Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Géométrie, article 1

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GÉOMÉTRIE.

Rapport à l’Académie royale des sciences,

Par M. Cauchy ;
Sur un mémoire relatif aux propriétés des centres
de moyennes harmoniques ;
Par M. Poncelet, Capitaine du génie.
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Le secrétaire perpétuel de l’Académie, pour les sciences mathématiques, certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 23 janvier 1826.

L’Académie nous a chargé, MM. Legendre, Ampère et moi, de lui rendre compte d’un mémoire de M. Poncelet, sur les centres de moyennes harmoniques. Pour donner une idée succincte de l’objet de ce mémoire, il est d’abord nécessaire de rappeler en quoi consiste la division harmonique d’une droite par rapport à un point pris sur cette droite ou sur son prolongement. Si l’on désigne par la lettre le point milieu de la droite dont il s’agit, la distance d’un point quelconque de la même droite au point sera évidemment la moyenne arithmétique entre les distances et en sorte qu’on aura

Or, si dans l’équation précédente on remplace les distances par les rapports la formule qu’on obtiendra, savoir :

ne pourra être vérifiée qu’autant que le point coïncidera, non plus avec le milieu de la droite mais avec un autre point situé sur cette droite, et qui se déplacera en même temps que le point Le point déterminé comme on vient de le dire, est le centre des moyennes harmoniques des points et relativement au point pris pour origine[1]. Si plusieurs points consécutifs sont tels que l’un quelconque d’entre eux coïncide avec le centre des moyennes harmoniques des deux points les plus voisins, ces différens points formeront une échelle harmonique ; et il est facile de prouver que, pour obtenir une semblable échelle, il suffit de mettre en perspective une échelle de parties égales. Plusieurs des conséquences qui résultent de la division harmonique d’une droite avaient déjà été développées par divers géomètres, entre lesquels on doit distinguer Maclaurin. M. Poncelet ajoute de nouvelles propositions à celles qui étaient connues. Les plus remarquables sont celles auxquelles il est conduit en généralisant la définition du centre des moyennes harmoniques. On peut en simplifier la démonstration et les rendre plus faciles à saisir, en substituant aux définitions qu’il présente, celles que nous allons indiquer

Si l’on suppose que chaque élément d’une droite matérielle homogène, et prolongée de part et d’autre à l’infini, attire un point situé hors de cette droite, suivant une certaine fonction de la distance, ce point sera sollicité au mouvement par une force perpendiculaire à la droite, et proportionnelle à une autre fonction de sa distance à cette droite. Si l’attraction entre deux points est réciproquement proportionnelle au quarré de leur distance, la force dont il s’agit sera réciproquement proportionnelle à la simple distance du point donné à la droite vers laquelle il est attiré[2]. Cela posé, soient la droite que l’on considère et plusieurs points situés avec elle dans un seul et même plan. Si l’on suppose différentes masses concentrées sur les points ce que M. Poncelet nomme le centre de leurs moyennes harmoniques, par rapport à la droite ne sera autre chose que le centre des forces parallèles qui solliciteront les masses dans des directions perpendiculaires à la droite.

Concevons maintenant que les masses soient concentrées sur les points situés d’une manière quelconque dans l’espace. Ce que M. Poncelet nomme le centre des moyenne harmoniques des points relativement à un plan donné ne sera autre chose que le centre des forces parallèles qui solliciteront ces différens points, dans des directions perpendiculaires au plan, si l’on admet encore que chaque force soit réciproquement proportionnelle à la distance au plan, ce qui revient à supposer l’attraction entre deux points réciproquement proportionnelle au cube de l’intervalle qui les sépare[3]. En partant des définitions qui précèdent, on établit sans peine les diverses propriétés des centres des moyennes harmoniques.

Ainsi, par exemple, concevons que, les points étant situés dans un même plan avec la droite on joigne un quelconque des points de cette droite avec les points et qu’une parallèle à coupe les droites aux points Si, après avoir pris la droite pour axe des on désigne par la distance entre les droites et puis par les ordonnées des points et si l’on applique à ces points des forces parallèles la force pourra être remplacée par deux composantes parallèles, l’une égale à appliquée au point et l’autre appliquée au point Donc, le système des forces pourra être remplacé par des forces appliquées aux points et par la résultante des forces appliquées au point Donc la droite qui joindra le point avec le centre de gravité des masses concentrées sur les points passera par le centre des forces parallèles ou, ce qui revient au même, par le centre des moyennes harmoniques des masses concentrées sur les points Cette proposition continuera de subsister si les points changent de position sur les droites Or, on peut imaginer que, par suite du changement de position, ils se rangent sur une nouvelle droite qui soit parallèle à ou qui viennent recontrer en un point donné et comme, dans ce dernier cas, le centre des moyennes harmoniques des points restera le même, par rapport à toutes les droites qui passeront par le point on pourra le nommer centre des moyennes harmoniques des points relatif au point Les remarques précédentes fournissent les principales propriétés du centre des moyennes harmoniques de plusieurs points situés dans un plan.

Concevons encore que, les points étant placés à volonté dans l’espace, on trace dans un plan donné une droite quelconque et qu’ayant coupé les plans par un nouveau plan parallèle à on prenne, sur les droites d’intersection, des points quelconques Si, après avoir choisi le plan pour plan des on désigne par sa distance au plan puis par les ordonnées des points et si l’on applique à ces mêmes points des forces parallèles la force appliquée au point pourra être remplacée par deux forces parallèles, l’une égale à appliquée au point et l’autre appliquée au point d’intersection de la droite avec la droite Donc le système des forces pourra être remplace par des forces appliquées aux points et par la résultante des forces appliquées à différens points de la droite

Donc le plan qui renfermera la droite et le centre de gravité des masses concentrées sur les points passera par le centre des forces parallèles ou, ce qui revient au même, par le centre des moyennes harmoniques des masses concentrées sur les points Cette proposition continuera de subsister, si les points changent de position dans les plans Or, on peut imaginer que, par suite du changement de position, les points dont il s’agit soient ramenés dans un nouveau plan qui soit parallèle à ou qui coupe suivant une droite donnée et il est clair que, dans le dernier cas, le centre des moyennes harmoniques des points relatif au plan sera aussi le centre des moyennes harmoniques relatif à la droite Observons d’ailleurs que, si l’on suppose les points situés sur les droites menées des points au point les composantes de précédemment appliquées à divers points de la droite passeront par le point et qu’en conséquence le centre des moyennes harmoniques des points sera situé sur le prolongement de désignant toujours le centre de gravité des points

Les divers théorèmes que nous venons d’établir, et quelques autres que l’on déduit facilement des premiers, ont été démontrés par M. Poncelet, à l’aide d’une méthode très-différente de celle que nous venons de suivre. De plus, après avoir établi les propriétés du centre des moyennes harmoniques, l’auteur en a fait quelques applications ingénieuses, parmi lesquelles nous avons remarqué la construction d’une échelle harmonique, à l’aide d’un procédé fort simple, qui exige seulement l’emploi de la règle.

En partant de la définition que nous avons donnée du centre des moyennes harmoniques, il serait facile de déterminer analitiquement ce même centre. En effet, supposons les masses respectivement concentrées sur des points et cherchons les coordonnées du centre des moyennes harmoniques de ces masses, par rapport au plan des

En faisant pour abréger,

et désignant par la résultante des forces on aura

et, comme on aura de plus, en vertu des formules relatives au centre des forces parallèles,

(2)

on en conclura

(3)

Ces diverses formules s’étendent au cas même où représenteraient les masses des divers élémens d’un corps solide divisé en une infinité de parties ; alors elles se réduiraient à


(5)

désignant la densité de la molécule située en et étant le centre des moyennes harmoniques demandé. Si, pour fixer les idées, on cherche le centre des moyennes harmoniques d’une sphère homogène décrite avec le rayon et dont le centre soit place sur l’axe des à la distance du plan des on reconnaîtra que ce centre est lui-même situé sur l’axe des à une distance de l’origine ; la valeur de étant

(6)

Si la valeur de est très-grande, par rapport au rayon la valeur précédente de ou

deviendra sensiblement égale à et par conséquent le centre des moyennes harmoniques se confondra sensiblement avec le centre de la sphère, comme on devait s’y attendre.

Soient maintenant les coordonnées des points relatives à un plan quelconque, perpendiculaire ou oblique au plan des c’est-à-dire, en d’autres termes, les distances des points au nouveau plan, prises tantôt avec le signe tantôt avec le signe suivant qu’elles se comptent dans un sens ou dans un autre. Soit de même la distance du centre des moyennes harmoniques des points au nouveau plan dont il s’agit. On aura, en vertu des propriétés connues du centre des forces parallèles,

(7)

ou, ce qui revient au même,

(8)

Cette dernière formule comprend, comme cas particuliers, les formules (2), et celles que M. Poncelet a établies relativement au centre des moyennes harmoniques de plusieurs points situés en ligne droite.

Le mémoire de M. Poncelet est précédé d’un discours préliminaire qui offre une sorte de résumé de ses recherches sur la géométrie, et d’une note sur les moyens d’exprimer que quatre points, appartenant respectivement à quatre droites qui convergent vers un point unique, sont compris dans un seul et même plan. Dans le discours préliminaire, l’auteur insiste de nouveau sur la nécessité d’admettre en géométrie ce qu’il appelle le principe de continuité. Nous avons déjà discuté ce principe, dans un rapport fait, il y a plusieurs années, sur un autre mémoire de M. Poncelet[4], et nous avons reconnu que ce principe n’était, à proprement parler, qu’une forte induction qui ne pouvait être indistinctement appliquée à toutes sortes de questions de géométrie, ni même en analise. Les raisons que nous avons données, pour fonder notre opinion, ne sont pas détruites par les considérations que l’auteur a développées dans son traité des propriétés projectives.

Quoi qu’il en soit, nous pensons que le mémoire de M. Poncelet sur les centres de moyennes harmoniques fournit de nouvelles preuves de la sagacité de son auteur, dans la recherche des propriétés des figures, et qu’il mérite ; sous ce rapport, l’approbation de l’Académie.

Signés, AMPÈRE ; LEGENDRE ; CAUCHY, rapporteur.

L’Académie adopte les conclusions de ce rapport.

Certifié conforme :

Le secrétaire perpétuel, pour les sciences mathématiques,

Signé, le B.on FOURIER.

  1. Il est aisé de voir que les points et coupent harnioniquement la droite dans le sens qui a été expliqué à la page 274 du présent volume.
    J. D. G.
  2. Soit prise, en effet, la droite dont il s’agit pour axe des , et supposons le point attiré situé sur l’axe des , à une distance de l’origine ; l’attraction exercée sur ce point par un élément de cette droite sera étant une constante relative à la fois et à la masse de l’élément et à l’intensité de l’attraction. Cette attraction, estimée suivant l’axe des , sera donc  ; différentielie dont l’intégrale est

    Si l’on suppose la droite d’une longueur et ayant son milieu à l’origine, on obtiendra l’action totale exercée par cette droite, laquelle s’exercera uniquement dans le sens des , en faisant et doublait le résultat ; ce qui donnera  ; fonction qui se réduit simplement à lorsqu’on suppose  ; L’attraction est donc alors inversement praportionnelle à la distance du point attiré à la droite attirante.

    J. D. G.
  3. Tout étant d’ailleurs supposé comme dans la précédente note, supposons que l’attraction soit inversement proportionnelle au cube de la distance ; l’attraction exercée par l’élément aura alors pour expression Cette attraction, estimée suivant l’axe des , sera donc différentielle dont l’intégrale est

    Si l’on suppose la droite d’une longueur et avant son milieu à l’origine, on obtiendra l’action totale exercée par cette droite, laquelle s’exercera uniquement dans le sens des en faisant et doublant le résultat, ce qui donnera

    Si ensuite on suppose le terme disparaîtra, tandis que le suivant se réduira à de sorte que l’attraction exercée par la droite sera exprimée par elle sera donc inversement proportionnelle au quarré de Ainsi, l’attraction de tous les élémens d’une droite d’une longueur infinie sur un point situé hors de sa direction, étant inversement proportionnelle au cube de leur distance à ce point, l’action totale de cette droite sur ce même point se réduit à une action perpendiculaire, inversement proportionnelle au quarré de la distance de ce point à cette droite.

    Cela posé, soit un plan uniformément matériel, et d’une étendue infinie, considéré comme plan des dont tous les points exercent sur un point de l’axe des une attraction inversement proportionnelle au cube de la distance. Considérons ce plan comme composé d’élémens rectilignes, d’une longueur infinie, parallèles à l’axe des . L’action totale de chaque élément se réduira, parce qui précède, à une action dirigée suivant la droite qui joint le point attiré à l’intersection de cet élément avec l’axe des et inversement, proportionnel au quarré de la longueur de cette droite. On se trouvera donc dans le même cas que si, le plan attirant étant remplacé par l’axe des l’attraction était devenue inversement proportionnelle au quarré de la distance ; donc, par la précédente note, l’action totale du plan sur le point attiré se réduira à une action suivant l’axe des et inversement proportionnelle à la simple distance de ce point à ce plan.

    J. D. G.
  4. Voyez ce rapport à la page 69 du XI.me volume du présent recueil.
    J. D. G.