Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Analise appliquée, article 1

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ANALISE APPLIQUÉE.

Mémoire sur l’avantage du banquier au jeu de trente et quarante ;

Par M. le B.on Poisson, de l’académie royale des Sciences,
Conseiller au Conseil royal de l’instruction publique.
(Lu à l’Académie des Sciences le 13 mars 1820.)
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L’évaluation des chances, dans les jeux de hasard, a été l’origine du calcul des probabilités, et l’objet des problèmes résolus d’abord par Pascal, Fermat, Huyghens et les autres géomètres qui se sont les premiers occupés de ce calcul. Ceux qui les ont suivis dans cette carrière, et particulièrement M. Laplace, ne se sont pas bornés à résoudre des problèmes de cette nature ; ils ont étendu les applications de ce calcul à des questions d’un plus grand intérêt ; et la théorie des probabilités est devenue une des branches les plus importantes des sciences mathématiques. Mais, parmi les nombreuses questions, d’espèces si différentes, qui dépendent de cette théorie, il en existe une qui n’a point encore fixé l’attention des géomètres, ou, du moins, je n’ai vu nulle part qu’ils se soient occupés du calcul des chances, dans le jeu connu indifféremment sous le nom de trente et quarante ou sous celui de trente et un. À la vérité, on trouve dans l’Encyclopédie, par ordre de matières, à la suite de la description de ce jeu, une évaluation numérique des chances qu’il présente, mais, avec un peu de réflexion, on s’assure aisément de l’inexactitude du principe sur lequel ce calcul est fondé. Cependant, le trente et un étant le jeu auquel on expose annuellement le plus d’argent, dans les jeux publics, il serait utile de reconnaître à priori l’avantage des personnes auxquelles la ville de Paris concède le privilège exclusif de ces jeux. Cette question d’ailleurs, par la complication des conditions du jeu, est un des problèmes de probabilité les plus curieux qu’on puisse se proposer. La plupart de ces problèmes se résolvent, comme on sait, par des méthodes uniformes, fondées sur l’intégration des équations aux différences finies et partielles ; mais, dans la question dont il s’agit ici, on ne tarde pas à reconnaître que l’usage de ces équations ne pourrait être d’aucun secours, et l’on est obligé, pour la résoudre, de recourir à de nouveaux moyens. Ceux que j’ai employés, dans ce mémoire, m’ont conduit à des formules dont le développement, suivant les puissances d’une ou de plusieurs variables, fera connaître toutes les chances du trente et quarante que l’on voudra déterminer ; de la même manière que, dans des questions moins compliquées, le développement de la puissance d’un binôme, ou d’un polynôme composé de plus de deux termes, sert à trouver la probabilité des événemens composés, d’après celle des événemens simples. La conséquence principale que j’en ai déduite est qu’au jeu du trente et quarante, l’avantage du banquier est à très-peu près égal aux onze millièmes de la somme des mises, ou, autrement dit, que, dans une très-longue suite de coups, celui que l’on nomme refait de trente et un, et pour lequel le banquier prend la demi-somme des mises, doit revenir, à très-peu près, vingt-deux fois pour un millier de coups ; la probabilité de cette proportion pouvant approcher de la certitude d’aussi près qu’on voudra, en prolongeant le jeu convenablement.

1. Le jeu de trente et quarante se joue avec six jeux de cartes complets, formant en tout cartes. Les figures comptent pour dix, les as pour un, et chacune des autres cartes pour le nombre de ses points. Toutes les cartes étant mêlées, on tire successivement une, deux, trois, … cartes, jusqu’à ce que la somme des points des cartes tirées ait passé trente ; et l’on s’arrête aussitôt qu’elle a dépassé cette limite. On fait ensuite un second tirage, semblable au premier, c’est-à-dire, que l’on tire de même, sur les cartes restantes, une, deux, trois, … cartes, jusqu’à ce que la somme de leurs points ait surpassé trente. L’ensemble de ces deux tirages forme ce qu’on appelle un coup. Après le premier coup, on en joue un second, de la même manière, avec les cartes restantes ; après celui-ci un troisième ; et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait épuisé la totalité des cartes que l’on avait d’abord. Quand ces cartes sont tirées, ou bien, quand il n’en reste plus assez pour faire un coup complet, on a achevé ce qu’on appelle une taille ; et le jeu peut ensuite recommencer, suivant les mêmes règles, avec les mêmes ou d’autres cartes.

Puisque l’on s’arrête, dans chaque tirage, dès qu’on a dépassé trente, et puisque est le plus haut point qu’une carte puisse amener, il s’ensuit que chaque tirage ne peut présenter que points différens, dont le plus petit sera et le plus grand En ajoutant les points de toutes les cartes qui composent six jeux complets, la somme est égale à Chaque coup emploîra au plus et au moins de ces points ; le nombre des coups qui composeront une taille entière sera donc toujours compris entre et ou entre et

Avant qu’un coup soit commencé, chaque joueur parie contre le banquier, pour l’un ou l’autre des deux tirages dont ce coup sera composé. Le tirage qui amène le plus petit point, ou le moins éloigné de trente, est celui qui gagne. Le banquier paye aux joueurs qui ont parié pour ce tirage une somme égale à celle qu’ils ont jouée, et il prend les mises des joueurs qui ont parié pour l’autre tirage[1]. Si les deux tirages amènent des points égaux, et supérieurs à comme et et et le coup est nul : le banquier ne paye ni ne reçoit rien pour ces sortes de coups ; de sorte que s’il en était de même pour le coup et le banquier n’aurait évidemment aucun avantage, et le jeu serait parfaitement égal entre les joueurs et lui. Mais, lorsqu’il arrive ce qu’on appelle un refait de 31, ou autrement dit, si les deux tirages d’un même coup amènent ce nombre, le coup n’est pas réputé nul, et le banquier prend la moitié des mises de tous les joueurs. L’avantage du banquier, au jeu de trente et quarante, est donc égal, pour chaque coup, à la demi-somme de toutes les mises, multipliée par la probabilité du refait de 31, relative à ce coup. Ainsi, l’objet principal de ce mémoire consiste à déterminer cette probabilité. Mais nous allons, auparavant, résoudre plusieurs problèmes de hasard qui n’avaient point encore été traités jusqu’ici, et dont cette détermination ne sera plus qu’une application particulière.

2. Une urne renferme portant le numéro boules portant le numéro boules portant le numéro enfin boules portant le numéro le plus haut de tous ceux dont les boules sont marquées ; on tire successivement une, deux, trois, … boules, sans les remettre dans l’urne, après qu’elles en sont sorties ; cette suite de tirages se continue, jusqu’à ce que la somme des numéros amenés par les boules ait atteint ou surpassé un nombre donné on demande la probabilité que cette somme sera égale au nombre  ?

Soit le nombre total des boules contenues dans l’urne ; en sorte qu’on ait

Désignons par des nombres entiers ou nuls, respectivement moindres que ou qui leur soient tout au plus égaux ; et faisons aussi

Par les premières règles du calcul des probabilités, si l’on fait un nombre de tirages successifs, sans remettre les boules dans l’urne, la probabilité d’amener d’abord boules n.o 1, ensuite boules n.o 2, puis boules n.o 3 …, enfin boules n.o i, sera exprimée par

en adoptant, en général, avec quelques géomètres, pour la commodité typographique, l’expression comme le symbole de Pour en déduire la probabilité d’amener, dans un ordre quelconque, en tirages, boule n.o 1, boules n.o 2, boules n.o 3 … boules n.o i, il faudrait multiplier cette quantité par le nombre de permutations dont sont susceptibles les numéros amenés, si tous ces numéros étaient différens ; mais, à cause que les numéros égaux ne doivent pas être permutés entre eux, il faudra multiplier la probabilité précédemment obtenue seulement par

ce qui donnera un produit qui pourra s’écrire ainsi

Or, en intégrant, depuis jusqu’à on a

en faisant donc, pour abréger

et observant que la somme des exposans est égale à ce produit deviendra donc

La somme des numéros amenés par cette suite de tirages sera or, d’après l’énoncé du problème, cette somme doit être égale à la probabilité demandée par cet énoncé sera donc égale à la somme des valeurs que l’on déduira de l’expression en y donnant aux nombres toutes les valeurs, y compris zéro, qui satisfont à l’équation

Donc, si nous désignons par la somme de toutes les valeurs de qui répondent à ces valeurs de et par la probabilité demandée, nous aurons

Maintenant, prenons une indéterminée et supposons qu’on fasse le produit des séries suivantes :


 

si l’on ordonne ce produit par rapport aux puissances de il est évident, d’après la forme de que la somme des valeurs de cette quantité ne sera autre chose que le coefficient de dans la série qu’on obtiendra ; d’ailleurs, les facteurs du produit sont les développemens des puissances

donc, à cause de sera le coefficient de dans le développement du produit

et par conséquent, la probabilité sera aussi le coefficient de dans le développement de

l’intégrale étant prise, comme précédemment, depuis jusqu’à

3. Pour résoudre le même problème par le moyen des équations aux différences finies, j’observe que la probabilité demandée est une fonction du nombre et des nombres et je la désigne par Après le premier tirage, cette fonction deviendra l’une des quantités

suivant que la boule sortie portera quelqu’un des numéros respectivement. Les probabilités de ces événemens sont d’ailleurs respectivement

or, il est évident que la probabilité avant le premier tirage est égale à la somme des probabilités qui auront lieu après, multipliées chacune par la probabilité de l’événement auquel elle répond : c’est ce principe qui sert à mettre en équation la plupart des problèmes de probabilité ; et, dans la question présente, il en résulte que nous aurons

Le même raisonnement montre que, si l’on a étant plus petit que on aura

En comparant cette équation à la précédente, on voit que, pour qu’elle y soit comprise, et pour que l’équation (1) subsiste, pour toutes les valeurs de il est nécessaire de supposer la fonction égale à l’unité, quand et nulle, pour toutes les valeurs négatives de plus petites que abstraction faite du signe, quelles que soient d’ailleurs les autres variables Cela étant, en faisant successivement dans l’équation (1), on en déduira



 

mettant aussi successivement à la place de dans la première de ces équations, on pourra ensuite éliminer les quantités

contenues dans les autres, et l’on aura



 

et de même, au moyen de celles-ci, on obtiendrait

et ainsi de suite.

De cette manière, on calculera aisément la probabilité demandée, lorsque sera un petit nombre ; mais le calcul deviendra impraticable, dès que ce nombre sera un peu considérable ; et il faudra alors recourir à l’intégrale générale de l’équation (1). Cette équation linéaire a ses coefficiens variables ; néanmoins, si l’on multiplie tous ses termes par ses coefficiens ne renfermeront les variables qu’au premier degré ; circonstance d’après laquelle il sera possible d’intégrer l’équation (1) par le moyen des intégrales définies. Mais cette méthode ne conduirait que très-difficilement à la solution du problème que nous nous sommes proposé ; c’est pourquoi nous nous bornerons à vérifier que la solution que nous avons trouvée satisfait à l’équation (1).

4. Soit, pour y parvenir,

indiquant une somme qui s’étend à toutes les valeurs entières et positives de y compris et jusqu’à Les valeurs de la fonction qui répondent à des négatives étant nulles, d’après ce qu’on a dit plus haut, on aura

étant un nombre entier et positif ; et, à cause que cette fonction est égale à l’unité quand le premier terme de la fonction sera aussi égal à un. Si donc nous multiplions l’équation (1) par que nous donnions ensuite à toutes les valeurs comprises depuis jusqu’à et que nous fassions la somme de toutes les équations qui répondent à ces valeurs, nous aurons pour résultat

D’ailleurs, en ayant égard à l’expression de trouvée à la fin du n.o 1, et qui doit aussi être la valeur de la fonction on voit qu’on doit avoir

l’intégrale étant prise depuis jusqu’à la question consiste donc à vérifier que cette valeur de la fonction satisfait à l’équation (2), quelle que soit la variable

Or, je fais

ou et

et, pour abréger,

l’équation précédente devient

et l’intégrale devra être prise depuis 0 jusqu’à En mettant successivement, dans cette équation précédente à la place de et, en même temps, à la place de on aura



. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

mais, en différentiant par rapport à on a

et, si l’on compare cette équation aux précédentes, on en conclut facilement

Au moyen de ces résultats, l’équation (2) devient

(3)

mais, en intégrant par parties, il vient

à la limite on a à la limite on a

parce que est le produit de facteurs du premier degré par rapport à on aura donc

ce qui rend identique l’équation (3) qu’il s’agissait de vérifier.

5. Maintenant, proposons-nous ce second problème : les mêmes choses étant posées que dans le premier, on fait une première suite de tirages que l’on continue jusqu’à ce que la somme des numéros amenés ait atteint ou surpassé le nombre ensuite, sans remettre les numéros sortis, on fait une seconde suite de tirages, que l’on prolonge jusqu’à ce que la somme des numéros amenés ait de même atteint ou surpassé un nombre aussi donné on demande la probabilité qu’on obtiendra, à la fois, la somme dans la première opération, et la somme dans la seconde ?

Comme dans le premier problème, la probabilité d’amener, dans la première suite de tirages et dans un ordre quelconque, boules n.o 1, boules n.o 2, boules n.o 3 …, boules n.o i, sera exprimée par

cet événement ayant eu lieu, la probabilité d’amener à la seconde suite de tirages, aussi dans un ordre quelconque, boules n.o 1, boules n.o 2, n.o 3, …, boules n.o i, sera

en désignant respectivement par et les nombres de numéros qui composent le premier et le second tirages, c’est-à-dire, en faisant

La probabilité de la succession de ces deux événemens l’un à l’autre sera le produit des deux probabilités qui leur correspondent, lequel produit pourra s’écrire ainsi

or, en intégrant depuis jusqu’à et depuis jusqu’à nous avons


de plus en faisant après la différentiation, nous avons aussi

ce qui change la dernière équation en celle-ci

et, au moyen de ces valeurs et de celles de et le précédent produit sera égal à

en faisant, pour abréger

où l’on désigne par en général, le produit

l’indice étant un des nombres compris depuis jusqu’à

L’énoncé du problème exige que l’on ait


donc, si l’on donne aux nombres entiers positifs toutes les valeurs possibles qui satisfont à ces conditions, qu’on appelle la somme des valeurs correspondantes de et la probabilité demandée par ce même énoncé, on aura

Mais, et étant deux indéterminées différentes, on peut regarder comme le coefficient du produit dans le développement de la puissance

d’où l’on conclut que sera le coefficient de dans le développement du produit

ordonné suivant les puissances et produits de puissances de et donc enfin, à cause de la probabilité qu’il s’agit de déterminer sera le coefficient de dans le développement de cette quantité


en se souvenant qu’on doit faire après la différentiation indiquée, et prendre les intégrales depuis et jusqu’à et

Si, au lieu d’une ou de deux suites de tirages, comme dans le premier ou le second problème que nous venons de résoudre, il y en avait trois ou un plus grand nombre, l’analise précédente conduirait à la solution de la question ; mais il suffit à l’objet principal de ce mémoire d’avoir considéré le cas de deux suites de tirages, qui est en effet celui que présente le trente et quarante, d’après les règles de ce jeu, énoncées plus haut.

6. Pour appliquer la solution du second problème au calcul des différentes chances du trente et quarante, il suffit de remplacer les boules numérotées que nous avons considérées par des cartes qui porteront les numéros marqués par leur nombre de points, lesquels s’étendront, par conséquent, depuis jusqu’à les figures comptant pour ce dernier nombre. On aura, par exemple, la probabilité du refait de à un coup quelconque de ce qu’on appelle une taille, en faisant et prenant pour les nombres de cartes de chaque espèce qui ne sont pas sorties aux coups précédens ; en sorte que cette probabilité, et l’avantage du banquier qui en dépend, varieront d’un coup à un autre d’une même taille, à raison des cartes déjà sorties. Mais il est important d’observer que, pour déterminer l’avantage du banquier, avant que le jeu commence, c’est-à-dire, la fraction de chaque mise qu’on devrait lui abandonner pour qu’il renonçât à cet avantage pendant toute la durée du jeu, il suffit de calculer la probabilité du refait de au premier coup seulement, ou quand les six jeux de cartes avec lesquels on joue sont encore complets. En effet, lorsque ces cartes ont été mêlées, s’il existe une chance quelconque pour qu’un événement arrive au premier coup et un événement à un autre coup, au dixième, par exemple, il y a exactement la même chance pour que l’événement arrive au premier coup et l’événement au dixième ; car on peut former un autre arrangement de toutes les cartes, qui ne diffère de celui que le hasard a donné qu’en ce que les cartes qui sortent au premier coup sont remplacées par celles qui sortent au dixième, et vice versâ ; et, comme ces deux arrangemens sont également possibles, il en résulte qu’avant que le jeu commence la probabilité d’un refait de est la même pour le premier coup, pour le dixième, ou pour tout autre coup. Elle ne varie, pendant la durée du jeu, que pour les joueurs qui ont la connaissance des cartes sorties ; mais un joueur qui ne les connaîtrait pas devrait parier la même somme à tous les coups, pour l’arrivée d’un refait de

Cette considération fort simple rend possible la détermination de l’avantage du banquier, en la réduisant au calcul de la seule chance qui a eu lieu au premier coup. Observons aussi qu’on pourrait déterminer cet avantage, en calculant la probabilité du refait de à un autre coup choisi à volonté ; mais il faudrait faire une hypothèse sur les cartes sorties aux coups précédens, et multiplier la probabilité qu’on trouverait par celle de cette hypothèse, ce qui rendrait le calcul extrêmement compliqué.

7. Au premier coup, que nous nous bornons à considérer, les cartes sont au nombre de les neuf premiers nombres sont tous égaux à le dixième seul est différent, et quadruple de chacun des premiers. Ainsi, il faudra faire

Soient de plus, pour abréger,

ensuite

et, enfin,

où l’on fera après la différentiation, en intégrant ensuite depuis et jusqu’à et La question se réduira à calculer le coefficient de dans le développement de cette quantité suivant les puissances et produits de puissances de et Le nombre des facteurs de et la grandeur de leurs exposans, rendraient impraticable le calcul rigoureux de ce coefficient ; mais on peut réduire l’intégrale en une série convergente, au moyen de laquelle on obtiendra, à tel degré d’approximation qu’on voudra, la valeur du coefficient demandé.

Pour cela, soit

nous aurons

et, par une suite d’intégrations par parties, nous en conclurons

les indices et indiquant respectivement qu’il faut faire et après différentions. Cette série est une de celles que M. Laplace a donné, pour calculer par approximation, les intégrales des fonctions de grands nombres. Il est aisé de s’assurer que la seconde partie, qui répond à ne donnerait en la développant suivant les puissances et produits de puissances de et que des termes dans lesquels la somme des exposans de ces variables surpasseraient en sorte que nous devons en faire abstraction dans la question présente ; donc, à cause de nous aurons simplement

Nous aurons aussi

Si donc nous développons le dénominateur de cette expression suivant les puissances de et que, étant un nombre quelconque, nous fassions

il en résultera

et, en substituant cette valeur dans celle de on trouvera

À cause du nombre et de la grandeur des quantités qu’elles renferment, les expressions ont de grandes valeurs, et toutes du même ordre de grandeur, d’où il résulte que cette série est très-convergente, du moins dans ses premiers termes ; car les coefficiens numériques qui se trouvent à leurs numérateurs croissent indéfiniment, et finissent par rendre cette série divergente. Mais, en s’en tenant à la partie dans laquelle elle est convergente, on aura une expression très-approchée de et, si nous nous bornons d’abord à son premier terme, nous aurons

pour la valeur correspondante de

La valeur de est la même chose que

en faisant, pour abréger,


Si on la substitue dans et que l’on y fasse après avoir effectué la différentiation indiquée, on aura

et, en intégrant, depuis jusqu’à il vient

Or, les deux symboles et représentant des fonctions semblables de et les coefficiens des mêmes puissances de leurs variables respectives seront les mêmes dans les développemens des deux puissances

désignant donc par le coefficient de dans le premier des deux développemens, et appelant la probabilité du refait de ou le coefficient de dans le développement de nous aurons

de sorte qu’il ne reste plus qu’à calculer la valeur numérique de ce coefficient

8. Avant d’effectuer ce calcul, nous observerons que la quantité serait la probabilité de simple, et, par conséquent, celle du refait de si l’on remettait les cartes dans le jeu, à mesure qu’elles sortent. En effet, dans cette hypothèse, il est aisé de voir, d’après la théorie des combinaisons, que la probabilité d’amener une somme donnée dans un nombre déterminé de tirages successifs, n’est autre chose que le coefficient de , dans le développement de la puissance

ou de par conséquent, la probabilité d’amener cette même somme en un nombre quelconque de tirages sera le coefficient de dans le développement de la série

qu’on peut à volonté arrêter au x.me terme ou prolonger à l’infini ; on y peut aussi ajouter l’unité ; et alors elle devient égale à ce qu’il fallait démontrer.

Il résulte de cette remarque qu’à raison du grand nombre de cartes que l’on emploie au trente et quarante, la probabilité du au premier coup est peu différente de ce qu’elle serait, si l’on s’assujétissait à remettre les cartes dans le talon, à mesure quelles sont sorties. Ce résultat qui aurait aussi lieu au premier coup, pour toutes les autres chances du jeu, est évident en lui-même ; et on peut le considérer comme une vérification de la méthode d’approximation employée dans le numéro précédent.

9. Faisons usage présentement des valeurs numériques de Nous aurons

où l’on a fait, pour abréger,

On conclut de là

et, en développant d’abord suivant les puissances de il vient


On rejette les termes suivans de cette série, qui contiendraient la puissance et des puissances supérieures de Il est aisé de prendre le coefficient de dans chacun des quatre termes que l’on conserve ; et, en faisant la somme de ces quatre coefficiens, on aura la valeur exacte de savoir :


J’effectue les différentiations indiquées ; puis au moyen de je réduis cette formule en nombres ; et, en poussant l’approximation jusqu’aux décimales du sixième ordre, je trouve

d’où il résulte

Le calcul deviendrait très-pénible, si l’on voulait avoir égard au second terme, et aux termes suivans du développement de que nous avons négligés. En tenant compte du second terme, j’ai trouvé que la première valeur approchée de doit être diminuée de les termes suivans ne changeraient pas cette valeur dans les six premières décimales ; ainsi, l’on peut prendre

pour la probabilité du refait de 31, au commencement du jeu.

D’après ce qu’on a dit plus haut, on aura l’avantage du banquier, en multipliant cette valeur de par la demi-somme de toutes les mises ; en sorte que, pour racheter cet avantage, avant que le jeu commence, chaque joueur devrait convenir de donner au banquier, à tous les coups, y compris les coups nuls, les onze millièmes, à très-peu près, de l’argent qu’il voudra exposer.

10. Les problèmes des numéros et comprennent aussi les autres chances du trente et quarante. Si l’on veut, par exemple, calculer la probabilité d’amener le nombre on supposera d’abord, dans le problème du numéro que l’on continue la suite des tirages, jusqu’à ce qu’on ait atteint ou dépassé ainsi, on fera la limite et on déterminera, par l’analise de ce numéro, la probabilité d’amener cette limite ; mais, cette probabilité ne sera pas encore celle qu’il faut connaître ; car, d’après les conditions du jeu, on doit amener le nombre sans avoir passé par le nombre Or, la probabilité de cet événement est évidemment égale à celle qu’on aura calculée, comme on vient de le dire, moins la probabilité d’amener d’abord et ensuite laquelle probabilité se calculera par l’analise du numéro, en prenant et Ces calculs, déjà très-longs par rapport au nombre le seraient encore bien plus pour les nombres supérieurs Mais, si l’on veut connaître les probabilités d’amener ces différens nombres, seulement au premier coup, on pourra supposer qu’on remet les cartes dans le jeu, à mesure qu’elles sont sorties (n.o 8) ; les calculs seront alors faciles à exécuter, et l’erreur que l’on commettra sera peu considérable, ainsi qu’on l’a vu par l’exemple du calcul relatif au

Adoptons donc cette hypothèse approximative, et désignons généralement par le coefficient de dans le développement de étant un des nombres Ce coefficient exprimera la probabilité d’amener en continuant les tirages, jusqu’à ce qu’on ait atteint ou dépassé ce nombre. Soit, en même temps, la probabilité d’amener ce même nombre, sans passer par l’un des nombres inférieurs lorsque la quantité aura été calculée pour les valeurs de comprises depuis jusqu’à il sera aisé d’en conclure les valeurs correspondantes de qui sont celles qu’il s’agit de déterminer.

En effet, puisqu’on remet les cartes dans le talon, à mesure qu’elles sortent, la probabilité d’amener un as, après avoir amené sera égale à par la règle ordinaire des événemens composés ; par conséquent, on aura De même, la probabilité d’amener un as, après avoir amené d’une manière quelconque, et celle d’amener un deux, après avoir amené seront et or, en soustrayant ces deux probabilités de celle qui est représentée par on aura la probabilité d’amener sans avoir passé ni par ni par nous aurons donc En continuant ce raisonnement, on formera cette suite d’équations

au moyen desquelles tout le calcul est réduit à déterminer les valeurs numériques des quantités dont la première est déjà connue.

11. Pour les obtenir, développons, comme dans le n.o 9 la fonction suivant les puissances de et continuons le développement, jusqu’à la puissance inclusivement ; nous aurons


en faisant comme plus haut, Développons ensuite chaque terme, suivant les puissances de et prenons la somme des coefficiens de il vient

si est un des nombres mais, dans le cas de il faudra ajouter à cette valeur de la quantité égale à un millionième près, laquelle provient du cinquième terme de l’expression précédente, qui a pour premier terme de son développement suivant les puissances de

Au moyen de cette formule, on trouvera, en s’arrêtant aux décimales du 5.e ordre

d’où l’on conclut

Somme [2]

Comme un des dix événemens auxquels se rapportent ces probabilités doit nécessairement arriver, la somme de leurs valeurs doit être égale à l’unité, ce qui a effectivement lieu, à un cent millième près.

Ces valeurs de serviront à régler le sort ou le parti des joueurs, après le premier des deux tirages dont un coup est composé. Supposons, par exemple, que ce tirage ait amené le point et soit la mise d’un joueur qui a parié pour le second tirage ; s’il arrive le point au second tirage, le coup est nul, ce qui vaut pour le joueur ; s’il arrive un point moindre que le point le joueur aura gagné, et il recevra enfin, s’il arrive un point supérieur à il aura perdu et ne recevra rien. Ce qu’il faudrait lui donner, si l’on renonçait à jouer le second coup, calculé d’après la règle de l’espérance mathématique, est donc égal à on a ainsi, il aura déjà perdu ou à peu près cinquante-six millièmes de sa mise. Quand le premier tirage a amené le coup est à l’avantage des joueurs qui ont parié pour le second tirage, et leur parti est égal à la mise étant toujours représentée par

Les carrés seront les probabilités des coups nuls et et et et calculées toujours dans l’hypothèse où l’on remet les cartes dans le jeu à mesure qu’elles sont sorties ; mais il sera plus exact de multiplier ces carrés par le rapport comme nous l’avons fait précédemment (n.o 7), en calculant la probabilité du de refait. En appelant donc la probabilité d’un coup nul quelconque, nous aurons

ce qui donne, en effectuant le calcul numérique,

12. Dans une longue suite de coups, les événemens arrivent, à très-peu près, proportionnellement à leurs probabilités respectives. Ainsi, le rapport du nombre des coups nuls au nombre total des coups s’écartera peu d’être celui de à et d’après la probabilité d’un refait de que nous avons trouvée (n.o 7), le rapport du nombre des refaits au nombre des coups joués, y compris les coups nuls, sera, à très-peu près, égal à celui de à Mais ces proportions sont des limites dont les résultats du hasard devront s’approcher indéfiniment, à mesure que le nombre des coups deviendra plus grand ; et l’on peut déterminer, pour chaque nombre de coups, la probabilité que ces résultats ne s’écarteront pas de leurs limites au-delà d’une quantité donnée.

En désignant par le nombre total des coups, par celui des refaits de par la probabilité d’un refait, par la probabilité que la différence sera comprise entre deux limites données et représentées par

et

on trouvera

[3]

l’intégrale commençant avec étant la base des logarithmes népériens, et le rapport de la circonférence au diamètre. Quand la variable augmentera, la probabilité, approchera davantage de l’unité ou de la certitude ; mais, en même temps, les limites de la différence seront plus étendues. Au contraire, lorsque diminuera, ces limites seront plus étroites ; mais la probabilité qui leur correspond s’affaiblira et finira par devenir très petite et peu différente de

Quand elle sera égale à on pourra indifféremment espérer que cette différence tombera en dedans ou en dehors de ces limites. La variable restant la même, si le nombre augmente indéfiniment, la probabilité variera très-peu, et les limites de la différence décroîtront de plus en plus ; de manière qu’on pourra toujours prendre assez grand pour que ces limites tombent au-dessous de toute quantité donnée. Si l’on considérait la différence entre le nombre des refaits observés, et le nombre des refaits calculés d’après leur probabilité les limites de cette différence seraient

la probabilité étant la même que précédemment. Ces limites s’étendront de plus en plus, à mesure que le nombre augmentera, mais elles croîtront moins rapidement que ce nombre, et seulement dans le rapport de sa racine carrée.

En mettant pour la valeur les limites de la différence deviendront

Si l’on a, par exemple, et qu’on prenne il y aura la probabilité que le nombre des refaits observés sera compris entre

et

Pour calculer la valeur de on prendra d’abord l’intégrale que son expression renferme, depuis jusqu’à ce qui donne

puis on retranchera de cette intégrale sa valeur prise depuis jusqu’à valeur qui sera donnée par la série

dans laquelle on fera On trouve, de cette manière,

de sorte qu’il y a près de à parier contre que, sur un million de coups, le nombre des refaits ne sera pas moindre que et n’excédera pas Si le nombre observé sortait de ces limites, il serait très-probable qu’il y a eu erreur involontaire, ou que quelqu’un a trompé au jeu.

On peut se demander quelle doit être la valeur de pour laquelle on aurait cette valeur sera donnée par l’équation

En négligeant d’abord le second terme de son second membre, on trouve que la valeur de est à très-peu près égale à Si l’on fait ensuite et que l’on détermine en négligeant son carré et ses puissances supérieures, on trouve

d’où il résulte qu’il y a un contre un à parier que sur un grand nombre de coups, le nombre des refaits sera compris entre les deux limites

Ainsi, sur un million de coups, par exemple, il sera indifférent de parier que le nombre de refaits différera de en plus ou en moins, d’un nombre plus grand ou d’un nombre plus petit que

En général, lorsque deux joueurs jouent l’un contre l’autre, à jeu égal, il y a la probabilité que le nombre des parties que l’un des deux, sans désigner lequel, gagnera de plus que l’autre, sur un très-grand nombre de coups, n’excédera pas le double de en faisant dans ce double ce qui donne Si donc on prend pour la valeur qui répond à il y aura un contre un à parier que la différence entre les nombres de parties gagnées par les deux joueurs n’excédera pas

ce qui fait par chaque million de parties. Il y aurait donc du désavantage à parier, par exemple, que l’un des joueurs gagnerait moins de parties de plus que l’autre, et de l’avantage à parier que la différence des parties gagnées n’excéderait pas parties.

  1. Communément, pour plus de commodité, les joueurs, qu’on appelle aussi les pontes, placent leurs mises sur le bord de deux cartons circulaires, l’un noir, répondant au premier tirage de chaque coup, et l’autre rouge, répondant au second ; et de là vient que, dans quelques localités, le trente et quarante est aussi appelé la rouge et noire, et qu’on dit parier pour la couleur noire ou pour la rouge, suivant qu’on parie pour le premier ou pour le second tirage.
    J. D. G.
  2. Dans l’article de l’Encyclopédie cité au commencement de ce mémoire, en a aussi déterminé ces mêmes probabilités, en supposant qu’elles sont entre elles comme les nombres de cartes différentes qui peuvent terminer les points auxquels elles répondent. Ainsi, par exemple, peut être terminé par toutes les cartes du jeu, depuis l’as jusqu’au dix, tandis que le point ne peut finir que par un dix ; et, comme au commencement du jeu, il y a cartes de numéros différens, dont quatre dix seulement, il en résulterait, suivant l’article cité, que la probabilité du devrait être égale à trois fois et un quart celle du point ce qui ne s’accorde pas avec les résultats que nous trouvons ; et il en serait de même des probabilités des autres points. Mais il est facile de voir que ce raisonnement est inexact, ; En effet, ils est bien vrai que le peut venir d’un tirage qui aurait amené d’abord et ensuite ou bien et ensuite ou bien et ensuite ou bien enfin et ensuite Il est également vrai que le point ne peut venir que par un tirage qui amènerait d’abord et ensuite mais, pour que les probabilités de ces événement composées fussent entre elles comme leurs nombres respectifs et il faudrait que les probabilités d’amener les nombres par la première partie du tirage fussent égales, ce qui n’a pas lieu, comme on peut s’en assurer.
    (Note de M. Poisson).
  3. Théorie analitique des probabilités, pag. 280.