Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 10/Analise appliquée, article 1

La bibliothèque libre.

ANALISE APPLIQUÉE.

Problème général des engrenages à axes fixes ;

Par M. Frédéric Sarrus.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

Je me propose de montrer ici comment le problème des engrenages à axes fixes peut être facilement ramené aux procédés généraux de l’analise mathématique. Je pourrais aborder immédiatement le cas le plus général de ce problème ; mais, pour en rendre la solution plus facile à saisir, je pense qu’il ne sera pas hors de propos de traiter d’abord un cas beaucoup plus simple : c’est celui où l’axe du pignon ou de la lanterne étant parallèle à celui de la roue, toutes les sections faites dans l’un et l’autre corps par des plans perpendiculaires à la direction commune de leurs axes sont des courbes égales, semblablement situées, et ayant pour points homologues les points où leurs plans sont rencontrés par leurs axes ; c’est-à-dire, en d’autres termes, le cas où la roue et le pignon ou lanterne sont des surfaces cylindriques, ayant leurs élémens rectilignes parallèles à la direction commune de leurs axes. Tout se réduit alors, en effet, à remplir les conditions qui doivent être satisfaites, pour l’un quelconque des plans perpendiculaires aux axes ; et on a alors à résoudre simplement un problème de géométrie plane qui peut être énoncé comme il suit :

PROBLÈME, Deux surfaces planes situées dans un même plan, où elles doivent demeurer constamment, ne peuvent prendre d’autre mouvement qu’un mouvement de rotation autour de deux points fixes du plan où elles sont situées. La courbe qui termine la surface étant donnée, on demande par quelle courbe doit être terminée la surface pour que ces deux courbes, tournant librement autour de leurs centres de rotation respectifs, avec des vitesses données quelconques, constantes ou variables, les courbes qui les terminent se trouvent continuellement tangentes l’une à l’autre ?

Solution, De quelque manière que soient mus les différens corps d’un système, lorsqu’on n’a à s’occuper que de leur mouvement relatif, il est toujours permis de supposer l’un d’eux immobile, pourvu que l’on transporte aux autres son mouvement en sens contraire. On peut, en effet, imaginer tout le système renfermé dans un espace clos que l’on fait mouvoir dans l’espace indéfini, de telle sorte que le corps que l’on veut supposer immobile le soit en effet, dans ce dernier espace ; d’où l’on voit qu’alors les autres corps du système, outre le mouvement qu’on avait d’abord attribué à chacun d’eux, auront encore un mouvement commun, égal à celui de l’espace clos, et par conséquent contraire au mouvement effectif du corps que l’on suppose immobile.

Pour appliquer ces considérations au problème qui nous occupe, supposons que la surface soit immobile ; il nous faudra, pour légitimer cette supposition, attribuer au point un mouvement circulaire autour du point et alors notre problème se trouvera simplement réduit au suivant :

Pendant qu’une surface plane terminée par une courbe donnée, tourne sur un plan, autour de l’un quelconque de ses points, avec une vitesse donnée quelconque, constante ou variable, le point décrit, dans le même plan, une circonférence d’un rayon donné, ayant pour centre un autre point de ce plan, avec une vitesse constante ou variable, également donnée et quelconque ; on demande quelle est la courbe à laquelle, dans ce mouvement, la courbe est continuellement tangente ?

Or, le problème, ainsi envisagé, n’est qu’un cas particulier du problème des enveloppes planes, et peut être facilement résolu comme il suit.

Soit la distance constante entre les deux points Soit rapportée la courbe fixe cherchée à des coordonnées rectangulaires fixes sur le plan des deux courbes, et dont, pour plus de simplicité, nous supposerons l’origine en

Soit rapportée la courbe mobile donnée à des coordonnées fixes sur cette courbe, mais mobiles avec elle sur le plan des deux surfaces, tant autour du point qu’autour du point en prenant encore, pour plus de simplicité, le point pour origine.

Soit, pour une époque quelconque, l’angle variable que fait la droite mobile avec l’axe des les équations du point par rapport au premier système de coordonnées, seront ainsi, pour la même époque,

Si, dans la vue d’obtenir la courbe, lieu du point dans toutes ses positions autour du point on élimine, entre ces deux équations, il viendra

équation d’un cercle, comme on pouvait bien s’y attendre.

À la même époque, l’axe des qui varie sans cesse de position, fera, avec la droite mobile un angle fonction de l’angle dont la grandeur dépendra du rapport des vitesses de rotation des deux surfaces ; nous représenterons cet angle par d’où l’on voit que l’angle des axes des et des sera

Par les formules connues à l’aide desquelles on passe, sur un plan, d’un système rectangulaire à un autre système qui l’est également, on aura

ou, en développant et réduisant,

Cela posé, soit

l’équation de la courbe rapportée à ses propres axes, et que l’on suppose donnée, dans l’énoncé du problème, en y substituant pour les valeurs que nous venons de trouver en l’équation résultante, de la forme

sera celle de cette même courbe dans toutes les positions qu’elle peut prendre par rapport à la courbe ou, ce qui revient même, cette équation sera l’équation commune à une infinité de courbes, dont chacune sera une des positions de la courbe par rapport à la courbe et qu’on en déduirait en faisant varier la valeur du paramètre Puis donc que, dans toutes ces positions, la courbe doit continuellement être tangente à la courbe, cette dernière ne sera autre chose que l’enveloppe de l’espace parcouru par la première. En conséquence, et d’après la théorie connue des enveloppes[1], si l’on élimine entre cette dernière équation et sa différentielle prise par rapport à ce paramètre, l’équation résultante, de la forme

sera l’équation demandée de la courbe inconnue Venons présentement à quelques applications.

Supposons, en premier lieu, que la courbe donnée soit un cercle ayant le point pour centre et un rayon égal à son équation, par rapport à ses propres axes ; sera

en y substituant pour leurs valeurs en elle deviendra

ou, plus simplement,

équation qu’on peut encore mettre sous cette forme

Il ne s’agit donc plus présentement que d’éliminer entre cette équation et sa différentielle, prise uniquement par rapport à cette lettre ; or, cette différentielle est

ou, plus simplement,

combinant cette équation avec il viendra

ce qui donnera, en substituant dans l’équation, chassant les dénominateurs et réduisant,

d’où

et, en transposant et quarrant,

équation commune à deux cercles concentriques, ayant le point pour centre commun, et ayant pour rayons la distance augmentée ou diminuée du rayon du cercle dont le centre est  ; et cela quelque fonction d’ailleurs que soit de C’est, au surplus, un résultat qu’il était facile de prévoir ; il justifie complètement l’exactitude de notre procédé.

Pour second exemple, admettons que soit une droite telle que les coordonnées du pied de la perpendiculaire abaissée sur elle de l’origine soient et son équation sera

en y mettant pour leurs valeurs en elle deviendra

Supposons présentement que le rapport des vitesses de rotation soit tel qu’en supposant celle de uniforme, celle de le soit aussi, mais fois plus rapide ; nous aurons alors d’où notre équation deviendra donc

sa différentielle, par rapport à sera

en joignant ces deux équations, les équations

on en déduira les valeurs de et par suite celles de En supposant donc qu’on trouve

ou en conclura

d’où, en multipliant en croix

Ce calcul ne présente rien de difficile, mais il conduit des formules finales extrêmement compliquées.

Pour troisième exemple, supposons que la courbe soit un cercle, ayant pour les coordonnées de son centre ; en posant toujours l’origine en son équation sera

en y mettant pour leurs valeurs en elle deviendra

Faisant, dans cet exemple, comme dans le précédent elle deviendra

La différentielle de cette équation, par rapport à sera

Il s’agira donc d’éliminer entre cette équation et la précédente. Pour cela, on en éliminera d’abord et au moyen des formules

ces équations ne renfermant plus alors que en leur joignant les deux équation.

on parviendra aux valeurs de ces quatre quantités, et l’on achèvera comme il a été dit ci-dessus.

Passons présentement au problème général, que nous pouvons énoncer comme il suit.

PROBLÈME. Deux corps ne pouvant prendre d’autre mouvement qu’un mouvement de rotation autour de deux axes respectifs fixes dans chacun d’eux, ainsi que dans l’espace, et situés ou non dans un même plan ; on suppose que la surface de est donnée, et on demande quelle doit être la surface de pour que, ces deux corps tournant librement autour de leurs axes respectifs, avec des vitesses angulaires données quelconques, constantes ou variables, leurs surfaces soient continuellement tangentes l’une à l’autre ?

Solution, ici encore, comme dans le premier problème, il nous sera permis de supposer que le corps est immobile, pourvu que nous transportions au corps dont l’axe est supposé invariablement lié au sien, un mouvement de rotation autour de ce dernier axe, égal et contraire à celui du corps autour de ce même axe. Le problème se trouvera ainsi réduit au suivant :

Pendant qu’un corps terminé par une surface donnée, tourne autour d’un axe fixe dans ce corps, mais mobile dans l’espace, avec une vitesse donnée quelconque, constante ou variable, cet axe lui-même tourne autour d’un autre axe absolument fixe dans l’espace, situé ou non dans le même plan avec lui, et auquel on le suppose invariablement lié, avec une autre vitesse donnée quelconque, également constante ou variable ; on demande quelle est la surface à laquelle, dans ce double mouvement, la surface sera continuellement tangente ?

Or, le problème, ainsi envisagé, n’est plus qu’un cas particulier du problème général des surfaces enveloppes, et peut se traiter comme il suit.

Soit la longueur de la perpendiculaire commune aux deux axes et soient respectivement, les points de ces axes où elle se termine. Soit, de plus, l’angle des deux axes.

Rapportons la surface fixe cherchée à des coordonnées rectangulaires, immobiles dans l’espace ; en prenant, pour plus de simplicité ; l’axe pour l’axe des et le point pour origine ; sans rien statuer d’ailleurs sur la direction des deux autres axes.

Dans le mouvement de l’axe autour de l’axe le point décrira, sur le plan des un cercle ayant l’origine pour centre et la longueur pour rayon. Il percera constamment le plan des en quelque point de cette circonférence ; et si l’on désigne par l’angle que fait avec l’axe des la perpendiculaire commune pour une époque quelconque, les équations du point seront, pour cette époque,

Quant à l’axe puisqu’il passe par ce point, qu’il est constamment perpendiculaire à et qu’il fait continuellement un angle avec l’axe ou l’axe des ses équations, pour la même époque, seront,

Si, dans la vue d’obtenir la surface courbe, lieu de l’axe dans toutes ses positions autour de l’axe on élimine entre ces deux équations, il viendra

équation d’une hyperboloïde de révolution à une nappe, ainsi cela doit être.

Rapportons présentement la surface donnée à un autre système de coordonnées rectangulaires fixes dans cette surface, mais mobiles avec elle dans l’espace, tant autour de son axe propre qu’autour de l’axe fixe mais encore ici, pour plus de simplicité, prenons l’axe de révolution lui-même pour axe des et le point pour origine. Le plan des coupera constamment celui des suivant la droite mobile et fera avec lui un angle constamment égal à Quant à l’axe des l’angle qu’il fera avec cette droite sera un angle variable, fonction de dont la relation avec cet autre angle dépendra de la nature des deux mouvemens de rotation. Nous représenterons cet angle par d’après quoi l’axe des fera avec les un angle pour lequel on aura

Ces choses ainsi entendues, supposons que l’on veuille amener le système des à coïncider avec celui des on pourra y procéder par degrés, ainsi qu’il suit ; 1.o on fera d’abord tourner le système autour de l’axe des de la quantité angulaire soient alors les dénominations respectives des nouvelles coordonnées ; l’axe des se trouvera coïncider avec la droite 2.o on fera ensuite tourner le second système autour de l’axe des de la quantité angulaire soient alors les dénominations respectives des nouvelles coordonnées ; alors le plan des coïncidera avec celui des de sorte que, pour compléter la coïncidence, il ne sera plus question, 3.o que de faire tourner ce dernier système autour de l’axe des de la quantité angulaire et de transporter ensuite l’origine de en

Donc, par les formules à l’aide desquelles on passe, sur un plan, d’un système rectangulaire, à un autre qui l’est également, on aura successivement

substituant donc les valeurs de dans celles de et ensuite celles-ci dans celle de on aura

Cela posé, soit

l’équation de la surface rapportée à ses propres axes, et que l’on suppose donnée dans l’énoncé du problème ; en y substituant pour les valeurs que nous venons de trouver, en l’équation résultante, de la forme

sera celle de cette même surface dans toutes les positions qu’elle peut prendre, par rapport à la surface cherchée ou, ce qui revient au même, cette équation sera l’équation commune à une infinité de surfaces, dont chacune sera une des positions de la surface, par rapport à la surface, et qu’on en déduirait en faisant varier la valeur du paramètre Puis donc que, dans toutes ces positions, la surface doit être continuellement tangente à la surface cette dernière ne sera autre chos»e que l’enveloppe de l’espace parcouru par la première. En conséquence, et d’après la théorie connue des surfaces enveloppes[2], si l’on élimine entre cette dernière équation et sa différentielle prise par rapport à ce paramètre, l’équation résultante, de la forme

sera l’équation demandée de la surface inconnue

Avant de passer aux applications, considérons, en particulier, le cas où les deux axes sont parallèles ; on a alors et nos formules deviennent

formules qui coïncident parfaitement avec celle du premier problème, ainsi qu’il doit en effet arriver dans ce cas.

Pour premier exemple, supposons que la surface soit une sphère dont le centre soit sur l’axe son équation sera de la forme

en y mettant pour leurs valeurs en elle deviendra, toutes réductions faites,

La différentielle de cette équation, prise par rapport à est

si, dans ces deux équations, on considère et comme deux inconnues, on en tirera

prenant la somme des quarrés de ces deux équations, disparaîtra de lui-même, et, en réduisant, on obtiendra, pour l’équation de la surface cherchée,

ou, en chassant les dénominateurs et développant,

équation que l’on reconnaîtra aisément pour être celle d’un canal circulo-cylindrique incliné au plan des

Si l’on suppose le centre de la sphère au point on aura et l’équation deviendra

équation d’un canal circulo-cylindrique de révolution autour de l’axe des quel que soit d’ailleurs l’angle

Soit, en général, la surface une surface de révolution autour de l’axe des son équation sera de la forme

ce qui donnera, en substituant,

équation indépendante de comme on pouvait bien s’y attendre.

Si la surface est un cylindre, nous aurons simplement et l’équation sera

sa différentielle, par rapport à sera

Il ne s’agira donc plus que d’éliminer et entre ces deux équations et l’équation

Ces applications n’ont, comme l’on voit, d’autre difficulté que la longueur et la complication des calculs ; et, pour cette raison, nous ne les étendrons pas davantage. Nous terminerons donc en observant que, communément, le mouvement des pignons et lanternes étant beaucoup plus rapide que celui des roues ; la moindre défectuosité dans la construction de leurs ailes ou fuseaux peut entraîner de graves irrégularités dans la marche des machines ; c’est donc principalement sur la parfaite exécution de ces ailes ou fuseaux que l’attention de l’artiste doit se porter ; puis donc que, d’après la théorie qui vient d’être développée, leur forme est arbitraire, nous conseillerons de tailler les ailes des pignons en triangles isocèles, ou pour mieux dire en prismes triangulaires isocèles, et de faire les fuseaux des lanternes cylindriques ; attendu que, ces formes étant d’une exécution facile, ce doit être aussi celles qu’on peut se promettre d’exécuter avec le plus de perfection.

  1. Voyez, entre autres, la page 361 du III.e volume du présent recueil.
  2. Voyez l’endroit de ce recueil déjà cité.