre les deux équations et ce qui donne et à changer ensuite en On obtient ainsi qui est en effet l’équation du texte.
  3. Pour exécuter facilement cette élimination, et obtenir l’équation finale telle qu’on la voit dans le texte, on remarquera, en premier lieu, que tout se réduit à éliminer entre les deux équations pourvu que, dans le résultat, on change en

    Or, si de l’équation multipliée par on retranche l’équation multipliée par il viendra

    tout se réduit donc à éliminer entre cette dernière équation et l’équation

    et à changer ensuite en dans le résultat.

    Le résultat de cette élimination étant

    il s’ensuit que l’équation finale en doit être

    équation qu’il s’agirait de développer et d’ordonner.

    Mais il est clair qu’on aura les coefficiens de ses différens termes, du dernier au premier, en posant dans or, on a

    ce qui, en faisant donne les trois coefficiens du texte.

    Cela revient, au surplus, à dire que l’équation finale en est

  4. Pour parvenir simplement à cette équation, éliminez d’abord entre les deux équations

    en représentant par l’équation résultante, l’équation cherchée sera

  5. Il est patent, par tout ce qui précède, que l’équation ne doit pas excéder le degré : cela résulte aussi de la théorie de l’élimination. Bezout a démontré, en effet, que si l’on a deux équations en et dans lesquelles les plus hautes puissances de soient respectivement et celles de seulement l’équation finale en n’excéderait pas le degré Or, nous avons ici d’où ; donc le degré de l’équation en doit être au plus
  6. C’est à cela que revient, au fond, le théorème de M. Bérard dont nous avons demandé la démonstration à la page 36 de ce volume : théorème que ce géomètre admet comme un fait analitique.
    J. D. G.