Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Géométrie analitique, article 2

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GÉOMÉTRIE APPLIQUÉE.

De la résolution des équations numériques du 3.me degré,
par la parabole ordinaire ;

Par M. Gergonne.
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On a souvent besoin de résoudre des équations numériques du troisième degré ; et il est très-utile dans ce cas de savoir, au moins, à l’avance, si l’équation proposée a deux racines imaginaires ou si, au contraire, ses trois racines sont réelles. Dans ce dernier cas, les formules générales refusant le service, il peut être commode d’avoir quelque procédé graphique qui fasse connaître les signes des racines, et qui en donne à peu près les valeurs. Monge[1] et antérieurement M. Bérard[2], ont indiqué, pour parvenir à ce but, l’usage de la parabole cubique ; la méthode que je vais exposer, et qui n’emploie que la parabole ordinaire, ne paraît pas être connue.

On sait que, par un point donné comme on voudra sur le plan d’une parabole, on ne peut jamais lui mener que trois normales au plus ; que deux de ces normales peuvent se confondre en une seule, et qu’enfin elles peuvent être toutes deux imaginaires ; de sorte qu’alors il n’y a, par le point dont il s’agit, qu’une seule normale possible et réelle. Ainsi, les trois normales à une parabole présentent exactement les mêmes circonstances qu’offrent les trois racines d’une équation du troisième degré.

Ces circonstances dépendent, comme l’on sait, de la situation du point de départ des normales, par rapport à la développée de la courbe ; c’est-à-dire que les trois normales sont réelles et inégales, ou que deux d’entre elles se confondent, ou enfin que ces deux sont imaginaires, suivant que ce point de départ est dans l’intérieur de l’angle curviligne formé par les deux branches de la développée ou sur un des côtés de cet angle ou enfin hors de ce même angle.

D’un autre côté ; de même qu’en la supposant privée de second terme, ce qui est permis, une équation du troisième degré ne dépend que de deux données seulement, arbitraires l’une et l’autre ; la position du point de départ des normales à la parabole dépend également de deux données arbitraires ; savoir, les deux coordonnées de ce point.

Ainsi, tout concourt à établir la plus parfaite analogie entre le problème des normales à la parabole par un de ses points et la recherche des racines d’une équation numérique du troisième degré ; voici la méthode qui nous a paru la plus propre à ramener la solution du dernier de ces deux problèmes à celle du premier.

Soit

(1)

l’équation d’une parabole rapportée à la tangente à son sommet et à son diamètre principal, comme axe des et des on sait que l’équation de sa développée sera

(2)

de sorte qu’un point sera dans l’angle curviligne formé par les deux branches de cette développée ou hors de cet angle, suivant qu’on aura

(3)

ou

(4)

de sorte que, dans le premier cas, on pourra, par le point mener à la courbe trois normales réelles, tandis que, dans le second, deux de ces normales seront imaginaires ; en particulier, deux des trois normales réelles seront égales, si l’on a précisément

(5)

Cela posé, cherchons les normales par le point La tangente à la courbe, par un point pris sur son périmètre, a, comme l’on sait, pour équation

(6)

avec la condition

(7)

La normale par le même point aura donc pour équation

(8)

Si donc on veut que cette normale soit la normale partant du point il faudra que l’équation (8) soit satisfaite par les coordonnées de ce point, ce qui donnera

(9)

Nous aurons donc, entre les coordonnées du pied de la normale les deux équations (7, 9) au moyen desquelles il sera facile de les déterminer, et par suite, de construire ces normales.

On peut présentement supprimer les accens, dans ces deux équations, lesquelles deviendront ainsi

(10)

et remplacer l’élimination par la construction des courbes exprimées par les équations (10) ; or, la première est la parabole donnée elle-même ; donc la seconde est une courbe qui coupera la parabole donnée en trois points qui seront les pieds des normales partant du point On voit d’ailleurs que cette seconde courbe est une hyperbole équilatère, ayant pour asymptotes l’axe des et une parallèle à l’axe des située à une distance de cet axe. Cette hyperbole coupe d’ailleurs l’axe des en un point pour lequel on a ainsi on a tout ce qu’il faut pour la construire par points[3].

Si l’on élimine entre les équations (10) on obtiendra l’équation

(11)

qui fera connaître les abscisses des pieds des normales[4].

Cette équation étant du troisième degré et sans second terme, on peut la comparer à l’équation générale

(12)

ce qui donne

d’où on tire

(13)

Ainsi ; on pourra facilement construire le point duquel menant des normales à la parabole, les abscisses de leurs pieds seront les trois racines de l’équation (12).

Suivant que ce point tombera dans l’angle formé par les deux branches de la développée, ou sur l’une de ces deux branches ou hors de cet angle, l’équation (12) aura ses trois racines réelles et inégales ou deux racines égales ou enfin une seule racine réelle. En substituant les valeurs (13) dans les inégalités (3, 4) et dans l’équation (5), on trouve d’ailleurs, en transposant

conformément aux théories connues.

Une fois le point de départ des normales déterminé, si l’on veut connaître à peu près les valeurs et les signes des racines, il faudra mener ces normales, et déterminer les abscisses de leurs pieds qui seront les racines cherchées. Ces normales seront faciles à tracer par tâtonnement, puisqu’il ne s’agira que de chercher à décrire de leur point de départ, comme centre commun, des arcs de cercles tangens à la parabole ; leurs points de contact seront les pieds des normales. S’il arrivait que l’un d’eux touchât et coupât à la fois la courbe, l’équation (12) aurait deux racines égales ; et il n’y aurait plus qu’une seconde normale à chercher. Au surplus, si la développée était tracée, en remarquant que les normales cherchées doivent lui être tangentes, on lèverait tout-à-fait l’espèce d’incertitude qui pourrait rester sur le point de contact de la parabole avec chaque arc de cercle[5].

Pour faire usage de ce procédé, il faut avoir une feuille de carton ou de cuivre sur laquelle on tracera avec soin une parabole, dont la distance du sommet au foyer soit divisée en parties égales suivant sa grandeur ; et l’on prendra pour unité l’une de ces divisions. On fera bien de tracer aussi sur le même carton ou cuivre la développée de la courbe[6] ; et il ne s’agira plus alors que d’opérer ainsi qu’il a été prescrit ci-dessus.

Au surplus, comme, dans des cas particuliers, le point pourrait tomber hors du carton, ou avoir des coordonnées trop petites ; on fera bien de substituer à l’équation (12) l’équation

(14)

dans laquelle est une indéterminée, plus grande ou plus petite que l’unité ; on aura alors

on disposera de l’indéterminée de manière à rendre et d’une grandeur telle qu’on les désirera, et, lorsqu’on aura obtenu les racines de l’équation (14), il ne s’agira que de les diviser par pour en conclure celles de l’équation (12),

Nous ne donnons, au reste, cette méthode qu’en faveur des géomètres à qui ces sortes de spéculations offrent quelque intérêt, Nous estimons que de toutes les méthodes de résolution des équations numériques du 3.me degré, celles qu’on déduit de la considération des fonctions circulaires sont incomparablement les plus courtes et les plus simples.

  1. Correspondance sur l’école polytechnique, tom. III, n.o 2, mai 1815 ; page 201.
  2. Opuscules mathématiques et Méthodes nouvelles pour déterminer les racines des équations numériques, page 33.
  3. Dans la recherche des pieds des normales partant du point l’hyperbole peut être remplacée par une infinité d’autres courbes. Les équations (10), en effet, ayant lieu en même temps pour ces points, toute combinaison qu’on en pourra faire aura lieu en même temps qu’elles, et exprimera conséquemment une courbe coupant la parabole donnée aux points cherchés.

    On peut, en particulier, remplacer l’hyperbole par un cercle. Si, en effet, on multiplie la dernière des équations (10) par en remplaçant par en vertu de la première, et divisant par il viendra

    ajoutant à cette équation la première des équations (10), il viendra enfin

    équation d’un cercle qui passe par l’origine, c’est-à-dire, par le sommet de la courbe, et dont le centre est donné par les deux équations

    Cette solution est exactement celle qu’a donnée M. Bérard, dans ses Opuscules mathématiques, page 109, et à laquelle il est parvenu d’une manière un peu différente.

  4. De ce que cette équation est sans second terme il en résulte que les trois normales partant d’un même point du plan d’une parabole ne sauraient jamais se terminer d’un même côté de son axe, et que la somme des distances à l’axe des pieds des normales qui tombent d’un même côté de cet axe est égale à la distance à l’axe du pied de la troisième normale. On pourra donc, avec la règle et le compas seulement, résoudre ce problème : Étant données deux normales à une parabole, mener, par leur point de concours, une troisième normale à la courbe ? Si deux des normales se confondent, auquel cas elles doivent être tangentes à la développée, la distance de leur pied à l’axe sera moitié de la distance de la troisième au même axe ; ce qui fournit un moyen simple de résoudre ce problème : Étant donnée une normale à la parabole, trouver en quel point elle coupe la développée de cette courbe ? développée que l’on suppose d’ailleurs n’être point encore tracée. On a donc ainsi une méthode fort simple pour déterminer rigoureusement tant de points qu’on voudra de la développée d’une parabole donnée, ainsi que la tangente à cette développée en chacun de ces points.
  5. On pourra aussi mener ces normales par le procédé direct de l’avant-dernière note.
  6. On pourra la tracer par points, par le procédé de la dernière note.