Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Géométrie des courbes, article 1

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GÉOMÉTRIE DES COURBES.

Rapport à l’académie royale des sciences ;

Par M. Cauchy ;
Sur un mémoire relatif aux propriétés projectives
des sections coniques ;
Par M. Poncelet, capitaine du génie.
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Le secrétaire perpétuel de l’académie, pour les sciences mathématiques, certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 5 juin 1820.

L’académie nous a chargés, MM. Arago, Poisson et moi, de lui rendre compte d’un mémoire de M. Poncelet sur les propriétés projectives des sections coniques. L’auteur appelle ainsi les propriétés relatives aux cordes communes, aux points de concours des tangentes communes, et beaucoup d’autres semblables qui, étant indépendantes des dimensions attribuées aux courbes que l’on considère et de leurs paramètres, subsistent lorsqu’on projette ces courbes sur de nouveaux plans, à l’aide de droites qui concourent vers un même point ; c’est-à-dire, en d’autres termes, lorsqu’on met ces courbes en perspective ; ce qui a également lieu pour le cas où, le point de concours s’éloignant à l’infini, les projections deviennent orthogonales. Nous allons d’abord indiquer les moyens que l’auteur emploie pour établir les propriétés dont il s’agit.

Lorsque plusieurs courbes, qui composent une seule classe ou famille, possèdent en commun diverses propriétés, une des méthodes les plus expéditives pour la démonstration de ces, mêmes propriétés consiste à les établir d’abord pour les courbes les plus simples de la classe dont il est question, et à les étendre ensuite aux autres courbes de la même classe, par la comparaison de celles-ci avec les premières. Cette méthode peut même servir à la recherche des propriétés d’une courbe donnée. Veut-on connaître, par exemple, celle d’une ellipse, on commencera par supposer les deux axes égaux ; ce qui réduira cette ellipse à une circonférence de cercle. On remarquera que la surface du cercle est égale au quarré du rayon multiplié par le nombre qui exprime le rapport de la circonférence au diamètre ; que deux rayons qui se coupent à angles droits sont parallèles aux tangentes menées par leurs extrémités ; que ces mêmes rayons comprennent entre eux une surface constante ; que la somme de leurs quarrés est égale à la somme des quarrés de leurs projections sur un diamètre quelconque ; que les tangentes des angles aigus qu’ils forment avec un même diamètre, étant multipliées l’une par l’autre, donnent l’unité pour produit ; enfin, que la perpendiculaire élevée sur un diamètre est moyenne proportionnelle entre les deux segmens adjacens. Si maintenant on considère uns ellipse dont les deux axes soient inégaux, on décrira sur le grand axe de cette ellipse, pris pour diamètre, une circonférence de cercle, dont l’ordonnée, comptée perpendiculairement au grand axe, aura un rapport constant avec celle de l’ellipse. Cela posé, si l’on appelle diamètres conjugués de l’ellipse ceux dont les projections sur le grand axe coïncident avec les projections de deux diamètres du cercle qui se coupent à angles droits, on conclura immédiatement des remarques faites à l’égard du cercle que la surface de l’ellipse est égale au produit des deux demi-axes par le nombre qui exprime le rapport de la circonférence au diamètre ; que, dans la même courbe, les tangentes menées aux extrémités de deux diamètres conjugués, sont parallèles à ces diamètres ; que deux demi-diamètres conjugués comprennent entre eux une surface constante ; que les sommes des quarrés de leurs projections sur le grand axe et sur le petit axe sont respectivement égales aux quarrés des demi-axes, et que, par suite, la somme des quarrés des deux demi-diamètres équivaut à la somme des quarrés des deux demi-axes ; enfin, que le rapport de ces deux derniers quarrés mesure à la fois le produit des tangentes des angles aigus formés avec le grand axe par deux diamètres conjugués et le rapport du quarré d’une ordonnée aux segmens correspondans de ce même grand axe. Au reste, pour obtenir le cercle auxiliaire dont nous venons d’indiquer l’usage, il suffit de chercher dans l’espace un cercle dont l’ellipse donnée soit la projection orthogonale, et de rabattre ensuite le plan de ce cercle sur celui de l’ellipse, après avoir fait tourner le premier autour du diamètre parallèle au second[1]. Plus généralement, on peut considérer une ellipse, une hyperbole ou une parabole comme la perspective ou projection centrale d’un cercle quelconque, et déduire, des propriétés de ce cercle, celles de la projection. Tel est, en effet, le moyen employé par M. Poncelet pour déterminer les propriétés projectives des sections coniques. Il appelle centre de projection le point où se trouve placé dans la perspective l’œil du spectateur. Ce point est le sommet d’une surface conique du second degré qui a pour base la courbe proposée. Il est bon de rappeler, à ce sujet, que, si l’on coupe une surface conique quelconque par deux plans parallèles, les deux sections seront toujours semblables entre elles. Il y a plus, si, d’un centre de projection pris à volonté dans l’espace, on mène des rayons vecteurs aux différens points d’un système composé de points, de lignes ou de surfaces quelconques, et que l’on fasse croitre ou décroitre à la fois tous les rayons vecteurs dans un rapport donné, on obtiendra un second système de points, lignes ou surfaces, semblable au premier et semblablement placé, en sorte que les droites et les plans menés dans les deux systèmes, par des points correspondans, seront toujours parallèles. Le centre commun, vers lequel convergent tous les rayons vecteurs, est ce qu’on peut appeler le centre de similitude des deux systèmes. Pour deux cercles, tracés sur un même plan, ce centre de similitude ne peut être que le point de concours des tangentes communes, extérieures ou intérieures. M. Poncelet expose ses diverses propriétés, dont un grand nombre dérivent immédiatement de la définition même que nous venons d’en donner.

Outre la considération des projections centrales, M. Poncelet emploie encore, dans son mémoire, ce qu’il appelle le principe de la continuité. L’admission de ce principe en géométrie consiste à supposer que, dans le cas où une figure composée d’un système de lignes droites ou courbes conserve constamment certaines propriétés, tandis que les dimensions absolues ou relatives de ses diverses parties varient d’une manière quelconque, entre certaines limites, ces mêmes propriétés subsistent nécessairement lorsqu’on fait sortir les dimensions dont il s’agit des limites entre lesquelles on les supposait d’abord renfermées ; et que, si quelques parties de la figure disparaissent dans la seconde hypothèse, celles qui restent jouissent encore, les unes à l’égard des autres, des propriétés qu’elles avaient dans la figure primitive[2]. Ce principe n’est, à proprement parler, qu’une forte induction, à l’aide de laquelle on étend des théorèmes établis, d’abord à la faveur de certaines restrictions, aux cas où ces mêmes restrictions n’existent plus. Étant appliqué aux courbes du second degré, il a conduit l’auteur à des résultats exacts. Néanmoins, nous pensons qu’il ne saurait être admis généralement et appliqué indistinctement à toutes sortes de questions en géométrie, ni même en analise[3] : En lui accordant trop de confiance, on pourrait tomber quelque fois dans des erreurs manifestes. On sait, par exemple, que, dans la détermination des intégrales définies, et par suite, dans l’évaluation des longueurs, des surfaces et des volumes, on rencontre un grand nombre de formules qui ne sont vraies qu’autant que les valeurs des quantités qu’elles renferment restent comprises entre certaines limites.

Au reste, nous distinguerons soigneusement les considérations de M. Poncelet sur la continuité de celles qui ont pour objet les propriétés des lignes auxquelles il donne le nom de cordes idéales des sections coniques. Comme ces propriétés nous paraissent mériter d’être remarquées, et qu’elles fournissent à l’auteur un troisième moyen de résoudre les questions relatives aux courbes du second degré, nous allons donner à ce sujet quelques développemens.

Si, après avoir mené, par le centre d’une hyperbole, un diamètre qui rencontre les deux branches, on fait passer, par les points de rencontre des tangentes à l’hyperbole et par le centre, une parallèle à ces tangentes ; puis que l’on cherche à déterminer, par l’analise, les coordonnées des points où cette parallèle rencontre la courbe et les distances respectives de ces points au centre, on trouvera, pour l’une et l’autre distances, en faisant abstraction du signe, une expression imaginaire de la forme et par conséquent, pour la distance entre les deux points, une autre expression de la forme Le coefficient de dans cette dernière, ou la longueur qui est une quantité réelle, peut se construire géométriquement ; et, comme la considération de cette longueur peut être utile dans la recherche des propriétés de l’hyperbole, on lui a donné un nom, en disant que représente le diamètre conjugué au diamètre On sait qu’étant donné le diamètre avec sa direction, on peut facilement en déduire le diamètre en coupant les asymptotes par une sécante parallèle à la direction donnée, la ligne menée du centre au milieu de la sécante indiquera la direction du diamètre et le rapport de cette dernière ligne à la moitié de la sécante sera précisément égal au rapport

Supposons maintenant que l’on cherche, par l’analise, les points d’intersection, non plus d’un diamètre, mais d’une droite quelconque avec une courbe du second degré, et la distance de ces deux points, ou, en d’autres termes, la corde qui les unit ; lorsque la droite ne rencontrera plus la courbe, la distance donnée par l’analise deviendra imaginaire, et sera de la forme tandis que le point milieu de la corde conservera des coordonnées réelles. Il devient alors utile de substituer à la corde imaginaire ; qui n’existe pas, une corde fictive comptée sur la droite proposée, et dont le milieu coïncide avec le point dont nous venons de parler.

C’est à cette corde fictive qu’on pourrait appliquer la dénomination de corde idéale, par laquelle M. Poncelet désigne tantôt la droite indéfinie que l’on considère, et tantôt la corde imaginaire interceptée par la courbe, puisqu’il appelle centre de la corde idéale le point réel que l’analise indique comme étant le milieu de la corde imaginaire. Le sens dans lequel l’auteur emploie le mot idéale se trouverait ainsi modifié de telle manière que les longueurs idéales resteraient des longueurs réelles et constructibles en géométrie. Ainsi, par exemple, dans une hyperbole, dont le grand axe rencontre la courbe, la longueur idéale de diamètre, perpendiculaire au grand axe, serait le petit axe lui-même. Si, en adoptant cette manière de s’exprimer, on construit, pour une section conique quelconque, toutes les cordes idéales parallèles à une direction donnée ; les extrémités de toutes ces cordes se trouveront sur une nouvelle section conique, que l’auteur appelle supplémentaire de la première, relativement à la direction dont il s’agit.

Cela posé, il est facile de voir que deux sections coniques supplémentaires l’une de l’autre, relativement à une direction donnée, sont nécessairement ou deux paraboles ou une hyperbole et une ellipse. Dans le premier cas, les deux paraboles ont le même paramètre, avec une tangente commune, parallèle à la direction donnée, et un diamètre commun passant par le point de contact. Dans le second cas, les deux courbes peuvent aisément se déduire l’une de l’autre, d’après la condition à laquelle elles se trouvent assujetties d’avoir en commun deux diamètres conjugués, dont l’un est parallèle à la droite donnée, tandis que l’autre rencontre à la fois les deux courbes qui se touchent ainsi par ses extrémités. Dans le même cas, toutes les fois que l’ellipse se réduit à un cercle, l’hyperbole devient équilatère, et a pour axe transverse le diamètre du cercle. Enfin, l’on prouve aisément que, si deux courbes sont supplémentaires l’une de l’autre, relativement à une direction donnée, indiquée par une certaine droite, leurs projections sur un plan parallèle à cette droite jouiront de la même propriété.

En vertu de ce qui précède, si l’on donne une section conique quelconque, avec un centre et un plan de projection, il deviendra facile de déterminer, pour la section conique projetée, 1.o l’angle formé par deux diamètres conjugués, dont l’un serait parallèle au plan de la section conique proposée ; 2.o le rapport de ces mêmes diamètres. En effet, si l’on conçoit d’abord que la section conique projetée soit une hyperbole, un plan quelconque, parallèle au plan de projection, coupera le cône qui a pour base la courbe proposée, et pour sommet le centre de projection suivant des hyperboles semblables et comprises entre des asymptotes parallèles. Par suite, si le plan coupant passe par le sommet du cône, la section se trouvera réduite à deux arêtes parallèles aux asymptotes dont il s’agit. Comme d’ailleurs le même plan coupera évidemment la courbe donnée suivant une certaine corde terminée à ces deux arêtes, il en résulte, 1.o que l’angle cherché sera équivalent à celui que forme la corde en question avec la droite qui joint son milieu et le sommet du cône ; 2.o que le rapport cherché sera celui qui existe entre la longueur de cette droite et celle de la demi-corde. Lorsque la courbe projetée sera une ellipse, le plan mené par le sommet du cône parallèlement au plan de projection ne rencontrera plus la courbe proposée ; mais sa trace sur le plan de cette dernière sera toujours une droite réelle, à laquelle correspondra une certaine corde idéale de la courbe donnée. Dans la même hypothèse, on appliquera les raisonnemens que nous avons employés ci-dessus ; non plus à la courbe proposée, mais à la section conique supplémentaire de cette courbe, relativement à la corde idéale dont nous venons de parler ; et l’on en conclura, 1.o que l’angle cherché est équivalent à celui que forme la corde idéale avec la droite qui joint le milieu de cette corde et le centre de projection ; 2.o que le rapport cherché est celui qui existe entre la longueur de cette droite et la demi-corde. Lorsque la courbe projetée se réduit à un cercle, tous ses diamètres conjugués sont égaux et se coupent à angles droits. Par conséquent, dans ce cas particulier, la droite menée du centre de projection au milieu de la corde idéale de la courbe donnée doit être perpendiculaire sur cette corde et égale à sa moitié.

La question que nous venons de résoudre n’a pas été traitée directement par M. Poncelet ; mais la solution que nous avons déduite des principes qu’il a établis fournit le moyen de simplifier et de généraliser, tout à la fois, celles de plusieurs autres problèmes dont nous parlerons ci-après.

Considérons à présent deux sections coniques tracées sur un même plan. Il peut arriver ou qu’elles se coupent en quatre points ou qu’elles se coupent en deux points ou qu’elles ne se coupent pas. Si l’on cherche, par l’analise, les abscisses des points d’intersection, on trouvera que ces abscisses sont les racines d’une équation du quatrième degré à coefficiens réels, et que cette même équation a quatre racines réelles dans le premier cas, deux racines réelles et deux racines imaginaires conjuguées dans le second, enfin, quatre racines imaginaires conjuguées deux à deux dans le troisième. De plus, comme, en combinant les équations des deux courbes, on peut en déduire une troisième équation du second degré, qui ne renferme l’ordonnée qu’au premier degré seulement, il en résulte que l’analise indique seulement quatre points d’intersection, et que, pour chacun de ces points, on peut exprimer l’ordonnée en fonctions rationnelle et réelle de l’abscisse. Par suite, si l’on trouve, pour un point d’intersection, une abscisse réelle, l’ordonnée le sera également ; et, si l’analise fournit, pour deux de ces points, deux abscisses imaginaires conjuguées, les ordonnées correspondantes seront elles-mêmes imaginaires et conjuguées. Considérons, en particulier, deux points de cette dernière espèce. Comme, pour transformer les coordonnées de l’une en celle de l’autre, il suffira de remplacer par il est clair que toutes les équations et quantités diverses qui, étant rationnelles par rapport à ces ordonnées, ne devront pas être altérées par leur échange mutuel, seront nécessairement des équations réelles et des quantités réelles. Par exemple, l’équation de la droite qui passe par les deux points sera réelle, ainsi que le quarré de leur distance mutuelle, ou, en d’autres termes, de la corde qui les unit, et il en sera de même des coordonnées du milieu de cette corde. Toutefois, comme, par hypothèse, les deux points ne sont pas réels, le quarré de la corde en question ne pourra être qu’une quantité négative, dont la racine, abstraction faite du signe, sera une expression imaginaire de la forme

Pour déterminer le coefficient réel dans cette expression, il suffira évidemment de chercher la corde idéale qu’on obtient en considérant la droite réelle qui passe par les deux points imaginaires comme sécante idéale de l’une ou de l’autre des deux courbes proposées. Par conséquent, la longueur sera celle d’une corde idéale réellement commune à ces deux courbes. Cela posé, si l’on passe successivement en revue les trois hypothèses que l’on peut faire sur le nombre des points réels communs aux deux courbes proposées, on trouvera que ces deux courbes ont, en général, ou six cordes communes, passant par quatre points réels, ou deux cordes communes, dont une idéale, ou deux cordes idéales communes. Toutefois, pour deux hyperboles semblables, ou du moins comprises entre des asymptotes parallèles, ainsi que pour des ellipses semblables et semblablement placées, une seule corde commune naturelle ou idéale subsiste, tandis qu’une autre s’éloigne à l’infini. C’est ce qui a lieu, en particulier, pour deux circonférences de cercles[4]. De plus, il peut arriver que deux cordes communes viennent à se confondre, et alors, si ces cordes ne sont pas idéales, les deux courbes se toucheront évidemment en deux points réels. Ajoutons que, si l’on projette deux sections coniques, situées dans un même plan sur un nouveau plan, parallèle à une corde idéale qui leur soit commune, la projection de cette corde sera elle-même une corde idéale commune aux projections des deux sections coniques. Par suite, si les deux courbes proposées étaient dissemblables entre elles ; auquel cas elles avaient nécessairement plusieurs cordes réelles ou idéales communes ; pour rendre leurs projections semblables et semblablement placées, il faudra faire en sorte qu’une des cordes communes s’éloigne à l’infini. On remplira cette condition en plaçant le centre de projection par-tout où l’on voudra, pourvu qu’ensuite on prenne le plan de projection parallèle à celui qui passera par ce centre et par l’une des cordes communes aux deux courbes données.

Dans ce qui précède, nous avons déduit de l’analise la notion des cordes idéales des sections coniques ; mais on peut arriver au même but par des considérations géométriques.

Par exemple, lorsqu’une ellipse ou une hyperbole se trouve coupée en deux points réels par une sécante quelconque, le milieu de la corde interceptée coïncide avec le point où la sécante est rencontrée par le diamètre conjugué à sa direction, et la corde elle-même est équivalente au double produit du rapport entre le diamètre parallèle et le diamètre conjugué par une moyenne proportionnelle entre les distances du point que l’on considère aux extrémités du diamètre conjugué. Si l’on détermine, d’après les mêmes conditions, la corde et son milieu, dans le cas où la sécante devient idéale, on obtiendra ce que nous avons nommé la corde idéale relative à cette sécante[5].

Considérons encore deux cercles non concentriques et situés dans un même plan. Si, par ces cercles, on fait passer deux sphères qui se coupent, le plan d’intersection des deux sphères rencontrera le plan des deux cercles suivant une certaine droite ; et cette droite, si les deux cercles se coupent, passera par les deux points qui leur sont communs. Si, au contraire, les deux cercles ne se coupent pas, cette droite sera précisément la sécante idéale, dont la direction coïncide avec celle de la corde idéale commune, et le point d’intersection de cette sécante avec la droite, des centres sera le milieu de la même corde. La construction précédente, en donnant un moyen facile de fixer la direction de la corde idéale commune à deux cercles, sert en même temps à faire connaître ses principales propriétés. Par exemple, si d’un point pris sur cette sécante, on mène une suite de tangentes aux deux sphères, elles seront évidemment égales aux tangentes menées par ce même point à leur cercle d’intersection : il en résulte immédiatement, que les quatre tangentes menées à deux cercles par un point pris, sur la direction de la corde commune sont égales entre elles[6]. Cette propriété était déjà connue des géomètres. On avait remarqué la droite à laquelle elle appartient ; et M. Gaultier, auteur d’un mémoire inséré dans le XVI.e cahier du Journal de l’école polytechnique, a particulièrement considéré les droites de cette espèce, auxquelles il a donné le nom d’axes radicaux.

Après avoir entretenu l’académie des méthodes employées par M. Poncelet, nous allons présenter une indication sommaire des applications qu’il en a faites. Son mémoire est divisé en trois paragraphes : le premier est relatif aux cordes idéales des sections coniques, et renferme leur définition ainsi que leurs propriétés générales, déduites de considérations purement géométriques. L’auteur y remarqua également que le point de concours des tangentes menées à une section conique, par les extrémités d’une même corde, ou ce qu’on appelle communément le pôle de cette corde est un point réel, lors même que les tangentes deviennent imaginaires. Il montre la relation qui existe constamment entre ce pôle et le milieu de la corde, et s’en sert pour construire le pôle idéal correspondant à une corde idéale donnée.

Dans le second paragraphe, M. Poncelet s’occupe des cordes idéales, considérées dans le cas particulier de la circonférence du cercle, et démontre plusieurs propositions relatives, soit aux cordes réelles ou idéales, soit aux pôles de ces mêmes cordes, soit aux centres de similitude et aux cordes communes de deux ou plusieurs cercles situés sur un même plan. On pourrait déduire un grand nombre de ces propositions des propriétés que possèdent deux points choisis sur une droite et sur son prolongement, de manière que leurs distances aux extrémités de la droite soient entre elles dans le même rapport. Parmi ces propriétés, l’une des plus remarquables consiste en ce que la circonférence décrite sur la droite comme diamètre coupe orthogonalement toutes celles qui passent par les deux points en question. On doit distinguer, dans le même paragraphe, une solution très-élégante du problème dans lequel on demande de tracer un cercle tangent à trois autres.

Dans le troisième paragraphe, l’auteur établit les principes de projection centrale ou perspective à l’aide desquels on peut étendre les théorèmes vérifiés pour le cas du cercle à des sections coniques quelconques. Par exemple, voulant démontrer que les propriétés projectives du système de deux cercles, situés dans un même plan, subsistent pour le système de deux sections coniques, il a seulement à faire voir que le premier système peut être considéré, en général, comme la projection du second. Il recherche, à ce sujet, tous les points de l’espace susceptibles de projeter deux sections coniques suivant deux cercles, et prouve que tous ces points appartiennent à des circonférences décrites avec des rayons perpendiculaires sur les milieux des cordes idéales communes aux deux courbes données, et respectivement égaux aux moitiés de ces cordes. Au reste, on est conduit directement au même résultat par la solution du problème que nous avons traité plus haut. On pourrait même, en s’appuyant sur cette solution, déterminer tous les points de l’espace susceptibles de projeter deux courbes quelconques du second degré, suivant deux autres courbes du même degré, mais semblables entre elles, pour lesquelles le diamètre, parallèle au plan des deux premières courbes, formerait, avec son conjugué, un angle donné, et serait à ce même conjugué dans un rapport donné. On trouverait que ces points sont situés sur des circonférences de cercles décrites par des rayons vecteurs qui, aboutissant aux milieux des cordes naturelles ou idéales communes aux deux courbes proposées, forment avec ces mêmes cordes l’angle donné, et sont à leurs moitiés dans le rapport donné. Plusieurs autres questions du même genre, traitées par l’auteur, dans ce troisième paragraphe, se résolvent d’après les mêmes principes.

D’après le compte que nous venons de rendre du mémoire de M. Poncelet, on voit qu’il suppose dans son auteur un esprit familiarisé avec les conceptions de la géométrie et fécond en ressources, dans la recherche des propriétés des courbes, ainsi que dans la solution des problèmes qui s’y rapportent.

Nous pensons, en conséquence, que ce mémoire est digne de l’approbation de l’académie ; et nous proposerions de l’insérer dans le recueil des savans étrangers, si l’auteur ne le destinait à faire partie d’un ouvrage qu’il se propose de publier sur cette matière.

Signés Poisson ; Arago ; Cauchy, rapporteur.

L’académie approuve le rapport et en adopte les conclusions.

Certifié conforme à l’original :
Le Secrétaire perpétuel, Chevalier des Ordres royaux
de St-Michel et de la Légion d’honneur,
Signé Delambre.
  1. Il paraîtra peut-être plus simple, et il reviendra d’ailleurs au même, de chercher dans l’espace un plan sur lequel la projection ortogonale de l’ellipse soit un cercle ; et il n’y aura pas d’ailleurs besoin de rabattement. On peut consulter, sur ce sujet, un mémoire de M. Feriot, inséré à la page 240 du II.e volume de ce recueil.
    J. D. G.
  2. Le mémoire qui précède ceci offre, en particulier, des exemples remarquables en faveur de ce principe ; on y a vu que le point de concours des tangentes communes à deux cercles, soit extérieures, soit intérieures, ne cesse pas d’exister, lorsque ces tangentes cessent d’être possibles ; et qu’il en est de même de la corde commune à deux cercles, lorsque ces cercles cessent de se couper.
  3. C’est aussi, à ce qu’il paraît, l’opinion de M. Durrande ; et c’est ce qui l’a déterminé à abandonner les démonstrations, très-élégantes d’ailleurs, que Monge avait données de la théorie des pôles, de celle des centres de similitude et de celle des axes radicaux, démonstrations qui ne sont applicables qu’à certains cas. Il faut donc employer le principe de M. Poncelet, ainsi que le tour de démonstration introduit par Monge, à peu près comme on employait le calcul différentiel lorsqu’on n’en voyait pas bien encore la métaphysique ; c’est-à-dire, uniquement comme instrumens de découverte ; mais ce n’en seront pas moins des instrumens très-précieux ; car, le plus souvent, en mathématiques, découvrir est tout ; et ce ne sont pas d’ordinaire les démonstrations qui embarrassent beaucoup.
    J. D. G.
  4. La corde commune idéale de deux cercles extérieurs l’un à l’autre, ou en d’autres termes, leur axe radical n’est autre chose que la corde commune naturelle des hyperboles supplémentaires de ces deux cercle, relatives à une perpendiculaire quelconque à la droite qui joint leurs centres. On peut dire pareillement que le point de concours idéal des tangentes communes à deux cercles intérieurs l’un à l’autre, ou, en d’autres termes, leur centre de similitude, soit interne, soit externe, n’est autre chose que le point de concours naturel des tangentes communes aux mêmes hyperboles.
    J. D. G.
  5. Tout ceci revient à dire que la coexistence de deux sections coniques sur un même plan donne généralement naissance à six droites déterminées de grandeur et de situation, lesquelles, lorsque ces courbes se coupent, deviennent, en tout ou en partie, des cordes communes à ces deux courbes ; or, s’il est une définition de ces droites qui convienne également à tous les cas, ne faudrait il pas l’adopter de préférence à une autre définition sujette à des exceptions nombreuses, pour lesquelles il faut recourir à des conceptions ingénieuses, si l’on veut, mais qui tendent à faire perdre à la géométrie une partie des avantages et de la supériorité qu’on lui a toujours accordé sur toutes les autres sciences ? Dans le cas de deux cercles, par exemple, ne vaut-il pas mieux définir l’axe radical, le lieu des points pour lesquels les tangentes aux deux cercles sont de même longueur, que de dire que c’est la corde commune à ces deux cercles ? Nous en dirons autant des tangentes idéales aux sections coniques dont M. Poncelet paraît s’être également occupé, et qui peuvent offrir un pareil champ de spéculation.
    J. D. G.
  6. Cela nous paraît résulter d’une manière presque intuitive des propriétés des tangentes et sécantes partant d’un même point, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux sphères ; mais, quand les cercles ne se coupent pas, les sphères ne se coupent pas non plus, et il faut alors prendre pour définition de l’axe radical la propriété même qu’on lui avait découverte dans le premier cas, ou toute autre équivalente.

    Au surplus, à considérer les choses sous un point de vue purement analitique, l’existence d’un axe radical pour deux cercles résulte tout simplement de ce que la différence des équations de deux cercles est une équation du premier degré ; et l’existence d’un centre radical pour trois cercles résulte de ce qu’en prenant les différences de leurs équations deux à deux, on obtient trois équations du premier degré dont chacune est évidemment comportée par les deux autres.

    J. D. G.