Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Analise algébrique, article 3

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ANALISE ALGÉBRIQUE.

De la résolution de l’équation générale du 3.me degré ;

Par M. de Stainville, répétiteur d’analise à l’école royale
polytechnique.
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La méthode que l’on suit ordinairement pour résoudre les équations du 3.me degré diffère peu de celle que les analistes du xvi.e siècle ont imaginée les premiers pour parvenir au but ; et on peut apporter pour raison de la ressemblance entre leurs procédés et les nôtres la simplicité des calculs qu’exigent leurs méthodes, simplicité que sans doute les modernes n’ont pas espéré de pouvoir surpasser. Mais on peut, sans rien perdre de cette simplicité, parvenir aux formules finales par une route un peu différente, et cela sans rien supposer au-delà de ce que savaient les anciens géomètres, tant sur la composition des équations que sur la grandeur et la nature de leurs racines. La méthode que nous nous proposons d’indiquer ici a de plus l’avantage de porter une plus grande lumière dans l’esprit, de mieux faire voir sous quelles conditions les parties qui composent l’expression générale des racines sont réelles ou imaginaires, et de mieux faire concevoir enfin pourquoi le cas où les trois racines sont impliquées d’imaginaires est précisément le seul où elles puissent être toutes trois réelles.

Si l’on considère l’équation

on pourra regarder les deux premiers termes du premier membre comme étant les deux premiers termes du cube d’un binome, dont serait la première partie et la seconde. Si donc il arrivait qu’il existât entre les coefficiens la relation nécessaire pour que les deux autres termes complétassent le cube de on pourrait, par une simple extraction de racine cubique en déduire une équation du premier degré qui donnerait en fonction des coefficiens. Cela aurait encore lieu, quand bien même le premier membre ne différerait du cube d’un binome que par une quantité constante ; car, en ajoutant à chaque membre ce qu’il manquerait au premier pour le rendre un cube, l’extraction de la racine cubique des deux membres ramènerait également l’équation au premier degré[1].

Si l’équation ne se trouve dans aucun des deux cas que nous venons d’examiner, on pourra la mettre sous la forme suivante

ou encore sous celle-ci

Par conséquent, si l’on pose

la question sera réduite à résoudre l’équation

Pour résoudre cette équation, nous partirons d’un principe fort simple, et qui consiste en ce que la somme de deux cubes se compose du double du cube de la demi-somme de leurs racines et du triple de la somme de ces mêmes racines, multiplié par le quarré de leur demi-différence ; ce qui résulte évidemment de l’équation

Cela posé, si l’on fait passer le terme tout connu du premier membre dans le second, on aura

Or, le premier membre de cette équation étant composé de deux parties, on peut faire en sorte qu’il devienne la somme de deux cubes ; c’est ce qu’on voit aisément, car on a

or, le dernier membre de cette double égalité est, d’après ce qui précède, égal à la somme de deux cubes ; et, comme le premier est d’ailleurs égal à on aura, en formant les deux cubes,

Mais, le premier cube du premier membre de cette dernière équation étant égal à

sera aussi égale à

D’ailleurs, la partie rationnelle est égale à et la quantité, sous le radical, revient à

ainsi, puisque la partie affectée de sous le radical est le quarré de la partie rationnelle, qui est elle-même égale à il en résulte que le radical est égal à et, comme le second cube ne diffère du premier que par le signe du radical, ce second cube sera égal à .

Si l’on tire les racines cubiques de chacun des deux cubes dont il s’agit, on aura les deux équations


lesquelles étant ajoutées donneront

Cette formule présente neuf combinaisons, parmi lesquelles trois seulement se rapportent à l’équation proposée. Il est facile de distinguer celles qui représentent les racines de cette équation, et quelles sont les équations auxquelles les six autres satisfont ; et pour cette raison, nous nous dispenserons d’entrer dans cette discussion.

Il y a un cas qui a beaucoup exercé les géomètres, et qu’on désigne sous le nom de cas irréductible : c’est celui où chacune des deux quantités dont il faut extraire la racine cubique est imaginaire. Lorsque cette circonstance a lieu, les trois racines sont réelles. C’est ce qu’on peut démontrer très-facilement. Désignons, en effet, par respectivement, les racines cubiques des quantités qui sont sous les radicaux cubes, et qui sont propres, par leur addition, à donner une quantité réelle, en désignant par l’une quelconque des deux racines cubiques imaginaires de l’unité ; les deux autres racines de la proposée seront

En mettant pour sa valeur, ces deux racines prendront la forme

mais est supposé une racine réelle de la proposée ; et nous avons vu ci-dessus que

en représentant donc par la racine déjà supposée réelle, on aura

mais on a vu plus haut que

donc

Ainsi, l’une des racines étant les deux autres, seront données par la formule

et par conséquent elles seront toutes trois réelles.

Si l’on veut avoir une idée bien nette du cas irréductible, on observera que la quantité qui est sous le radical quarré, et qui est égale à

ne peut être négative qu’autant que le second facteur l’est lui-même, puisqu’on peut toujours supposer que l’une des valeurs de est réelle. Ainsi, il faut que soit négatif, ce qui est d’ailleurs évident, et que cette valeur de soit moindre que On pourra donc toujours représenter cette valeur de par Si l’on substitue cette expression pour dans l’équation

on aura une équation qui, étant divisée par deviendra

or,

donc

cette équation servira à trouver l’angle et par suite

L’équation entre et ayant lieu encore en remplaçant par ou par étant un nombre entier quelconque, positif ou négatif, et désignant la circonférence ; il s’ensuit que les valeurs de peuvent toutes être représentées par la formule

laquelle, par les diverses suppositions faites pour ne donne que ces trois formes distinctes

les valeurs de au nombre de trois, sont donc toutes réelles, et peuvent s’obtenir par les tables de sinus.

Nous terminerons ici ce que nous nous étions proposé de dire sur les équations du troisième degré ; nous y ajouterons seulement qu’on aurait pu évaluer les deux cubes qui composent le premier membre de l’équation

en fonction des coefficiens d’une autre manière que nous ne l’avons fait ; car le produit des deux cubes qui composent le premier membre, étant égal au cube du produit des racines, sera conséquemment égal à et, comme leur somme est égale à il en résulte que ces cubes sont les racines d’une équation du second degré dont le coefficient du second terme est égal à et dont le dernier terme est égal à mais nous n’avons point voulu faire usage de ce moyen, afin d’éviter l’emploi d’une équation auxiliaire.


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  1. C’est le cas résolu par les Indous ; voyez à ce sujet un article de M. Terquem, dans le III.e volume de la Correspondance sur l’école polytechnique, page 275.