Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Géométrie transcendante, article 1

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GÉOMÉTRIE TRANSCENDANTE.

Mémoire sur les développantes successives d’une même
courbe quelconque ;

Par un Ancien élève de l’école polytechnique.
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Nous nous proposons ici de démontrer quelques théorèmes relatifs aux développantes successives des courbes quelconques, continues ou discontinues. Quelques-uns des objets qui vont nous occuper ont déjà été traité par L’Hôpital, Bernouilli, Euler, et récemment par M. Poinsot. Mais, comme il peut n’être pas sans intérêt de montrer comment on parvient au même but par des routes diverses, nous reprendrons de nouveau les questions traitées par ces illustres géomètres, pour en former un tout avec ce qui nous appartient en propre dans ce mémoire. Le lecteur y trouvera d’ailleurs l’avantage de n’avoir pas besoin de recourir à d’autres écrits pour entendre complètement celui-ci.

THÉORÈME 1. Si l’on forme la développante d’un arc de courbe quelconque, puis la développante de cette développante, puis la développante de cette dernière courbe, et ainsi de suite ; en faisant commencer ces développantes consécutives à une même extrémité de la courbe primitive ; on obtiendra ainsi une suite d’arcs de courbes partant d’un même point, alternativement normales et tangentes en ce point à la courbe primitive, et ayant conséquemment pour tangentes et normales communes en ce même point deux droites indéfinies perpendiculaires l’une à l’autre.

Or, 1.o en prenant avec des signes contraires les arcs qui vont dans des directions opposées, la somme infinie des arcs tangens à l’arc primitif est égale à la projection de l’arc donné sur sa tangente à l’extrémité opposée à celle de laquelle partent toutes les développantes.

2.o En prenant également avec des signes contraires les arcs qui vont dans des directions opposées, la somme infinie des développantes normales à la courbe primitive sera égale à la projection de l’arc donné sur sa normale à l’extrémité opposée à celle de laquelle partent toutes les développantes.

Soit (fig. 1) un arc de courbe quelconque, dont et soient la tangente et la normale à l’extrémité et dont et soient la tangente et la normale à l’autre extrémité Soient de plus les projections de l’arc sur ces deux dernières droites.

Soient une série d’arcs, tels que chacun soit la développante de celui qui le précède immédiatement. Il s’agit de démontrer, 1.o que

2.o que

On doit remarquer que le théorème ne suppose pas nécessairement que l’arc primitif soit soumis à une loi analitique ; de manière qu’on peut même lui substituer une portion de polygone quelconque, rectiligne, curviligne ou mixtiligne.

M. Poinsot a déjà remarqué la vérité du théorème, dans le cas où l’arc primitif est un arc de cercle ; il s’agit de faire voir qu’il a lieu également, lorsque l’arc primitif est une ligne quelconque.

Démonstration. Soit pris sur l’arc primitif à partir de son extrémité une partie variable soit la tangente correspondante, terminée en à la développante de soit fait soit la tangente à en terminée en à sa développante soit fait et ainsi de suite. Soit enfin l’angle variable que fait la tangente en avec la tangente en Soient de plus pris pour les axes des coordonnées.

Cela posé, les choses étant d’ailleurs (fig. 2) comme nous les avons supposées (fig. 1) ; concevons que l’arc augmente de la quantité l’arc augmentera de la quantité et l’on aura l’angle De plus, l’arc pouvant être considéré comme une ligne droite, le triangle rectangle en donnera

c’est-à-dire,

ou simplement

d’où

l’intégrale devant s’évanouir en même temps que

D’après cela, il est clair qu’on devra avoir

Si l’on développe ces intégrales au moyen de l’intégration par parties ; en se rappelant qu’elles doivent s’évanouir en même temps que on aura

La série infinie des arcs de rangs pairs, pris avec leurs signes, est

Si l’on y substitue pour les valeurs ci-dessus, il viendra ; en réunissant ce qui multiplie chaque intégrale,



c’est-à-dire,



ou, en faisant tout passer sous le même signe d’intégration, ce qui est permis, puisque les limites sont les mêmes,

Or, et sont les projections de la courbe primitive sur les tangente et normale au point en représentant donc respectivement ces projections par et on aura

et on trouverait pareillement

Or, ce sont précisément là les formules au moyen desquelles on passe d’un système rectangulaire à un autre système rectangulaire formant un angle avec le premier, d’où il suit que ces deux séries ne sont autre chose que les projections de l’arc sur la tangente et sur la normale à son autre extrémité ainsi que l’énonce le théorème.

Les développemens de d’où nous avons conclu ce théorème, ne supposent aucunement que la relation entre les deux variables et puisse être exprimée par une fonction analitique, unique et continue ; ils ne sont fondés, en effet, que sur le principe d’intégration par parties, lequel a toujours lieu quel que puisse être le genre de dépendance entre et Il faut seulement observer que, dans les séries

les arcs doivent se mesurer en prenant négativement les portions de développantes qui répondraient à des décroissemens de l’angle c’est-à-dire, à des mouvemens de la tangente inverses de son mouvement primitif.

Avant de passer à d’autres propositions qu’on peut conclure du précédent théorème, nous ferons remarquer que les arcs de développantes consécutifs, correspondant à un angle donné doivent nécessairement décroitre sans cesse, de manière à devenir enfin moindres que toute longueur donnée ; du moins tant que l’arc primitif n’est pas infini ; car, puisque chacune des séries

se décompose en d’autres dont la sommation ne dépend que de celles de de et des intégrales lesquelles s’obtiennent toujours, quel que soit lorsque n’est pas infini ; il s’ensuit que ces séries en sont toujours convergentes, et qu’ainsi les arcs dont on vient de parler finissent par s’approcher indéfiniment de zéro.

On parviendrait à la même conclusion, en formant la somme

cette intégrale devant, en effet, être finie, tant que le sera lui-même, on est certain que la série dont elle exprime la valeur est convergente, et qu’ainsi les longueurs des développemens successifs, faits dans le même sens, finissent par décroitre indéfiniment.

THÉORÈME II. Si l’on forme la développante d’un arc de courbe quelconque, puis la développante de cette développante, puis la développante de cette dernière courbe, et ainsi de suite, en alternant constamment la direction du mouvement de la tangente ; c’est-à-dire, en faisant commencer chaque développante au point où finit celle qui la précède immédiatement ; ces développantes se trouveront toutes comprises entre la tangente à l’une des extrémités de l’arc primitif et la normale à son autre extrémité. Cela posé,

1.o Si les deux droites indéfinies qui comprennent toutes ces courbes sont convergentes, auquel cas les développantes auront des longueurs sans cesse décroissantes ; ces développantes tendront aussi sans cesse à devenir des épicycloïdes intérieurs ;

2.o Si ces droites sont parallèles, les développantes tendront sans cesse à devenir des cycloïdes ;

3.o Enfin, si ces mêmes droites sont divergentes, les développantes tendront sans cesse à devenir des épicycloïdes extérieures.

Soient une suite indéfinie d’arcs de courbes (fig. 3), dont le premier est quelconque et dont chacun est la développante de celui qui le précède immédiatement ; de telle sorte que le premier développement se fasse de vers le second de vers le troisième de vers et ainsi de suite. Les points se trouveront tous sur la normale à la courbe primitive au point laquelle est rencontrée en par la normale à son autre extrémité et les points seront tous situés sur la tangente menée à la courbe primitive, par cette dernière extrémité, laquelle se trouve coupée en par la tangente à son autre extrémité

Soit fait l’angle les deux droites seront convergentes, parallèles ou divergentes, suivant que l’angle sera aigu, droit ou obtus. Il s’agit donc de démontrer que les développantes consécutives tendront à devenir des épicycloïdes intérieurs dans le premier cas, des cycloïdes dans le second et des épicycloïdes extérieures dans le troisième.

Ici encore, comme dans le précédent théorème, l’arc primitif peut n’être point assujetti à la loi de continuité ; ce peut être même une portion de polygone quelconque, rectiligne, curviligne ou mixtiligne.

Soient une suite d’arcs variables consécutifs et correspondant, développans les uns des autres ; et soit l’angle que fait la tangente au point avec la tangente au point

Soient enfin les longueurs totales des développantes

Nous aurons d’abord, comme dans le précédent théorème,

l’intégrale s’éyanouissant avec On aurait de même

mais donc

Ces valeurs de indiquent, en général, comment on peut passer d’une développante à la suivante ; et l’on voit qu’on peut poser cette suite d’équations

Si l’on fait les substitutions, on trouvera

La loi de ses développemens se trouve suffisamment établie, par les

équations même qui ont servi à les obtenir : on passe d’un arc de numéro pair au suivant, en intégrant à partir de et de ce dernier à l’arc de numéro pair qui vient après, en retranchant une intégrale semblable du terme correspondant de la suite

Comme les développantes de numéros impairs entrent seules avec les intégrales successives dans les expressions de tous ces arcs, nous allons examiner seulement comment varient ces développantes. Comme n’est autre chose que la valeur de qui répond à l’arc il s’ensuit qu’on doit avoir

Pour avoir le développement du terme général après qu’on en a éliminé tous ceux qui le précèdent, soient multipliées ces équations, excepté la dernière, par des coefficiens et formons-en la somme, en égalant à zéro les quantités qui multiplient nous aurons ainsi

les coefficiens étant déterminés par les équations

Comme tous ces coefficiens contiendront des termes homogènes en nous ferons les nouveaux coefficiens se trouveront ainsi donnés par les équations

L’inspection de l’équation qui donne le coefficient en fonction des précédens suffit pour faire voir que les nombres sont les coefficiens du développement de car, en posant

le terme général du produit, égalé à zéro, donnera pour la valeur précédente.

Les coefficiens du développement des peuvent s’obtenir d’une manière qui en fait connaître la loi ; il suffit de multiplier par le produit indéfini

désignant le quart du cercle, ou Ce produit étant convergent pour on peut poser, dans cette limite de

mais, à cause de la convergence du produit qui donne le cosinus, on peut appliquer, à la fraction précédente, la décomposition en fractions simples, et poser, en vertu de ce que est une fonction paire,

représentant un nombre impair quelconque. On déterminera par la valeur que prendra pour En différentiant les deux termes on a

faisant on a, suivant que est divisible par deux seulement ou par quatre,

ainsi

On obtiendra donc le terme général de en développant toutes ces fractions en progression, et en réunissant les coefficiens de dans les progressions. Il viendra ainsi

ou bien, en mettant en facteur commun, et multipliant de part et d’autre par

[1]

et telle est l’expression générale des coefficiens

qui,

comme on l’a vu, donnent la valeur de la développante savoir

Pour appliquer cette formule à la démonstration du théorème énoncé, nous prendrons d’abord le cas le plus simple, c’est-à-dire, celui où l’angle il est visible qu’alors tendra vers la limite constante puisqu’alors sera l’unité, et que la série numérique qui entre dans l’expression de converge très-promptement vers l’unité. Et, comme les premiers coefficiens n’affectent que les intégrales qui, comme on l’a démontré, décroissent indéfiniment ; il en résulte que, pour très-grand, on aura sensiblement

La série formée par ces intégrales a été trouvée (Théor. 1) égale à la projection de la courbe primitive sur la dernière normale Dans le cas où cette projection devient la distance entre deux parallèles qui comprennent les développantes. En la désignant par on a, à la limite,

ainsi, les longueurs des développantes finissent par être constantes L’équation de ces courbes limites est, d’après cela, facile à obtenir, puisque la relation entre les arcs et les angles est donnée, pour les développantes de numéros pairs, par

On a démontré que les intégrales dont toutes les origines étalent décroissaient indéfiniment ; ce dernier terme disparaitra donc à la limite. De plus, les arcs ne s’écartant sensiblement de que lorsqu’ils portent sur la portion négligeable de la série : on peut écrire, pour infini,

Cette relation appartient à la cycloïde dont la longueur totale est ou et dont le demi-grand axe est Il résulte d’ailleurs du mode de génération des développantes de numéros impairs qu’elles seront aussi des cycloïdes égales ; c’est d’ailleurs ce que l’on trouverait directement, par l’expression de

Reprenons présentement le cas général, où l’angle formé par les normales extrêmes, est quelconque. On a vu qu’une développante de numéro impair quelconque était donnée par la formule

et qu’on avait généralement

Pour très-grand, la série se réduit à l’unité, et l’on a, à la limite

on peut donc, en vertu de la convergence de la série

poser, pour infini

}}

On conclut de là que le rapport de deux développantes successives d’ordre impair est, à la limite, égal à mais comme on a, pour un arc variable, correspondant à l’angle

on pourra poser, à la limite,

En faisant, dans cette équation, on aura l’arc total on peut donc écrire

Telle est donc l’équation de la courbe vers laquelle tendent les développantes d’ordre pair. On trouverait, soit en intégrant cette équation, soit en prenant directement la formule qui donne

, ou

Cette équation, comparée avec la précédente, qui donne fait voir que la courbe limite est telle que sa développante est une courbe semblable, mais dans une position inverse. Le rapport de grandeur des arcs correspondans, dans l’un à et dans l’autre à est

On peut faire voir assez simplement, par des considérations géométriques, que l’épicycloïde est la courbe qui jouit de cette propriété, et qui a pour équation

Concevons, en effet, une épicycloïde (fig. 4) décrite par la demi-révolution d’un cercle dont le rayon est sur  ; et proposons-nous de trouver le centre de courbure pour un point de cette courbe. On sait que la normale au point passe par le point de contact des deux cercles ; il ne reste donc, pour connaître le rayon de courbure, qu’à chercher le point d’intersection de deux normales consécutives.

Soient et Si le rayon tourne de la normale tournera de  ; or, il est facile de voir que

d’où ;

l’angle des deux normales consécutives sera donc

ou

Le point s’est déplacé, dans le sens du cercle fixe de pour avoir ce déplacement, mesuré perpendiculairement à la normale, on le multipliera par ou par ce qui fera Or, à la limite, ce même déplacement est égal à multiplié par l’angle des deux normales ; on a donc,

d’où

Il est facile de conclure du rapport constant des deux lignes que, si l’on décrit, au-dessous du cercle générateur, un autre cercle, dont le diamètre soit à celui du premier dans le rapport c’est-à-dire, dans le rapport des distances au centre le point de la développée se trouvera toujours sur ce cercle ; et comme l’arc sera toujours égal à le point décrira une nouvelle épicycloïde semblable ; mais réduite, dans le rapport On peut aisément se convaincre, d’après cela, que cette propriété identifie l’épicycloïde avec la courbe limite de notre théorème ; car, en désignant par l’arc et par l’angle décrit par la normale ou la tangente, on aura

mais et est précisément la courbe totale en l’appelant donc on a

l’angle dont la tangente a tourné, est précisément ou on a donc

d’où

Si est l’angle total formé par les tangentes extrêmes ; comme qui lui correspond on aura

d’où

on a donc ; en substituant,

d’où l’on conclut, pour l’équation de l’épicycloïde,

équation qui est précisément celle de la courbe vers laquelle tendent les développantes successives. Et, comme les considérations précédentes s’appliquent aux épycîcloïdes intérieures, pourvu qu’on prenne et de signes contraires, on voit facilement que leurs équations seront de même

l’angle étant alors plus petit que Le théorème se trouve donc ainsi complètement démontré.

Paris, le 13 de juillet 1818.
  1. On peut déduire assez simplement de ceci la sommation de la série

    car on a

    or, on peut obtenir soit par les équations successives

    Soit par en y faisant en sorte qu’on a