ANNALES
DE MATHÉMATIQUES
PURES ET APPLIQUÉES.
ANALISE TRANSCENDANTE.
Essai d’une méthode générale, servant à intégrer, avec une approximation illimitée, toute équation différentielle à deux variables ;
Par
M. le professeur
Kramp, correspondant de l’académie royale
des sciences, doyen de la faculté des sciences de Strasbourg,
Chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur.
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Dans plusieurs précédens mémoires[1], nous avons enseigné à construire des formules à l’aide desquelles on peut intégrer, entre deux limites données et avec tout le degré d’approximation qu’on peut désirer, toute fonction différentielle d’une seule variable : nous nous proposons de montrer ici comment, en suivant l’esprit de la même méthode, on peut parvenir à intégrer, avec le même degré d’approximation, toute équation différentielle d’ordre et de degré quelconque, entre deux variables Ce sujet semble devoir mériter d’autant plus d’intérêt que notre indigence, relativement à cette branche d’analise, n’est malheureusement que trop bien connue : que les équations généralement intégrables se réduisent à un très-petit nombre de classes ; et qu’encore leurs intégrales ne sont, pour la plupart, que des équations compliquées et transcendantes, dont on ne saurait, le plus souvent, tirer aucun parti, pour obtenir la valeur de l’une des variables en fonction de l’autre.
Soit une équation différentielle quelconque, représentée généralement par
(1)
si son intégrale pouvait être obtenue, et si cette intégrale était résoluble par rapport à on en tirerait, pour cette variable, une expression de cette forme
(2)
laquelle, après avoir déterminé les constantes , par conditions distinctes, prendrait cette nouvelle forme
(3)
et alors seulement il deviendrait possible d’assigner, soit exactement, soit par approximation, la valeur de , répondant à une valeur quelconque attribuée à cette valeur serait, en effet,
(4)
L’objet que nous nous proposons ici est de parvenir à cette valeur de sans passer par le double intermédiaire de l’intégration de l’équation (1) et de la résolution de son intégrale par rapport à
Observons d’abord, avant d’entrer en matière, que ce que nous dirons ici du cas où c’est que l’on veut obtenir en fonction de doit s’entendre également du cas où ce serait au contraire qu’il s’agirait de déterminer en fonction de attendu que, par des formules connues, on peut, dans l’équation (1), changer l’hypothèse relative à la variable indépendante et traiter ensuite par rapport à dans l’équation résultante, comme nous allons traiter, dans celle-ci, par rapport à
Ces choses ainsi entendues, considérons l’équation (3) ; cette équation exprime une certaine courbe, dont l’ordonnée répondant à l’abscisse donnée est l’inconnue de notre problème. Considérons sur cette courbe un arc très-petit coupé à peu près à son milieu par l’ordonnée Plus cet arc sera petit, et plus il deviendra permis de le considérer comme se confondant sensiblement avec l’arc d’une certaine courbe parabolique ayant une équation de la forme
(5)
et même, si la courbe (3) était connue, rien ne serait plus facile que d’assigner les valeurs des coefficiens propres à satisfaire à cette condition ; on voit d’ailleurs que, plus le nombre arbitraire ou le nombre des coefficiens serait considérable, et plus aussi les deux courbes approcheraient de coïncider exactement à une petite distance de part et d’autre de l’ordonnée Alors donc, en faisant dans l’équation (5), la valeur qui en résulterait pour pourrait être sensiblement prise pour l’ordonnée cherchée
Voyons donc si nous ne pourrions pas parvenir à déterminer les coefficiens de l’équation (5). D’abord, ces coefficiens doivent être tels que les conditions relatives à la détermination des constantes se trouvent satisfaites ; ce qui établira déjà entre eux un nombre de relations. Il ne s’agira donc plus que d’en trouver autres.
De l’équation (5) on tire
(6)
en substituant ces valeurs dans l’équation (1), elle prendra la forme
(7)
Or, il est clair, par ce qui précède, que, si les coefficiens inconnus avaient été convenablement déterminés, cette dernière équation serait identique, ou du moins à très-peu près, pour toutes les valeurs de peu différentes de la valeur en exprimant donc qu’elle devient telle, en effet, pour de pareilles valeurs, au nombre de on se procurera, entre les coefficiens le nombre d’équations nécessaires pour compléter leur détermination.
Comme le nombre est arbitraire, et assujetti seulement à n’être pas trop petit ; on pourra toujours le prendre tel que le nombre soit un nombre impair alors, ce qu’il y aura de mieux à faire, sera de mettre successivement pour dans (7) les nombres étant une fraction arbitraire, mais très-petite ; on conçoit en effet qu’en considérant ainsi des points situés de part et d’autre de l’ordonnée et très-rapprochés de cette ordonnée, on obtiendra un plus haut degré de précision.
On peut, au surplus, simplifier le procédé, en changeant d’abord dans l’équation proposée (1), en alors, il suffira de substituer les nombres à la place de dans l’équation (7), et de chercher simplement la valeur A de qui répond à Et, comme l’exactitude de cette valeur dépendra, en grande partie, de la petitesse de ce qu’il y aura de mieux à faire sera d’y supposer Il est entendu, au surplus, que, dans la recherche des conditions relatives à la détermination des constantes, il faudra également avoir égard au changement de en
Comme, dans le cas où l’équation (1) se trouverait d’un degré un peu élevé, l’équation (7), renfermant alors des puissances des coefficiens pourrait être incommode pour la détermination de ces coefficiens ; on ferait bien de différentier une ou plusieurs fois l’équation (1), et de combiner ses différentielles tant entre elles qu’avec elle-même, de manière à obtenir l’équation la plus simple possible, laquelle serait alors substituée à cette équation (1). Il faudrait seulement, aux conditions déjà établies pour la détermination des constantes, en ajouter d’autres en nombre égal à l’excès de l’ordre de différentielle de la nouvelle équation sur l’ordre de l’équation (1).
Enfin, notre procédé pourra également être employé à résoudre, par approximation, les équations transcendantes à deux variables non résolubles immédiatement. Il ne faudra pour cela que les différentier un nombre de fois suffisant pour qu’on puisse, entre elles et leurs différentielles, éliminer toutes les transcendantes. Le résultat de l’élimination sera alors l’équation qu’il faudra prendre pour l’équation (1).
Il ne nous reste plus présentement qu’à appliquer notre procédé à des exemples ; mais, afin de faire mieux apprécier les services qu’on peut s’en promettre, nous choisirons de préférence des équations qu’on sache intégrer, et dont l’intégrale soit connue. En outre, afin qu’on puisse juger de l’influence du nombre des termes admis dans la valeur hypothétique de sur l’exactitude de la formule finale, nous ferons croître ce nombre par degré, en le prenant d’abord fort petit, et en l’augmentant ensuite successivement.
PROBLÈME I. Un nombre étant donné, trouver son logarithme naturel ?
Solution. Soient le nombre dont il s’agit, et son logarithme cherché ; l’équation du problème sera
ou, en différentiant,
(1)
et il s’agira de déterminer, au moyen de cette dernière équation, la valeur de qui répond à une valeur quelconque de en observant d’ailleurs que la constante que comporte son intégrale doit être déterminée par cette considération qu’à la valeur doit répondre la valeur
Changeons d’abord en cela changera en et notre équation deviendra
(1)
où la constante devra être déterminée par cette considération qu’à ou devra répondre et il s’agira simplement de déterminer, au moyen de cette dernière équation, la valeur de qui répond à
Soit posé d’abord simplement
(5)
de manière que A soit le nombre cherché ou nous en déduirons
(6)
substituant ces valeurs dans l’équation (1), elle deviendra
(7)
dans laquelle faisant la supposition unique nous aurons
;
la condition relative à la constante donnera ensuite
;
éliminant donc entre ces deux équations, il viendra
résultat où disparaît de lui-même ; changeant donc en nous aurons, pour première approximation,
Cette formule est exacte pour les logarithmes de zéro et de l’unité, et même pour les logarithmes de tous les nombres très-voisins de l’unité ; elle donne tous les autres beaucoup trop faibles, et d’autant trop faibles que les nombres sont plus grands ; ce qui s’aperçoit sur-le-champ, en remarquant qu’elle donne l’unité pour le logarithme de l’infini, lequel, comme on sait, doit être lui-même infini.
Posons, en second lieu,
(5′)
d’où
(6′)
en substituant dans l’équation (1), elle deviendra
ou, en ordonnant par rapport à
(7′)
En mettant successivement pour dans cette équation, les valeurs on obtient
Prenant les différences consécutives de ces équations, nous obtiendrons ces deux-ci
Prenant la demi-différence de ces dernières, nons aurons
d’où, en remontant à celles qui précèdent, nous conclurons
Cela donne
mais la condition relative à la constante donne
substituant donc les valeurs ci-dessus ; il viendra
faisant enfin et changeant en nous aurons
formule plus exacte que la précédente ; mais, comme elle, seulement pour les valeurs de peu différentes de l’unité.
Posons encore
(5″)
d’où
(6″)
en substituant dans l’équation (1), elle deviendra
ou, en développant, ordonnant par rapport à et posant, pour abréger,
(7″)
mettant successivement pour dans cette équation, les valeurs il viendra
en prenant les différences consécutives, nous aurons
prenant la moitié des différences consécutives de celles-ci, nous aurons
prenant le tiers des différences consécutives de ces dernières, nous aurons
prenant enfin le quart de la différence de ces deux-ci, il viendra
d’où, en remontant
remettant pour ces lettres les quantités dont elles sont le symbole, nous aurons
d’où
mais, par la condition qui détermine la constante, on a
substituant donc, il viendra
faisant enfin et changeant ensuite en nous aurons
formule plus approchée encore que les précédentes ; mais toujours pour des valeurs de peu différentes de l’unité.
Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin pour être conduit à soupçonner que, si on admettait une infinité de termes dans la valeur hypothétique de auquel cas le procédé pourrait passer pour
rigoureux, on aurait
or, cette valeur est en effet exacte ; car si l’on y fait
d’où
elle devient, en substituant et changeant les signes
formule connue.
Ainsi, l’exemple que nous avons choisi, tout en justifiant complètement
notre méthode, montre clairement, en outre, que cette
méthode n’est point seulement un procédé approximatif, mais qu’elle
peut même donner le développement général et rigoureux en série
d’une fonction transcendante proposée.
PROBLÈME II. Trouver le nombre auquel répond un logarithme naturel proposé ?
Solution. Cette question étant l’inverse de la précédente, il faudra,
pour la résoudre, changer en et vice versâ, dans l’équation
de la première, qui deviendra ainsi
ou, en changeant en
(1)
la constante devant ici être déterminée par la considération qu’à doit répondre ou
Posons d’abord simplement
(5)
d’où
(6)
en substituant dans l’équation (1), elle deviendra.
ou
(7)
nous aurons ici à faire la seule supposition qui nous donnera
la condition qui doit déterminer la constante donnera, en outre,
éliminant entre ces deux équations, disparaîtra de lui-même ; et, en changeant ensuite en nous aurons, pour première approximation,
Posons, en second lieu,
(5′)
d’où
(6′)
en substituant dans l’équation (1), elle deviendra,
ou, en ordonnant,
(7′)
Nous aurons seulement ici à faire pour les suppositions
ce qui donnera
prenant les différences consécutives, il viendra
en prenant la demi-différence de ces deux équations, il viendra
d’où, en remontant,
ce qui donnera
mais, par la condition qui détermine la constante, on a
en substituant donc, il viendra
faisant enfin et changeant en il viendra, pour seconde approximation
Posons encore
(5″)
d’où
(6″)
substituant ces valeurs dans l’équation (1), elle deviendra
ou en ordonnant et posant, pour abréger,
(7″)
En supposant successivement, dans cette dernière équation,
on en tirera, comme dans le précèdent problème ;
d’où
la condition relative à la constante est d’ailleurs ici
en substituant donc, il viendra
faisant enfin tirant la valeur de et changeant en nous aurons, pour troisième approximation,
Il n’en faut pas davantage pour être conduit à soupçonner que
l’on doit avoir généralement et rigoureusement
et en effet, cette formule est exacte ; car, en y changeant en elle devient
formule connue.
PROBLÈME III. Trouver le sinus et le cosinus d’un arc donné quelconque ?
Solution. Soit l’arc donné et son sinus ; on aura l’équation
d’où, en différentiant,
en prenant la somme des quarrés de ces deux équations, il viendra
Pour nous délivrer des quarrés, qui embarrasseraient le calcul, différentions de nouveau ; ce qui donnera, en divisant par
Les deux constantes que comporte l’intégrale de cette équation doivent être déterminées par cette double considération qu’à doivent répondre et
Changeons x a+zx ; l’équation différentielle deviendra
(1)
les deux constantes devront alors être déterminées par cette double considération qu’à ou à doivent répondre et les sinus et cosinus de seront ce que deviennent et respectivement, lorsqu’on suppose
Comme nous avons déjà deux conditions à remplir, relativement
aux constantes ; la supposition la plus simple que nous puissions
admettre est
(5)
d’où
(6)
de sorte qu’on aura
En substituant dans l’équation (1), elle deviendra
c’est-à-dire,
(7)
Nous ferons ici la seule hypothèse ; laquelle donnera
ou bien
les conditions relatives aux constantes donnent d’ailleurs,
éliminant donc entre ces équations, et tirant des équations résultantes les valeurs de et il viendra
d’où disparaît de lui-même. Changeant donc en nous aurons, pour première approximation,
d’où
Posons, en second lieu,
(5′)
d’où
(6′)
en substituant ces valeurs dans l’équation (1), elle deviendra
ou, en ordonnant,
(7′)
supposant successivement égal à , il viendra
prenant les différences consécutives de ces trois équations, il viendra
prenant enfin la demi-différence de ces deux-ci, on aura
d’où, en remontant,
On tirera de ces trois dernières équations
les conditions relatives aux constantes sont d’ailleurs ici
en y substituant donc les trois valeurs ci-dessus, elles deviendront en faisant de suite excepté dans le dénominateur de
desquelles on tirera
changeant donc en nous aurons, pour seconde approximation,
d’où
Si nous admettions deux termes de plus à la valeur hypothétique
de en opérant d’une manière semblable, nous trouverions, pour
troisième approximation,
d’où
La marche de ces résultats nous conduit à soupçonner avec fondement, qu’en posant, en général,
on doit avoir
d’où
or, s’il en est ainsi, on devra avoir
d’où on conclura
on aura donc simplement
c’est-à-dire
ce qui, en effet, est rigoureusement vrai
PROBLÈME IV. Déterminer la longueur d’un arc de cercle dont la tangente est donnée ?
Solution. Soit la tangente donnée et l’arc cherché auquel
elle appartient ; nous aurons l’équation
ou
ou en différentiant,
En éliminant entre ces deux équations, disparaîtra aussi, et nous aurons l’équation
Dans laquelle la constante doit se déterminer par cette considération que et doivent être nuls en même temps.
Changeant, dans cette équation, en elle deviendra
(1)
où la constante se déterminera par la considération qu’à ou doit répondre et l’arc cherché, dont la tangente est sera ce que devient lorsqu’on suppose
Posons d’abord simplement,
(5)
d’où
(6)
mettant cette valeur dans (1), elle deviendra
ou, en ordonnant,
(7)
En supposant celle équation donnera
la condition relative à la constante donnera d’ailleurs
éliminant entre les deux, on aura
changeant donc en nous aurons, pour première approximation,
Posons, en second lieu,
d’où
(6′)
substituant dans l’équation (1), elle deviendra
ou en développant ; ordonnant et posant, pour abréger,
(7′)
faisant successivement pour , dans cette dernière, les suppositions il viendra
d’où, en prenant les différences consécutives,
prenant la demi-différence de ces deux dernières, il viendra
d’où
nous avons d’ailleurs
nous aurons donc, en substituant,
d’où on tire
La condition relative à la constante donne d’ailleurs
substituant donc, et faisant, après la substitution, nous aurons
c’est-à-dire,
ou bien, en changeant en
En admettant deux termes de plus dans la valeur hypothétique
de on trouverait
série, dont la loi est évidente, et qu’on peut prolonger aussi loin qu’on le voudra.
Il ne serait peut-être pas aisé de ramener ce développement aux
formules connues ; mais on ne saurait néanmoins en contester l’exactitude.
Pour ne laisser aucun doute à cet égard, appliquons-le
à la recherche du nombre dont la valeur, approchée à moins
d’une demi-unité décimale du 12.e ordre, est
Pour y parvenir, il ne s’agira que de faire dans la formule
ci-dessus ; les termes, dont l’indice est divisible par disparaîtront
d’eux-mêmes, et il viendra
série dont le terme général est
En réduisant ses termes en décimales, on aura
Ce qui donne
valeur exacte jusqu’à la dernière décimale inclusivement.
Nous étant ainsi assurés de l’exactitude et de la commodité de
notre méthode, par son application à des cas déjà connus ; il ne
nous reste plus qu’à l’appliquer à des équations différentielles qu’on
ne sait pas encore intégrer, et à examiner si elle ne serait pas susceptible
de quelques simplifications ; et ce sera le sujet d’un second
mémoire.