Annales de pomologie belge et étrangère/Introduction

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Introduction.


SOMMAIRE.

Considérations générales sur les fruits. — Contraste entre les régions équatoriales et les climats Européens. — But des recherches de la Pomologie. — Persistance des genres et des espèces de la création. — Vie bornée des variétés. — Nécessité de les remplacer à mesure de leur décrépitude. — Moyen naturel par les semis spontanés. — Artificiel, par les travaux de l’homme. — Fruits cultivés dans l’antiquité. — Influence de la marche et des conquêtes des armées romaines sur la dissémination des espèces fruitières. — Fruits indigènes à l’Italie d’après les agronomes latins. — Espèces importées de l’Asie et de la Grèce en Europe. — Richesse de la Pomone antique suivant Pline et Pallardius. — Installation d’un fruitier romain d’après Varron. — Époque de l’invasion des barbares et de la féodalité. — Renaissance de la Pomologie au xve siècle, Olivier de Serres. — Petit nombre de fruits de cette époque encore cultivés de nos jours ; — xvie siècle, Merlet et la Quintinie. — xviie siècle, Duhamel. — Comparaison de leurs nomenclatures. — Preuves à l’appui du principe de la dégénération des variétés du poirier, posé par Van Mons. — Travaux et semis des horticulteurs du Hainaut, 1750 à 1790. — Van Mons, sa naissance, sa vie, ses travaux, son système sur la régénération des variétés par le moyen des semis successifs, 1790 à 1842.

§ Ier.

Le Créateur, dans sa munificence infinie, en couvrant notre globe des productions du règne végétal, ne s’est pas contenté de pourvoir ainsi à l’existence des êtres vivants sur cette terre, il a voulu, en outre, leur accorder toutes les jouissances des sens. À côté des céréales, richesse et alimentation principales des peuples ; des plantes textiles qui leur fournissent le vêtement ; des plantes fourragères à l’usage de nos animaux domestiques, l’Auteur de toutes choses a placé les fleurs, qui réjouissent nos yeux par leurs couleurs aussi éclatantes que variées, et dont une grande partie donnent naissance aux fruits, afin de satisfaire à toutes les exigences du goût.

Pour le botaniste, un fruit n’est qu’un ovaire fécondé, succédant à une fleur, et dont la destination est de pourvoir, par la formation et la fécondation des graines, au grand but de la nature, la reproduction des individus et la durée des genres et des espèces. D’après une telle définition, le blé serait un fruit au même titre que le raisin ; le gland ; les légumineuses figureraient à côté de la noix, de la poire ou de la pêche.

Les vues du pomologue sont moins générales : il considère comme fruits proprement dits, ceux qui sont immédiatement comestibles et propres à l’usage de l’homme, sans aucune transformation préalable.

Les arbres, les arbustes et les autres végétaux qui produisent les fruits, se trouvent répandus dans une proportion très-inégale, et selon les climats, sur toutes les parties de la terre. Dans les régions équatoriales, la nature les produit avec une libéralité sans égale, et presque spontanément. L’habitant des contrées tropicales récolte sans beaucoup de travail, les fruits du cocotier, de l’arbre à pain, de l’ananas, de la grenadille, etc., etc. ; il semble que la nature, en bonne mère, ait voulu lui épargner des fatigues incompatibles avec la chaleur énervante de son climat.

L’Européen, moins favorisé, doit pourvoir à ses besoins, à ses goûts, d’une manière plus laborieuse, tandis que, sous nos latitudes, les espèces fruitières indigènes ont nécessité des efforts persévérants, un travail obstiné de la part de l’homme, pour se perfectionner, se civiliser en quelque sorte, avant d’obtenir la place qu’elles occupent dans nos cultures. Entre les calvilles, les beurrés si fins, si parfumés et les petits fruits acerbes du pommier et du poirier de nos forêts, la distance n’est-elle pas énorme ?

Peut-on comparer la cerise des bois avec les belles variétés de cerises et de bigarreaux introduites dans nos jardins ? Pour nous procurer ce que les peuples méridionaux obtiennent avec tant de facilités, nous avons dû vaincre la nature, la modifier par les semis, la culture et les croisements, transplanter des autres contrées les espèces qui nous manquaient ; ces besoins ont fait naître et grandir l’art de l’horticulteur, et créé une branche de connaissances, la pomologie, que les travaux de Van Mons ont fait notablement progresser, en traçant, pour l’avenir, des règles applicables à l’amélioration des espèces.

Le temps, dans sa course rapide, emporte les générations et fait disparaître également les sous-variétés de végétaux : si les genres et les espèces de la création actuelle se maintiennent à la surface du globe, la plupart de ces types y sont représentés par des variétés, individualités passagères qui n’ont qu’une existence bornée. C’est à l’homme, doué d’une intelligence supérieure, à s’en servir pour réparer ces pertes, et remplacer les variétés éteintes ou languissantes par des individus nouveaux doués de l’énergie et de la vitalité de la jeunesse.

Tel doit être le but des recherches du pomologue ; la nature elle-même lui en a donné l’exemple, en faisant naître, par des semis spontanés, les variétés utiles destinées à remplir les vides qui se forment sans cesse dans nos cultures.

Les meilleures règles à suivre dans ce genre de recherches, ont préoccupé, dans les temps modernes, un grand nombre d’hommes distingués.

Van Mons, en ouvrant cette voie nouvelle, a été suivi, en Angleterre, par Knight, Davy, William Herbert ; en France, par Sageret, Poiteau, Puvis et Vilmorin ; en Allemagne, par Diel.

Ces naturalistes sont unanimes pour constater la dégénération des fruits au bout d’un certain temps. Van Mons entre autres fixe la durée moyenne du poirier à environ deux ou trois cents ans, et cette loi de la nature se prouve encore à l’évidence, par la comparaison des richesses pomologiques des trois derniers siècles. On peut la confirmer aussi par le mode de végétation et de production actuelles des fruits gagnés vers l’époque de La Quintinie, de 1650 à 1680. Cet auteur, d’accord avec Merlet, son contemporain, enregistre, pour ainsi dire, l’acte de naissance d’une partie de ces fruits, encore cultivés de nos jours, et déjà arrivés à la caducité.

Pour être complètes, les Annales de la Pomologie devraient remonter aux temps primitifs du genre humain. La Genèse, parlant du premier séjour de l’homme, le décrit comme un jardin rempli de fruits délicieux, et attribue à l’attrait de l’un de ces fruits, la convoitise de la femme et la désobéissance de nos premiers aïeux.

Mais la connaissance de ces époques mystérieuses sera toujours un secret impénétrable pour nous : Moïse ne s’est pas occupé de décrire l’horticulture et la pomologie du monde sortant des mains de son Créateur. Les annales de l’antiquité jusqu’aux temps des Romains, jettent fort peu de lumières sur les fruits cultivés par les Grecs et les Égyptiens. La vigne échappe cependant à cette indifférence, à cet oubli des historiens ; car, dans l’antiquité, comme de nos jours, on tirait de son fruit la boisson la plus agréable et la plus bienfaisante. On sait que les chefs des hébreux, marchant à la conquête de la Palestine, excitaient l’ardeur du peuple en étalant sous ses yeux des grappes énormes, comme témoignage de la fertilité de cette terre promise.

Chez les nations païennes, la découverte d’un fruit précieux ou des jouissances qu’il peut procurer, était considérée comme un bienfait des dieux. On érigeait des autels à Bacchus pour avoir introduit l’usage du vin. Pour les Athéniens, l’olivier était le plus beau présent de la Divinité, qu’ils adoraient sous le nom de Minerve. Homère, en décrivant les jardins du roi des Phéaciens, mentionne le peu d’espèces fruitières que l’on y cultivait. Théophraste, qui écrivait 300 ans environ avant l’ère chrétienne, énumère dans son traité des végétaux, un grand nombre de fruits connus de son temps et donne des instructions sur la greffe et la culture en général.

Les conquêtes d’Alexandre et la marche envahissante des armées romaines, ne furent pas inutiles aux progrès de la pomologie antique. Le peuple-roi, en étendant sa domination du centre de l’Italie jusqu’aux confins du monde alors connu, transportait les productions d’un climat vers l’autre. Ses généraux, gorgés des riches dépouilles des peuples vaincus, abandonnaient les mœurs austères des premiers temps de la république ; ils ne se contentaient plus, dans leurs festins, des fèves de Curius-Dentatus, et laissaient à d’autres le soin de préparer leur cuisine. Les animaux et les végétaux les plus rares, envoyés à grands frais des extrémités du monde romain, contribuaient au luxe de leur table, et, sans aucun doute, les fruits faisaient partie d’une telle recherche. Lucullus, cet illustre gourmand du salon de Diane, rapporta du fond de l’Asie, la meilleure espèce de cerise connue. L’abricotier et le pêcher, importés de l’Arménie et de la Perse, se répandirent dans les autres provinces.

La culture de la vigne, négligée longtemps par les Romains, au dire de Pline, avait acquis une grande importance sous les empereurs. L’un d’entre eux, Probus, s’attacha à la propager ; sous ses auspices, elle pénétra dans la Germanie, et la plantation des vignobles de Tokai, vers l’an 280 de l’ère chrétienne, est attribuée à cet empereur. Les sombres forêts de la Gaule firent place à des vignobles dans beaucoup de localités du centre et du midi. Cette culture prit une telle extension que le tyran Dioclétien crut nécessaire d’en arrêter les progrès ; il lança un décret qui la prohibait entièrement.

Pline l’Ancien, dans les livres XIV et XV de son Histoire naturelle, constate les richesses pomologiques de son temps. Nous y voyons que la plupart des arbres fruitiers sont exotiques par rapport à l’Italie, et probablement au reste de l’Europe. L’olivier y était inconnu dans les quatre premiers siècles après la fondation de Rome, sous le règne des Tarquin, et cet arbre n’existait pas davantage alors en Espagne ni dans le midi de la Gaule, pays peuplés d’oliviers aux temps de Pline. Il est probable qu’on les fit venir de la Grèce, qui possédait cet arbre dès les temps les plus reculés.

Le prunier était également un arbre nouveau pour les Romains, car le même auteur atteste qu’il était fort peu répandu du temps de Caton, c’est-à-dire 250 ans avant lui, et il cite onze variétés de prunes cultivées ; on en possédait des pourpres, des jaunes, des noires ; celles qui venaient de l’Arménie étaient particulièrement estimées pour leur odeur.

On comptait peu de variétés de pèches, fruit introduit de l’Asie et déjà fort estimé à cette époque ; il se vendait très-cher.

Les abricots, apportés de l’Arménie, étaient connus alors depuis environ 30 ans ; notre auteur ne mentionne aucune variété de cet arbre et se borne à dire qu’il produit un bon fruit d’été, qui se vendait un denier romain la pièce.

Le poirier et le pommier, arbres indigènes à l’Italie, ainsi qu’il résulte de plusieurs passages des auteurs anciens, occupaient le même rang, la même importance qu’on leur assigne de nos jours dans l’économie domestique. Les variétés de poires, mentionnées par Pline, sont au nombre de 43, et il compte 29 pommes. À l’instar de ce qui se fait encore aujourd’hui, on donnait souvent à ces variétés le nom de leurs inventeurs ; c’est ainsi que les Romains cultivaient la poire Décimienne, en mémoire de Décimus, qui l’avait greffée le premier. On citait encore les poires Licériennes, Séveriennes et celle de Dolabella ; une variété plus grosse et très-colorée avait reçu le nom de Tibérienne, en l’honneur de l’empereur Tibère, qui les aimait beaucoup. Un assez grand nombre de ces fruits portaient le nom des localités d’où on les avait reçues. Les poires de Falernes étaient brunes et fort estimées pour l’abondance de leur jus. Celles d’Améria étaient les plus tardives de toutes. La même nomenclature comprend les poires de Soria, d’Ancône, de Tarente, de Barbarie, de Grèce, etc. ; les Laurines et Nardines, ainsi nommées à cause de l’odeur aromatique qu’on leur trouvait. La Volumiene ou Sementine était déjà fort ancienne : Caton l’estimait particulièrement. On peut donc conclure des noms cités plus haut, que la culture du poirier s’était répandue dans une grande partie des pays soumis à la domination romaine composant alors l’univers civilisé.

« Pourquoi dédaignerais-je, ajoute Pline, de nommer les autres espèces, puisqu’elles ont assuré un renom éternel à ceux qui les ont découvertes, à titre de service éclatant rendu à l’humanité ; il n’est rien de si petit qui ne puisse procurer la gloire. »

La nomenclature de la pomone antique nous montre encore le figuier, qui comptait 29 espèces ou variétés, dont l’une, la figue africaine, servit un jour à Caton pour attiser le feu de la guerre contre les Carthaginois.

« Brûlant d’une haine mortelle contre Carthage, inquiet pour la sécurité à venir des Romains, et répétant, à chaque séance du Sénat, qu’il fallait détruire la rivale de Rome, il apporta un jour, au sein de l’assemblée, une figue précoce qui provenait de cette province, et la montrant aux sénateurs : Je vous demande, dit-il, quand vous pensez que ce fruit ait été cueilli ? Eh bien ! sachez qu’il l’a été à Carthage il y a trois jours, tant l’ennemi est près de nos murs. Bientôt on entreprit la troisième guerre punique, où Carthage fut détruite. »

Ainsi cette grande ville, qui avait disputé, pendant plus d’un siècle, l’empire du monde à Rome, qu’elle avait mis à deux doigts de sa perte, fut renversée par un argument tiré d’un fruit. Ce que n’avait pu faire le souvenir des terribles défaites du Trasymène, de Cannes, de la Trébie, fut décidé par une figue dans la main de Caton.

Le cerisier comptait aussi un certain nombre de variétés. Cet arbre paraît n’avoir pas existé en Italie avant les victoires de Lucullus sur Mithridate, et y fut apporté du royaume de Pont vers l’an 680 de l’ère romaine : un siècle plus tard, il était répandu jusque dans la Grande-Bretagne.

Le citronnier, le noyer et le châtaignier étaient également des arbres exotiques relativement à l’Italie. Selon Pline, le premier tirait son origine de la Perse ; le second venait de Sardes. D’après Pallodius, le citronnier a été tiré de l’Assyrie. Ainsi l’Asie aurait doté l’Europe d’une grande partie de ses espèces fruitières ; mais le grenadier, la vigne, le pommier, le poirier, le coignassier semblent avoir été indigènes à l’Italie ; le plus ancien des agronomes latins, Caton, dans son Traité d’économie rurale, les cite comme composant le fond d’un verger romain de son temps, vers l’an 550 de Rome.

Deux ou trois siècles après, Varron et Columelle mentionnent un grand nombre de variétés de ces espèces. Le premier donne des préceptes curieux sur l’installation d’un fruitier. « Il faut, dit-il, avoir soin d’en ouvrir les fenêtres au nord, et laisser un libre cours aux vents qui soufflent de ce côté ; il importe toutefois de les garnir de volets, car le vent continu finit par ôter aux fruits leur suc, et par les rendre insipides. Pour plus de fraîcheur encore, on recouvre en stuc les voûtes, les murailles et même les planchers de ces fruiteries. On voit même certaines personnes y faire dresser des lits pour y prendre leurs repas ; et en effet, quand on est assez riche pour forcer l’art à faire d’une salle à manger une galerie de peintures, pourquoi se refuserait-on la jouissance toute naturelle de contempler, en dînant, une variété de bons fruits, arrangés dans une agréable symétrie ? N’imitons pas toutefois ceux qui, donnant un dîner à la campagne, étalent somptueusement, dans leur fruiterie, la dépouille de tous les marchés de Rome. »

Le néflier, le mûrier, l’arbousier et le fraisier complètent la nomenclature des espèces fruitières cultivées sous les premiers empereurs. On comptait dès lors un grand nombre de variétés dans toutes ces espèces. Cette partie de la civilisation, suivant Pline, était arrivée au plus haut degré, depuis longtemps on ne trouvait plus aucun fruit nouveau. Le prunier, entre autres, comptait une foule immense de variétés. Il en était de même de la vigne, selon Columelle.

Mais Palladius, qui écrivit son livre sur l’agriculture (De re rusticâ) vers le ive siècle de notre ère, se plaignait déjà de la disparition d’un grand nombre de ces fruits. La plupart durent se perdre dans les siècles qui suivirent la chute de la puissance romaine. Les hordes barbares qui se jetèrent sur les débris de cet empire, étaient plus pressées de jouir que de cultiver ; de détruire que de créer.

L’époque de la féodalité, qui suivit ces temps effroyables, ne fut pas meilleure pour la pomologie. Les seigneurs, les chevaliers, sans cesse en lutte avec des voisins, se reposaient sur leurs serfs des soins de la culture. Ceux-ci, dans leur situation précaire, devaient s’occuper avant tout des premiers besoins de la vie ; ils étaient sans doute peu soucieux de procurer des jouissances nouvelles à leurs tyrans.

Mais à côté de ce monde turbulent, des hommes paisibles et laborieux, dans le silence des monastères, dévouaient leurs moments de loisir à la conservation de tout ce qui restait de l’antiquité ; réunis par un lien religieux, ils défrichèrent une grande partie des forêts, et furent les premiers pionniers de l’agriculture.

Autour de leurs cloîtres, attirés par les immunités et les privilèges dont ils jouissaient, on vit les populations s’agglomérer et former de nouveaux centres.

On ne peut douter que les types fruitiers, échappés aux orages des siècles précédents, n’aient été recueillis par les moines, dont le goût pour l’horticulture s’est perpétué jusqu’à leur suppression. On dut conserver également avec soin, les variétés nouvelles que le hasard faisait trouver ou que la nature faisait naître par des semis spontanés. Les anciennes nomenclatures françaises prouvent ces faits, par le grand nombre de fruits portant le nom générique de Bézy ou sauvageon, tels sont les Bézy d’Héri, de Chasse, de Chaumontel. En Belgique, plusieurs de nos meilleurs fruits portent encore le nom des abbayes qui les firent connaître.

Le xve siècle, cette époque si remarquable par les révolutions et les découvertes nouvelles, ne fut pas moins intéressant pour la pomologie. De même qu’autrefois les Romains avaient disséminé, transporté dans toutes les parties de l’ancien monde, les végétaux et les fruits trouvés par eux dans les diverses provinces de leur empire, une mission providentielle analogue, et plus vaste encore, était dévolue aux nations occidentales de l’Europe. Christophe Colomb venait de découvrir l’Amérique ; les peuples navigateurs : Espagnols, Hollandais, Français, Anglais, dirigeaient leurs expéditions de ce côté ; il devait en résulter, pour les modernes, la connaissance complète de toutes les parties du globe, ainsi que l’échange, entre elles, des productions et des divers fruits particuliers à chaque pays, en perfectionnant même ces fruits par leur déplacement. En effet, la culture européenne a amélioré l’ananas, introduit du Mexique vers le xvie siècle, tandis que les États-Unis d’Amérique commencent à nous renvoyer des variétés nouvelles de nos anciennes espèces fruitières.

On peut fixer à la fin du xvie siècle la renaissance de la pomologie ; elle date en réalité des travaux d’Olivier de Serres, qui peut être considéré comme le père de l’agronomie française. Né en 1539, il fut d’abord, comme seigneur de Pradel, mêlé aux guerres civiles de son époque ; fatigué des luttes religieuses, il se réfugia dans le repos de la campagne et le plaisir de cultiver ses domaines. On doit à ces goûts paisibles, le Théâtre d’agriculture et de ménage des champs qui parut vers l’an 1600. Cet ouvrage, d’un immense intérêt pour les contemporains, donnait pour la première fois, depuis les agronomes latins, un code d’instructions rurales ; il remplaçait à la fois Pline, Columelle, Varron et Palladius, dont les œuvres, non traduites, n’étaient guère accessibles qu’aux savants.

La plus grande partie des fruits mentionnés par Olivier de Serres, ne se retrouvent déjà plus dans l’Instruction pour les jardins, de la Quintinie, publiée vers 1680 ; il en reste fort peu qui soient encore admis dans les cultures actuelles ; de ce nombre sont les pommes de Court-Pendu, d’Api, la Pigeonnelle, le Fenouillet, la Calville ; les poires de Doyenné, Rousselet, Épargne, Blanquet, Catillac, Longue-Verte, Bon-Chrétien ; les prunes Reine-Claude, Perdrigon, Isle-Verte, Damas et Sainte-Catherine ; les pêches Madeleine, Rossane, Brugnon Musqué et avant Pêche blanche ; les cerises de Montmorency, la Griotte, le Bigarreau.

Le Jardinier français, petit traité imprimé à Rouen, en 1580, mentionne en outre plus de trois cents variétés de fruits inconnus aujourd’hui, dont les noms barbares et les descriptions n’ont aucune analogie avec ce que nous possédons maintenant[1].

La Quintinie et Merlet nous ont laissé des nomenclatures descriptives assez complètes de la Pomone française du xviie siècle. Un volume du premier de ces auteurs est consacré à des discussions sur la prééminence à accorder à certains fruits sur d’autres : véritables plaidoiries dans lesquelles, au lieu d’avocats, notre auteur fait intervenir des poires ou des pêches, défendant leur cause par tous les moyens que la chicane peut inventer. Parmi les poires admises en première ligne par la Quintinie, et qualifiées de merveilleuses, on s’étonne de voir figurer des Robine, des Ambrette d’hiver, des Petit-Oin, des Échasserie, des Bergamotte d’automne, etc., etc., dont plusieurs sont rejetées maintenant des bonnes collections d’amateurs, mais avaient sans doute, à cette époque, des qualités qu’elles ont perdues. Néanmoins, nous trouvons dans ce travail du jardinier de Louis XIV, un point de départ précieux ; il comprend l’étude de trois cent dix variétés de fruits de divers genres et espèces.

Si l’on compare cette Pomonomie avec celle de Duhamel, auteur non moins consciencieux et non moins complet, qui écrivait un siècle plus tard, on trouve pour résultat, que cent soixante-neuf variétés décrites par la Quintinie ont disparu dans le Traité des arbres fruitiers de Duhamel. Elles y sont remplacées par un nombre presque égal d’acquisitions plus récentes. Ainsi, dans l’espace d’un siècle, ces renouvellements portaient sur plus de la moitié des fruits connus.

Si l’on réunit les nomenclatures des deux auteurs précités, l’ensemble se compose de quatre cent soixante à quatre cent quatre-vingts variétés distinctes. Il est curieux et important, pour la question qui nous occupe, de déterminer celles de ces variétés qui sont ou qui peuvent encore être cultivées aujourd’hui.

Il résulte de nos recherches[2], qu’environ deux cents fruits de ces nomenclatures ont disparu, sans doute pour jamais. Leur culture est abandonnée ; on n’en trouve plus de traces. Cent seize autres subiront bientôt le même sort ; car, si elles figurent encore dans les catalogues du commerce, elles y sont indiquées comme étant de deuxième ou de troisième ordre, et devront disparaître devant les conquêtes dont la pomologie s’enrichit sans cesse. Les cent cinquante-six variétés de fruits anciens qui mériteraient encore les soins du cultivateur, ne constituent pas une objection sérieuse contre le principe de la dégénération posé par Van Mons. Il est, sans aucun doute, dans le règne végétal, des individualités dont la solidité et l’énergie vitale sont telles qu’elles se soutiennent contre les causes incessantes de dégénération auxquelles d’autres ne résistent pas ; d’ailleurs, cet abâtardissement se montre plus encore dans l’infertilité et la difficulté de culture, que dans la qualité d’un fruit. Il est facile d’alléguer à l’appui de cette règle des faits nombreux et concluants ; nous nous bornerons à en citer un seul.

La Quintinie désigne comme tout à fait nouvelles à l’époque où il écrivait son instruction pour les jardins, trois poires de premier ordre, très-connues, ce sont : la Bergamotte Crassanne, le Colmar et la Virgouleuse ou Virgoulée. Ces variétés ont donc environ deux cents ans d’existence, ainsi que l’affirme également Merlet. Sous le rapport de la saveur et de la qualité, ces fruits ne semblent nullement dégénérés ; mais, pour les cultiver avec quelque succès, l’abri d’un mur au midi ou au levant leur est maintenant indispensable. Cette nécessité est constatée, non-seulement en Belgique et dans nos départements du nord de la France, mais aussi au delà de la Loire. Peut-être pourrait-on citer un petit nombre de localités privilégiées, dont la position, le sol, de bons abris, permettent encore d’élever ces arbres en plein-vent ; mais ces exceptions admises, partout où l’on voudra les cultiver sans le secours de l’espalier, leur dégénération se trahira par la coulure de la plupart des fleurs, la petitesse des fruits, les taches et les gerçures dont ils seront couverts.

Cependant, lors de l’apparition de ces variétés, de l’année 1650 à 1680, on les considérait comme des fruits de grande culture et non d’espalier. Merlet cite la Virgouleuse pour le plein-vent ou le buisson. La Quintinie, dans la longue énumération des poiriers dont il propose de garnir sept à huit mille pieds de murailles, n’indique ni Colmar ni Bergamotte crassane, mais il réserve ces trois variétés pour ses buissons, forme qui tenait lieu, à cette époque, de celle de la pyramide[3].

On doit prendre aussi en considération que le jardinier de Louis XIV écrivait évidemment sous l’impression du climat de Versailles, dont les jardins royaux étaient placés sous sa direction ; or, on sait que Versailles est situé sur un plateau élevé, entouré de vastes forêts de plusieurs côtés, et que sa situation ne saurait être considérée comme chaude et abritée.

Ces observations sont applicables à la plupart des meilleurs fruits anciens, tels que les Beurré gris, les Saint-Germain, les Bon-chrétien d’hiver, etc., et déjà même à plusieurs fruits remarquables gagnés dans le Hainaut depuis moins d’un siècle, tels que le Passe-Colmar, le Beurré d’Hardenpont et le Bon-Chrétien de Rance. Au surplus, beaucoup de pomologues ont reconnu le principe de la dégénération des fruits. Il résulte de là qu’il est nécessaire de remplacer ces variétés dégénérées, et, à cet effet, de rechercher les meilleurs procédés de semis. L’ardeur avec laquelle on est entré dans cette voie, tant en Belgique qu’en France, en Angleterre et aux État-Unis, prouve l’utilité des travaux et des recherches de Van Mons.

Avant lui, notre pays peut revendiquer l’honneur des premières tentatives d’amélioration. Pendant la seconde moitié du xviiie siècle, beaucoup d’horticulteurs, dans la province du Hainaut, produisirent à l’envi des nouveautés fruitières, souvent de premier ordre ; une vive émulation existait entre eux. M. Hardenpont fit connaître, en 1758, le Passe-Colmar ; en 1759, le Beurré qui porte son nom (en France Beurré d’Arenberg) ; la même année, le Délice d’Hardenpont ; en 1762, le Bon-Chrétien de Ranc. Dans les années suivantes, MM. Liart, Duquesne, Capiaumont, Lhoir, Derlain, firent connaître d’autres belles variétés. Duhamel, contemporain de M. Hardenpont, n’a cependant pas décrit les fruits de premier ordre gagnés par ce pomologue, car leur introduction en France est encore assez récente. Van Mons lui-même se plaignait de ne les avoir pas connus assez tôt pour les prendre comme point de départ de ses expériences sur la régénération des fruits, expériences sur lesquelles nous nous étendrons un peu, car il nous a paru que les Annales de Pomologie, dans lesquelles nous nous proposons de décrire bon nombre de fruits dus aux semis persévérants de notre célèbre pomologue, semis opérés sur une large échelle et à l’aide d’une méthode raisonnée qu’on est convenu d’appeler sa théorie, ne pouvaient mieux inaugurer ce premier volume, qu’en plaçant dans son introduction un exposé aussi succinct que possible de cette théorie.

A. Royer.


§ II.

Théorie Van Mons.

Van Mons, dans sa Pomonomie belge, expérimentale et raisonnée, ouvrage en deux volumes, qui a été imprimé à Louvain en 1836 et 1837, a souvent émis des hypothèses quelque peu hasardées, il est vrai, mais cette œuvre, écrite à la hâte et contenant de nombreuses répétitions, n’est, comme il le dit lui-même, qu’une réunion de notes que d’autres travaux importants et l’incertitude de l’avenir ne lui ont pas permis de coordonner. Nous sommes certain que, s’il avait pu revoir son œuvre, ces hypothèses, qui font douter bien des personnes de la solidité de son système, en eussent été retranchées ou tout au moins reléguées dans les probabilités.

Nous n’extrairons de cette théorie que ce qui concerne spécialement son opinion touchant la décadence des variétés fruitières anciennes, et sa méthode de les rajeunir par le moyen des semis successifs. Sur ces faits nous marchons d’accord avec l’auteur, et son système, continué avec persévérance jusqu’à ce jour, nous promet une grande partie des résultats qu’il en avait attendus.

Jean-Baptiste Van Mons est né à Bruxelles, le 11 novembre 1765. La capitale était privée à cette époque d’un bon enseignement humanitaire, et son père, receveur du Grand-Béguinage de Bruxelles, l’envoya faire ses classes au collége de Moll, dans la Campine, où il contracta un goût prononcé pour l’étude des sciences.

À l’âge de 20 ans, il publia son premier ouvrage ; c’était un Essai sur les principes de la chimie antiphlogistique, et deux ans plus tard, il subit, avec distinction, les épreuves de la maîtrise en pharmacie.

En 1789 arriva la révolution brabançonne ; Van Mons était vonkiste et grand partisan des réformes ; après l’arrestation de Vandermeersch, il fut emprisonné à la porte de Hal, et n’échappa qu’avec peine à la sentence de mort prononcée contre lui, comme coupable du crime de lèse-majesté ou de lèse-nation.

En 1792, après la bataille de Jemmapes, Van Mons, alors âgé de 27 ans, fut nommé représentant du peuple, et se lia, dès cette époque, avec l’élite des savants français. Ses travaux en chimie et en physique, ainsi que la connaissance de plusieurs langues vivantes, le mirent plus tard en communication avec la plupart des savants étrangers.

Nommé membre associé de l’Institut de France en 1796, professeur de chimie et de physique expérimentale à l’école centrale du département de la Dyle en 1797, Van Mons se fit recevoir docteur à la faculté de médecine de Paris en 1807, faisant ainsi marcher de front l’art de guérir avec les soins de sa pharmacie.

Lorsque, après les événements de 1815, le roi Guillaume rétablit l’Académie royale des sciences et des belles-lettres de Bruxelles, le nom de Van Mons fut compris dans la première nomination, et en 1817 le gouvernement lui confia la chaire de chimie et d’agronomie à l’université de Louvain, fonction qu’il occupa jusqu’à la suppression légale de cette université, remplacée depuis par l’Université catholique.

Par suite de ce changement et du refus de Van Mons de remplir les mêmes fonctions à l’université de Gand, le gouvernement lui accorda, avec l’éméritat, le maximum de la pension de retraite, et bientôt après, le Roi lui conféra, en récompense de ses travaux, la décoration de son ordre.

Nous avons extrait ce qui précède, de la notice historique écrite en 1843 par M. Quetelet, directeur de l’Observatoire de Bruxelles et neveu par alliance de Van Mons. Nous renvoyons à cette notice, pour ce qui regarde ses ouvrages de physique et de chimie ; nous n’avons à apprécier le professeur que dans ses rapports avec la pomologie exclusivement.

Van Mons était né avec le goût du jardinage ; dès sa tendre jeunesse, il s’occupait à semer dans le jardin de son père, les graines de plantes annuelles et de rosier, afin d’obtenir des variétés nouvelles plus méritantes. Du semis des espèces florales, il passa à celui des espèces fruitières, en suivant, avec persévérance, la solution d’un système dont ses premiers essais lui avaient donné l’idée, et, en peu d’années, il réunit dans sa pépinière de la Fidélité, à Bruxelles, une masse d’arbres fruitiers, la plupart provenus de ses semis ; leur nombre s’élevait en 1815 à plus de 80 000.

En 1819, ex abrupto, le terrain qui contenait la pépinière de la Fidélité fut exproprié pour utilité publique, et Van Mons fut sommé de le vider dans le délai de deux mois. Il fut vivement affecté, mais non abattu d’une telle injonction. Professeur à l’université de Louvain, il résolut de transporter sa pépinière en cette ville, afin de l’avoir constamment sous les yeux ; mais l’époque assignée pour vider les lieux était malheureusement celle du fort de l’hiver, et Van Mons n’avait de disponible que deux jours de la semaine ; il ne put donc que cueillir des greffes, marquer les arbres les plus précieux, et sauver ainsi à peu près la vingtième partie de ce qu’il possédait.

Après une telle catastrophe, Van Mons aurait dû prendre des mesures pour en prévenir le retour ; mais, incapable de méfiance, il loua, à Louvain, un terrain appartenant encore une fois à la ville, pour y déposer les débris de sa pépinière de Bruxelles et y continuer ses expériences.

Ici commence une source de nouveaux chagrins ; l’autorité, qui aurait dû protéger ces jardins, fut la première à les abandonner à un véritable pillage. Mais nous laisserons parler l’ami de Van Mons, le vénérable M. Poiteau, à qui nous empruntons la plupart de ces détails.

« L’utilité publique avait juré qu’elle empoisonnerait enfin ses vieux jours. En 1832, nous allâmes faire le siége de la citadelle d’Anvers, et quoique la pépinière de M. Van Mons fût éloignée de l’armée, les ingénieurs n’ont pu trouver un endroit plus commode que cette pépinière pour cuire le pain de nos soldats. En conséquence, une grande partie des arbres de Van Mons fut détruite ; on construisit, à leur place, des fours pour nourrir nos soldats, et les fruits du reste furent exposés au gaspillage des allants et des venants. La philosophie de Van Mons le soutint encore dans cette dévastation inattendue : il loua deux nouveaux terrains, plus grands l’un que l’autre, pour repiquer ses jeunes plants de septième, huitième et neuvième génération, sans interruption de mère en fils. Il se consolait même, parce qu’il eut le temps de cueillir des greffes sur les arbres sacrifiés pour faire place à la construction des fours ; mais l’utilité publique n’avait pas encore épuisé toutes ses rigueurs contre lui. Il n’y avait malheureusement pas de chaptal dans le conseil du prince, et les ingénieurs n’y voyant goutte, décidèrent encore, en 1834, au nom de l’utilité publique, que la pépinière de Van Mons, fût-elle aux antipodes, était le seul et unique point du globe propre à l’établissement d’une fabrique de gaz d’éclairage. Fasse le ciel que ces messieurs y voient plus clair par la suite ; mais il ne sera plus en leur pouvoir d’empêcher que les véritables amis des lumières et de la prospérité publique ne regardent leur décision comme un acte d’ignorance et du plus grossier vandalisme. » « Ce jugement est sévère, ajoute M. Quetelet, mais nous ne pouvons qu’y souscrire en voyant surtout avec quelle incroyable légèreté l’on traite parfois les établissements scientifiques. Il est bon que les Vandales des temps modernes sachent qu’il existe un tribunal de l’opinion, et que l’histoire inflexible est là pour y dénoncer leurs noms et leurs actes. »

Depuis 1834 jusqu’à sa mort, qui arriva le 6 septembre 1842, Van Mons cultiva en paix les débris de sa pépinière : mais son grand âge et surtout la douleur qu’il éprouva de la mort du second de ses fils, en 1837, l’empêchèrent de donner à ses arbres fruitiers les mêmes soins qu’auparavant. Il ne paraissait plus en public, et la direction de ses cultures était confiée à un homme incapable de comprendre, ni la haute importance de ses travaux antérieurs, ni celle de les continuer. Il n’est donc pas étonnant qu’à la suite de trois transplantations successives et de la négligence apportée en dernier lieu dans le classement de la pépinière, plusieurs erreurs aient été commises, soit dans l’envoi des greffes, soit dans les annotations concernant l’appréciation des fruits nouveaux.

En 1844, ce qui restait de la pépinière Van Mons passa entre les mains de M. Alexandre Bivort et fut transplanté à Geest-Saint-Remy, où, à dater du 1er janvier 1854, cette pépinière servira de jardin à une société, formée sous les auspices du gouvernement et la protection du Roi, dans le but de conserver et de continuer les travaux du professeur dont elle portera le nom.

Van Mons peut passer, à juste titre, pour le père des pomologues belges ; non-seulement, il a procréé par ses semis un grand nombre de bons fruits, mais il est presque le seul auteur régnicole qui se soit occupé spécialement de cette branche importante de l’agronomie, et le seul qui réellement l’ait fait progresser.

Déjà avant nous, à l’époque de sa mort, la Société d’agriculture de Nancy l’avait proclamé le prince des horticulteurs contemporains. Ce titre, la postérité l’admettra peut-être, lorsque ses théories, aussi profondes et aussi anticipées en pomologie qu’elles l’étaient en chimie et en physique, loin de paraître des utopies ou des paradoxes, seront admises comme point de départ ou base de cette science.

Lorsque, vers la fin du siècle dernier, Van Mons commençait ses essais et jetait les fondements de sa théorie sur la régénérescence des arbres fruitiers par le moyen des semis successifs, la pomologie, entièrement délivrée des langes de l’enfance et de la routine dont elle avait été si longtemps enveloppée, se montrait, par suite des travaux de la Quintinie, Merlet, Legendre et Duhamel, à la hauteur des autres sciences. La culture, la taille et la monographie des arbres fruitiers étaient dès lors parfaitement établies. Un seul point n’était pas même effleuré dans les ouvrages des auteurs que nous venons de citer. C’était celui de la dégénérescence ou détérioration de ces mêmes arbres. C’est cette dégénérescence, reconnue par Van Mons, qui l’a engagé à chercher les moyens de la combattre. Il nous semble donc utile de la bien établir d’après ses écrits, avant de développer les moyens qu’il a trouvés pour y porter remède.

D’après Van Mons, la cause de la dégénérescence du fruit résulte de l’âge de la variété. Voici comment il s’exprime à cet égard dans sa Pomonomie :

« On se plaint généralement et avec raison de la décadence des espèces fruitières anciennes ; tout le monde remarque les vices des anciens fruits, tout le monde les avoue, s’en plaint et s’en désole. Je ne connais rien d’aussi déplorable, en fait de culture, que d’élever un arbre dans l’espoir de jouir de son fruit et de le voir tomber en ruine, au moment où cet espoir devrait se réaliser. Est-il rien de plus décourageant que de perdre ses peines dans l’éducation d’arbres greffés, sans espoir d’être récompensé de ses soins par leur beauté future ? Ils sont assaillis dès leur berceau par toutes les souffrances de la vieillesse ; on accuse le sol, on en veut au temps, le sujet reçoit sa part des reproches ; enfin ce qui est seul répréhensible, l’âge de la variété, reste à l’abri du soupçon.

» Quand la cause provient de l’âge, aucun remède ne peut le guérir, le mal est persistant.

» Quand des causes étrangères, et qu’il dépend de nous d’éviter, rendent le mal passager, l’effet cesse dès que la cause discontinue d’agir, car l’art peut faire disparaître ce qu’il a contribué à faire naître. Une forme vicieuse qu’on s’obstine à faire prendre et garder à l’arbre ; une taille intempestive, trop longue ou trop courte ; un sol infécond ou trop humide ; une exposition où le jour et l’air ne peuvent circuler librement, sont autant de causes de la souffrance artificielle que l’arbre et son fruit, peuvent éprouver.

» L’âge d’une variété date du moment où elle a pris naissance de graine ; son premier pas vers la vieillesse ou la décadence, date de l’époque où elle rapporte son premier fruit ; la qualité bonne ou mauvaise de ce fruit, la fertilité plus ou moins grande de l’arbre qui le porte, font seules une différence dans la longueur de la vie d’un arbre fruitier ; celui qui produit abondamment et chaque année des fruits excellents, s’épuise bien plus tôt que celui qui ne produirait que de mauvais fruits et en petite quantité. »

La vieillesse chez l’arbre fruitier s’annonce par la perte de sa vigueur et par son impuissance à remplir les fonctions de la nutrition et de la propagation.

Avant son entière décadence et pendant que l’arbre produit encore du fruit, ce fruit porte déjà des marques de l’état chétif de l’arbre. Dans le genre poirier, qui est le plus attaqué, la poire ou n’arrive pas à sa maturité ou devance son époque ordinaire ; elle est percée de vers, se fendille, se gerce, et sa chair, sans eau ni parfum, est remplie de gravelle et de pierres.

Le pepin est encore plus fortement atteint, car le vice dont il est entaché, y est établi en permanence, non pour la reproduction de l’arbre, mais pour celle du fruit ; car, s’il peut, par le moyen d’un premier semis, reproduire un arbre d’autant plus vigoureux et robuste que l’affection a été plus profonde, il ne peut plus reproduire qu’un mauvais fruit.

La dernière décadence de l’arbre fruitier, celle qui annonce sa fin prochaine, se fait sentir dans l’ensemble du sujet même ; le bois est attaqué de gangrène sénile, les branches meurent une à une sans cause apparente. Son impuissance dans l’acte de la propagation, se dévoile par l’absence de bourgeons à fleur, et lorsqu’il fleurit encore, par l’impuissance dont sont frappés les organes de la génération.

Selon Van Mons (et le fait nous semble suffisamment prouvé), toutes nos anciennes variétés de poires sont en pleine décadence ; chez plusieurs même, et des meilleures, cette décadence est parvenue à un tel point, que leur culture est presque abandonnée, et reléguée dans des contrées plus méridionales que la nôtre ; il résulte non-seulement de l’expérience du savant professeur, mais des faits qui se passent journellement sous nos yeux, que les variétés anciennes, et même celles d’âge moyen, qui ne sont plus d’aucun rapport en Belgique, quand elles ne sont pas cultivées en espalier, sont encore vigoureuses et productives en haut-vent et en pyramide dans certaines parties de la France.

À l’appui de ce qui précède, nous avons cité les poires Beurré d’Hardenpont, Passe-Colmar, Bon-chrétien de Rance, Délices d’Hardenpont, Reine des poires (L’hoir), Beurré Diel, etc., fruits nés en Belgique vers l’époque où Van Mons commençait l’application de sa théorie, et qui, à cause du lieu de leur naissance, auraient dû, nous paraît-il, échapper un peu plus tard à la loi naturelle de la décadence, et qui se trouvent déjà dans ce cas, en ce qui regarde le fruit particulièrement.

Comme on le voit par ces exemples, il devient très-difficile de fixer, non pas l’âge où une variété cessera d’exister, car, par le moyen de la greffe, cette existence peut se prolonger jusqu’à un laps de temps qui nous est inconnu ; mais bien celle où cette variété aura atteint l’âge de la décrépitude. Cette époque, qui se fait attendre longtemps pour quelques fruits, et que Van Mons avait fixée comme hypothèse à 200 ou 500 ans, est plus rapprochée pour d’autres ; il nous est cependant dès maintenant démontré par des faits, que les arbres très-fertiles et produisant les meilleurs fruits, sont ceux dont la vieillesse sera la plus hâtive, et que les fruits de médiocre qualité et dont la fructification est moins abondante, s’avanceront moins rapidement vers leur décrépitude.

Si nous nous étendons aussi longuement, et si nous insistons encore sur la cause de la décadence de nos arbres fruitiers, c’est afin de bien établir que cette cause n’est autre que la vieillesse de la variété, et parce que cette cause reconnue maintenant par un bon nombre de pomologues distingués, n’est pas encore assez généralement admise et qu’elle sert, comme nous l’avons dit plus haut, de base au système de Van Mons. Lorsque chacun sera bien pénétré de cette vérité, nous ne verrons plus planter, pour être cultivées sous la forme pyramidale ou en haut-vent, toutes ces variétés anciennes dont on ne retirera jamais aucune jouissance.

Avant de terminer cette introduction pour arriver à l’exposition du système de Van Mons sur la régénération des fruits par les semis, il ne nous paraît pas inutile de mettre sous les yeux de nos lecteurs une lettre que ce professeur écrivait à M.  Poiteau en 1834. Cette lettre, la voici :

« Je remarque que les plus jeunes variétés, les plus fines surtout, résistent moins aux ravages de la vieillesse, sont plus tôt vieilles que les variétés dont la naissance a précédé la leur : elles ne peuvent atteindre au-delà d’un demi-siècle, sans que des symptômes de décrépitude s’y manifestent. Le premier de ces symptômes est de rapporter moins constamment et de se mettre plus tard à fruit. La souffrance du bois, la perte des belles formes de l’arbre, l’altération des fruits surviennent beaucoup plus tard. Les variétés qui n’ont qu’un demi-siècle d’existence, ne connaissent pas encore le chancre des bouts des branches ni les escarres de la tige ; les fruits ne se gercent pas encore, ne se remplissent pas de carrière, ne coulent pas à la nouûre, ne sont pas encore insipides et secs ; les alternats ne sont encore que d’un an, on peut encore greffer ces variétés sans que leurs infirmités augmentent. Il faut un demi-siècle de plus pour que le comble soit mis à leur souffrance, et que la suppression générale de la variété soit le seul remède à apporter à ses maux.

» Il est pénible de penser que bientôt le Saint-Germain, le Beurré gris, la Crassane, le Colmar, le Doyenné, devront subir cette suppression. Aucune de ces variétés ne réussit plus chez nous (en Belgique) qu’en espalier ; mais ce succès est aux dépens de leurs louables qualités.

» Dans ma jeunesse, au jardin de mon père, ces variétés formaient encore des arbres superbes, d’une belle santé, et rarement leurs fruits avaient des vices. O quantum distans ab illis ! Quelle déchéance au bout d’un temps si court, dans l’espace de 60 ans ! Je le répète, l’avantage de la variation jeune est d’être sans aucun vice[4]. »

Entièrement convaincu de la dégénérescence des arbres fruitiers par l’âge, Van Mons se mit à rechercher les moyens d’y remédier ; un seul se présentait avec quelque chance de succès, la nature elle-même l’emploie dans le but de la conservation et de la propagation des végétaux existant sur la surface de notre globe terrestre ; mais le but de la nature est bien différent de celui de l’homme ; en effet, il lui importe peu, à elle, que le fruit qu’elle procrée soit selon nos goûts ; une seule chose lui importe, c’est la conservation de l’espèce, et le semis ordinaire y pourvoit largement : il s’agissait donc ici d’obliger la nature à varier, et à entrer dans une variation non interrompue et, en quelque sorte, sans bornes.

Déjà, selon Van Mons et vers l’époque où ses idées étaient fixées sur les secrets de la nature dans son mode de reproduction, de nombreux semis de poires et d’autres fruits avaient eu lieu en France par les moyens ordinaires, et n’y avaient produit rien de bon. Un peu plus tard, M.  Sageret citait des semis considérables et longtemps continués, n’ayant donné naissance à aucun bon fruit. Il en était de même en Allemagne (à cette époque) ; car on y voit une académie célèbre couronner un auteur éminent pour avoir soutenu (en réponse à la question sur la possibilité ou l’impossibilité d’obtenir de bons fruits par les semis), que tous les fruits domestiques dont nous étions alors en possession, nous étaient parvenus des anciens peuples, et avaient été primitivement extraits des bois, aux lieux où la nature les a fait naître tels qu’ils sont, et qu’il est de toute impossibilité que la graine de ces sortes fournisse jamais un bon fruit.

Nous extrayons ce qui précède de la Pomonomie Van Mons, et nous faisons cette citation, afin de prouver quelle confiance avait l’auteur, dès l’abord, dans une théorie contraire à tout ce qu’il y avait de plus haut placé alors en pomologie.

Van Mons, dès l’âge de 15 ans, s’était occupé du semis des plantes annuelles et des rosiers ; il avait remarqué :

1o  Que le semis successif et fait de père en fils, devait éloigner les espèces de leur condition de plantes sauvages et les rapprocher de la variation, avec la condition que le semis soit répété plus souvent et avec moins d’interruption ;

2o  Qu’une plante une fois entrée dans la variation, n’en sortait plus, si, par un semis non interrompu, on ne lui laissait pas le temps de se poser définitivement dans sa première variation, et que l’interruption dans le semis produit du plant d’autant plus mauvais, que cette interruption a été plus longue ; qu’au second semis fait de la graine du premier, l’amélioration était sensible et que le plant de celui-ci et encore plus celui du semis suivant se distinguaient par des fleurs de forme singulière et de coloration remarquable ; que les semis suivants, tout en donnant les fleurs les plus parfaites pour la plénitude, en donnaient de moins parfaites pour la forme et la couleur ;

3o  Que plus le semis en ligne directe était répété, plus la floraison était rapprochée en même temps que la variation devenait moins tranchée ;

4o  Que les retardataires à la floraison produisaient les plus belles fleurs ;

5o  Que la fertilité croissait avec la répétition des semis ;

6o  Que la plante, régénérée un certain nombre de fois, perdait en vigueur ce qu’elle gagnait dans sa forme : c’est-à-dire, qu’en déposant sa forme rude et agreste, pour en prendre une délicate et domestique, elle devenait plus sensible aux rigueurs de la saison ;

7o  Que la dégénérescence avait lieu principalement dans la graine ;

8o  Et enfin, que les plantes ont d’autant plus d’aptitude à varier, qu’elles s’éloignent de leur station naturelle.

Après avoir reconnu l’exactitude de ces observations sur les fleurs annuelles et sur les rosiers, Van Mons pensa à les appliquer aux arbres fruitiers et posa ainsi, dès l’âge de 22 ans, les fondements de sa théorie. Ses premiers semis furent exclusivement composés des pepins de bons fruits anciens, et à cet égard il regrette deux choses : la première, de n’avoir pas connu les fruits nouvellement gagnés dans le Hainaut, etc. ; la seconde, de n’avoir pas semé au lieu de pepins de bons fruits anciens, des pepins des poires de verger du pays wallon, qu’il pouvait acheter en grande quantité sur le marché de Bruxelles. Quant au premier point, il reconnaît dans la suite de son ouvrage, qu’il a mieux valu, pour la confirmation de sa théorie, qu’il en fût ainsi, car, en semant des pepins d’excellents fruits nouvellement procréés, il n’eût pu manquer d’obtenir du bon et il eût alors indubitablement abandonné la suite de ses recherches, comme il l’a fait pour les pommes, les pêches et autres fruits, lorsqu’il eut reconnu leur facilité à ne plus produire que du très-bon dès la quatrième génération. Quant au second point, il dit que les pepins de ces mauvais fruits de verger qu’on présentait alors sur le marché de Bruxelles, étant eux-mêmes le produit d’un premier semis de bons fruits anciens, pouvaient former la seconde génération de sa théorie, ce qui eût pu rapprocher son affirmation de douze à quatorze années ; cependant, comme indépendamment de ses semis de pepins d’anciens fruits, Van Mons se mit à rechercher de tous côtés les sauvageons dont l’aspect lui promettait la production de fruits plus ou moins bons, et que plusieurs de ces sauvageons déjà assez forts lui fournirent bientôt les pepins devant former sa seconde génération, il nous paraît que le retard dont il se plaint plus haut, au lieu d’être de quatorze à quinze ans, n’a été en définitive que de trois à quatre.

Le résultat du premier semis de Van Mons fut une première génération dont la physionomie en général très-variée, s’éloignait beaucoup de celle de leur mère ; ces jeunes arbres furent soignés avec tous les soins convenables et l’on hâta leur croissance par tous les moyens connus ; au bout d’un laps de temps plus ou moins long, de dix ans pour les uns et de vingt pour les autres, soit en moyenne quinze ans, ils donnèrent tous, ainsi qu’il s’y attendait, des fruits petits et mauvais. Il sema immédiatement et sans interruption, c’est-à-dire la même année, les pepins de ces mauvais fruits, et en obtint des arbres toujours différents de leur mère, mais ayant cependant un aspect moins sauvage.

Ces arbres, cultivés avec les mêmes soins que les précédents, donnèrent une récolte de fruits meilleurs, mais n’ayant cependant encore aucune des qualités des bons fruits de table, seulement leur production se fit moins attendre. Les pepins de cette seconde génération furent également semés de suite et toujours sans interruption (ce qui est essentiel), et déjà une bonne partie de ces jeunes plants lui montra des arbres ayant le faciès de nos bons poiriers domestiques.

Enfin, continuant de cette manière jusqu’à la cinquième génération, Van Mons parvint à obtenir de celle-ci des fruits généralement bons et dont le rapport avait lieu entre six à dix ans. La réussite de sa théorie était déjà presque complète, et une triple progression avait eu lieu. L’arbre et le fruit s’étaient entièrement améliorés, et la hâtiveté moyenne de la production était descendue de quinze à huit ans.

Ces expériences ont été continuées jusqu’à ce jour avec le même succès (les derniers semis de M.  Bivort proviennent de pepins de la onzième génération et forment ainsi la douzième). Ce serait cependant une erreur de croire que les fruits provenant des derniers semis, faits d’après cette méthode, soient tous d’une assez bonne qualité pour paraître avec avantage sur nos tables et soutenir la comparaison avec nos variétés de premier ordre ; il ne faut pas perdre de vue qu’à l’époque où Van Mons récoltait sa cinquième génération, le nombre des bons fruits était assez restreint et souvent peu connu : ce qui paraissait très-méritant alors, n’est plus, maintenant que le domaine de la pomologie s’est étendu, que du médiocre ; or, ce médiocre se retrouve encore dans la provenance des derniers semis, et forme environ 20 pour cent du tout ; seulement l’absolument mauvais est très-rare. Peut-être ces médiocrités proviennent-elles du mélange des pepins des générations antérieures avec les postérieures, mélange que Van Mons avoue lui-même et qu’il eût évité en apportant par la suite, dans le triage de ses pepins, la même exactitude que celle qu’il y mettait avant la récolte de sa cinquième génération ; mais le savant professeur étant alors parvenu au point où sa théorie lui semblait assise sur des bases inattaquables, ne se préoccupa plus autant de la suite de son œuvre ; c’est en la continuant que nous obtiendrons plus tard sa complète réalisation, si toutefois elle est réalisable dans toutes ses parties.

Nous voici bientôt arrivés à la fin de notre travail ; nous l’avons écrit dans le double but de vulgariser la théorie de Van Mons et de la faire connaître aussi succinctement et aussi clairement qu’il nous a été possible, en extrayant seulement de sa Pomonomie les faits les plus essentiels, les moins controversés et les mieux prouvés par les succès de l’auteur ; car, il faut bien l’avouer, il a longtemps prêché dans le désert, et le grand nombre de bons fruits provenus de ses semis et répandus dans tous les pays du monde où le poirier se cultive, ont bien plus servi à universaliser son nom parmi le vulgaire, que les deux volumes qu’il a écrits sur ce sujet, volumes d’ailleurs très-rares et dont la correction a été très-négligée.

La théorie Van Mons, au point de vue de la production des bonnes variétés fruitières nouvelles, n’a certainement plus la même valeur qu’à son début, alors que l’on ne possédait que peu de bons fruits ; mais elle présente cependant encore trop d’intérêt, sous le rapport de la science, pour être abandonnée. Laissant de côté les faits accomplis, il nous reste à savoir : 1o  jusqu’à quel point l’époque de la fructification hâtive pourra être supportée par le semis sans que sa vigueur en soit altérée ; 2o  si les semis successifs, continués d’après ce système, parviendront, comme le dit Van Mons, à produire un plus grand nombre de fruits tardifs, et enfin, si ces fruits seront généralement bons et sans mélange de médiocrités.

Ces trois points sont essentiels, et nous pensons que celui qui s’en occupera pour les résoudre, pourra encore rendre de grands services à la pomologie.

Nous conseillerons donc à ceux qui s’occupent de la multiplication des variétés, de semer exclusivement de la graine de leurs dernières procréations, et de choisir, en premier lieu, les pepins de fruits d’hiver, comme leur offrant plus de chances de réussite, à cause de la maturation de la graine, qui n’ayant pas eu lieu pendant que le fruit était attaché à l’arbre, n’est jamais aussi complète. De plus, nous leur dirons de choisir les pepins des meilleurs fruits : car c’est une erreur que de croire, avec quelques personnes qui n’ont pas bien compris le système Van Mons, qu’il a conseillé dans sa Pomonomie, de semer les pepins de mauvais fruits de préférence aux bons. L’auteur a seulement dit qu’il vaut mieux semer le pepin d’un mauvais fruit d’une dernière génération, que le pepin d’un bon fruit d’une génération antécédente et dont la variation avait eu le temps de se poser.

Nous pensons faire plaisir à la majorité de nos lecteurs en finissant cet article par l’exposé des augures et des présages qui annoncent ordinairement un bon fruit, dans les semis du genre poirier.

Le jeune semis doit avoir une tige droite et assez forte pour se maintenir perpendiculairement sans tuteur ; ses branches latérales doivent être d’une vigueur modérée, ni trop grosses, ni trop grêles, ni trop longues, ni trop courtes et légèrement relevées vers le haut, de manière à former, avec le tronc, un angle de 45 degrés environ. Elles doivent se rompre nettement et sans esquilles, se casser au moindre ploiement ; l’écorce doit être brillante, lisse et douce au toucher, ponctuée de lenticelles plus ou moins nombreuses, et teinte en brun, en noisette, en gris-plomb, en gris foncé ou en rouge duveté. Les yeux, roux, bruns ou gris, ne doivent être ni trop ni trop peu développés, ni trop comprimés, ni trop allongés en pointe, ni implantés à la surface, mais bien portés par des supports saillants. Les épines doivent être distribuées avec ordre et placées aussi bien sur la tige que sur les branches latérales et sur les lambourdes ; elles doivent être longues ou courtes, selon la place qu’elles occupent, et garnies d’yeux dans toute leur longueur, depuis la base jusqu’au sommet. Elles doivent être perpendiculaires, bien implantées à la surface de la branche et ridées à leur base.

L’épine est une condition sine quâ non de bon augure, excepté peut-être dans les semis de dernière génération.

La feuille doit être élégante, brillante, distribuée avec goût et placée régulièrement. La forme est indifférente, pourvu qu’elle soit belle. Elle doit être lisse, luisante, d’un vert pur, foncé ou clair ; ne se repliant pas dès sa naissance, vers le bas, ronde ou longue, plane ou à bords latéraux légèrement relevés et seulement arquée vers sa pointe. Le tissu doit être serré, la page mince, les incisions ou la serrature profonde et régulière. Les nervures apparentes, saillantes, et la médiane, bien prononcée et droite, doit s’étendre jusqu’au sommet de la feuille. Le pétiole doit être long et grêle.

Le semis à bois inerme et à feuilles épaisses et cotonneuses, dénote un fruit d’été musqué ou un fruit d’hiver à cuire.

Un beau bois sans épines et à feuilles en cuiller, dénote également un fruit d’été.

Le caractère le plus mauvais est celui d’un bois mal porté, diffus, court, grêle et formant charmille.

D’après M. Bouvier, il faut examiner le semis lorsque les deux premières feuilles se montrent après les cotylédons : si elles sont fortement incisées, c’est un signe de bon augure ; si elles sont entières ou peu incisées, les jeunes plants sont à rejeter.

Enfin, un caractère général de bon augure dans le semis est un facies ayant des rapports avec celui de nos bonnes variétés connues.

Depuis les premiers travaux de Van Mons et des pomologues du Hainaut, suivis de ceux du major Esperen et de S. Bouvier, de nombreux émules et continuateurs ont surgi de tous côtés et viennent journellement apporter leur contingent d’efforts pour l’amélioration des espèces fruitières. Pendant que la Belgique continue à faire progresser le genre poirier, sans toutefois négliger les autres fruits, et que la France suit son exemple, l’Angleterre et l’Amérique nous fournissent, en quantité, de magnifiques pommes, prunes et pêches nouvelles. Enfin, dans tous les pays, on forme des sociétés et des jardins d’expérience pour centraliser les collections d’élite et pour répandre ensuite ces richesses horticoles.

Espérons que cet élan général en faveur de la pomologie, produira de grands résultats, et qu’il en sortira de nouvelles sources de bien-être et de jouissances pour les nations.

A. Bivort.

  1. M. Decaisne, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris, et l’un des membres correspondants de la commission de Pomologie, nous a transmis, en 1850, une assez longue liste de ces fruits, avec prière de rechercher s’ils existaient encore en Belgique. On désirait les obtenir pour les classer dans la collection du jardin. Nos recherches n’ont abouti à aucun résultat.
  2. Nous nous sommes servis, pour les tableaux comparatifs, des Pomologies françaises et des principaux catalogues belges, français et anglais ; il est inutile de faire entrer dans ces recherches les Pomologies publiées en Angleterre, en Allemagne et en Hollande dans le xviiie siècle. La plupart des fruits qui s’y trouvent mentionnés sont ceux de la Quintinie et de Duhamel. Les variétés particulières à ces contrées sont en petit nombre et étaient d’une médiocre importance avant les temps modernes. (Voir Batte-Langley, Pomona, or the fruits garden illait, London, 1729 ; Mayer, Pomona Franconina, Vurtebourg, 1776 à 1779 ; Knoop, Pomologie et fructologie, etc., Amsterdam, 1768.)
  3. Nous possédons, dans notre jardin de Namur, un poirier de Virgouleuse en haut-vent ; cet arbre séculaire, énorme, greffé sur franc, se charge régulièrement de magnifiques récoltes ; ses fruits sont exempts de gerçures, parfaitement sains, lisses et sans taches, tandis que nos poiriers de Virgouleuse en espalier au midi ou au levant, nous donnent si rarement un fruit présentable que nous sommes forcés de les réformer. Ne peut-on pas conclure de là que l’arbre séculaire, exempt des altérations causées par les vicissitudes de la greffe, est plus rapproché du type primitif, et qu’il en a conservé la vigueur et la santé ?
  4. Tout en admettant la dégénérescence des arbres fruitiers, nous avons cependant peine à croire qu’elle ait lieu aussi rapidement.