Annales de pomologie belge et étrangère/du Poirier
DU POIRIER
et arbre précieux paraît être indigène dans tous les climats tempérés de l’Europe ; il y végète dans les forêts à l’état sauvage, et s’élève de 15 à 20 mètres. Il n’est même pas rare de trouver des arbres de cette dimension parmi les variétés cultivées dans nos vergers.
La tige du poirier s’élève naturellement droite ; dans les variétés cultivées, l’écorce, d’un gris brun, se nuance de diverses teintes ; elle est parfois d’un gris très-pâle, jaunâtre ou rouge, et même striée de lignes jaunes.
Les feuilles, simples, alternes, sont plus ou moins ovales, lancéolées, aiguës ou arrondies, lisses, souvent serretées, quelquefois dentées, entières, plates, ou plus ou moins arquées ; elles sont portées sur un pétiole assez long.
Ces différences, imperceptibles pour des yeux peu exercés, servent aux connaisseurs expérimentés, à distinguer les variétés.
Les racines sont pivotantes et pénètrent assez facilement les divers terrains.
Une partie des bourgeons qui garnissent la tige, donnent lieu à la production des rameaux ; ceux-ci deviennent des branches et composent la charpente ou forme de l’arbre. Une autre partie des yeux du poirier se transforment en lambourdes ou productions fruitières.
Dans le poirier franc, les rameaux sont habituellement garnis de dards épineux sur toute leur étendue ; ces dards deviennent des lambourdes. On a cru longtemps que ces épines indiquaient un fruit sauvage, acerbe, sans valeur, un plant enfin à modifier par la greffe : l’expérience et des observations suivies ont démontré l’insignifiance de ce caractère pour déterminer la nature du sujet ; on a même remarqué, dans les nombreux semis de Van Mons, que les arbres épineux donnent souvent des fruits d’hiver, tandis que le bois non épineux est l’indice d’une variété d’été ou d’automne.
Les yeux à fruits sont, dans leur origine, minces, pointus et garnis de deux ou trois feuilles ; ils se gonflent, s’arrondissent, après deux ou trois ans, et s’entourent de cinq à sept feuilles. Dans cet état, on peut prévoir une prompte fructification.
Les fleurs sont rarement solitaires ; elles se trouvent réunies en corymbes, au nombre de 5 à 9. Leur caractère commun se compose, selon Duhamel : 1o d’un calice en forme de godet peu profond, divisé par les bords en cinq échancrures épaisses, terminées en pointes, qui subsistent souvent jusqu’à la maturité du fruit ; 2o de cinq pétales un peu creusés en cuiller ; blancs, excepté dans un petit nombre de variétés, où les bords sont teints de quelques traits rouges, mais beaucoup moindres et plus légers qu’aux fleurs des coignassiers ; leur grandeur et leur forme varient selon les espèces ; 3o de vingt à trente étamines assez longues, blanches, terminées par des sommets en forme d’olive, sillonnés, suivant leur longueur ; 4o d’un pistil formé de cinq styles déliés, moins longs que les étamines, surmontés par des stigmates, et d’un embryon qui fait partie du calice.
Lorsque la fleur est épanouie, le fruit noue, c’est-à-dire que l’ovaire ou embryon se transforme en un fruit charnu, succulent, porté sur un pédoncule qui devient ligneux ; le sommet est ombiliqué.
Dans l’intérieur, au centre, se trouvent cinq petites loges cartilagineuses, contenant des graines ou pepins oblongs, pointus ; la couleur en est noir brun ou jaune noisette. La pulpe ou chair est protégée par une peau dont la couleur est très-variable, ainsi que la forme du fruit et son volume.
Voici les diverses formes qu’affectent les poires : elles sont pyriformes, rondes, longues, turbinées, ovales, obtuses, etc. Ces formes sont caractéristiques de certains types anciennement connus, tels que les doyennés, les bergamottes, les bon-chrétien et autres.
La pulpe est fondante, beurrée ou cassante ; la saveur en est parfois sucrée, parfumée, musquée, vineuse, acidulée, etc., selon la variété. Cette diversité, le goût exquis d’un grand nombre de poires, leur succession pendant la plus grande partie de l’année, tout concourt, dans les cultures, à donner au poirier une prééminence généralement reconnue. Aussi de tous les arbres fruitiers est-il le plus répandu dans les jardins.
On place en espalier les variétés délicates et d’hiver, ainsi que les fruits d’un fort volume, afin de les obtenir dans toute leur beauté.
Les poires d’automne, d’été et beaucoup de variétés modernes de toutes les saisons, se cultivent sous la forme de pyramide, de contre-espalier et de haut-vent.
Les pyramides ont remplacé presque partout la forme en quenouille, qui est surannée et défectueuse.
Les poiriers conduits en vase et en buisson, formes si connues du temps de la Quintinie, existent encore dans quelques parties de la France, mais on en voit très-peu en Belgique.
Le poirier se greffe sur franc ou sur coignassier ; on emploie rarement l’épine, sur laquelle on peut cependant le greffer avec quelque succès.
Le poirier sur franc est préférable, lorsque l’on veut utiliser de grands espaces, obtenir des arbres très-élevés et d’une longue durée. La greffe sur coignassier convient mieux, si l’on ne peut disposer, pour espalier, que de murs très-bas.
Le coignassier est souvent préféré par les personnes pressées de jouir ; en effet, ces arbres poussent moins à bois et élaborent leurs productions fruitières beaucoup plus tôt, mais ils vivent moins longtemps.
Nous ne parlons pas de la taille ; le cadre de cet ouvrage ne le comporte pas. Nous renvoyons nos lecteurs aux traités spéciaux.
Le bois du poirier est pesant, dur, serré, fin et rougeâtre ; il prend un très-beau poli et n’est pas sujet à être piqué par les insectes ; il convient à divers emplois de l’ébénisterie, à la confection d’outils de menuisier, et de planches à l’usage de la gravure sur bois.
La poire s’utilise de mille manières dans l’économie domestique et dans le commerce. Les plus estimées se mangent sans aucun apprêt, et forment un des plus beaux ornements de la table. Les variétés à chair dure ou cassante sont réservées pour la cuisson ; d’autres, telles que le rousselet, sont estimées pour la dessiccation.
L’art du confiseur tire parti de ces fruits ; dans les provinces méridionales de la Belgique, les poires trouvent un emploi très-commun dans la fabrication du poiré, confiture économique, dont la préparation fort simple consiste dans l’extraction du jus des fruits par le moyen d’une presse, et dans l’évaporation des parties aqueuses, par une cuisson lente.
En France, on fabrique un produit analogue qui doit sa qualité supérieure à l’adjonction d’une partie de jus de raisin. La plus renommée de ces préparations est le raisiné de Bourgogne.
Le jus de poire, conservé et fermenté dans les tonneaux, devient une liqueur enivrante dans le genre du cidre ; au moyen de l’acidification, il peut être transformé en vinaigre.
Sous toutes les formes que nous venons d’indiquer, ce genre de fruit est un aliment aussi sain qu’agréable, dont l’usage devrait être plus répandu dans l’intérêt de l’hygiène et du bien-être populaires. Cette utilité est reconnue dans quelques contrées de l’Europe, surtout en Allemagne, où l’on a introduit l’usage des plantations d’arbres fruitiers le long des routes.
Le poirier convient essentiellement à ce genre de plantation par sa végétation élancée et vigoureuse. Son bois est d’une plus grande valeur que celui de la plupart des arbres qui bordent généralement nos routes[1].
La conservation des poires exige des soins particuliers au moment de la récolte ; les variétés d’été et d’automne doivent être cueillies quelques jours avant d’être consommées ; la plupart deviennent pâteuses, si on les laisse trop longtemps sur l’arbre.
Les poires d’hiver et de printemps se récoltent depuis la fin de septembre jusqu’au 25 octobre. Le moment précis, pour chaque variété, est indiqué par l’imminence de la chute des fruits que l’on constate en les soulevant légèrement. Il convient de choisir, autant que possible, un temps sec pour cette récolte, et de placer les poires, pendant quelque temps, dans des greniers, des remises ou autres locaux aérés, d’où on les descend au fruitier dans la première quinzaine de novembre. Il est essentiel de rebuter tous les fruits tachés, fendillés ou défectueux, dont le contact gâterait les autres. Les conditions essentielles d’un bon fruitier sont une température très-égale, de 3 à 5 degrés au-dessus de zéro, et une atmosphère plutôt sèche qu’humide.
L’importance de la culture du poirier était déjà reconnue dans l’antiquité ; dans l’Odyssée (chant vi), Homère en parle en donnant la description des jardins du roi de l’île des Phéaciens. Le plus ancien des agronomes latins, Caton, le mentionne parmi le petit nombre d’arbres fruitiers dont un verger romain se composait, alors que le cerisier, le pêcher et l’abricotier n’avaient pas encore été apportés d’Asie.
Un siècle plus tard, Pline donne les noms d’environ 60 variétés de son époque. Cet écrivain fait un grand éloge de ces fruits et en décrit les qualités particulières. Parmi ces variétés, en est-il qui se seraient perpétuées jusqu’à nous, à travers les siècles de barbarie qui séparent la civilisation romaine de la nôtre ? Certaines traditions font remonter jusqu’aux Sabins la conquête du poirier de Rousselet, mais ces assertions manquent de preuves solides et resteront toujours controversées. En comparant entre elles les nomenclatures de poirier qui nous ont été laissées par Olivier de Serres, écrivain du xvie siècle, la Quintinie, dont l’ouvrage date du xviie, et Duhamel, qui fit paraître une Pomologie dans le xviiie, on remarque d’abord ce fait dominant : un grand nombre de variétés anciennes disparaissent successivement ; elles sont remplacées par de plus nouvelles. De toutes les poires mentionnées par le patriarche de l’agronomie française, on ne rencontre plus dans les jardins que le rousselet, la bergamotte, le bon-chrétien, le blanquet, le messire Jean et le franc-réal ; soixante autres noms ne se retrouvent pas dans les nomenclatures, depuis et y compris Duhamel. À la vérité, ces pertes sont largement compensées par les gains modernes.
Le poirier est incontestablement l’arbre dont les produits sont le plus variés ; ne serait-il pas aussi celui dont les variétés arrivent le plus vite à la dégénération ? D’après Van Mons, cette dégénérescence se manifeste après deux ou trois siècles. Sans discuter ici cette question, qui trouvera sa place dans une autre partie de cet ouvrage, qu’il nous soit permis de citer un exemple remarquable à l’appui de l’opinion de ce pomologue.
Vers le milieu du xviie siècle, trois poires de premier ordre, le colmar, la virgouleuse et la bergamotte crassane, furent gagnées en France. Cette date est constatée par Merlet et la Quintinie. L’auteur du Traité des jardins, malgré l’éloge qu’il fait de ces fruits, les réserve formellement pour la culture en buisson. Dans les minutieux détails sur la disposition d’un jardin composé de 800 poiriers en espalier, la Quintinie fait entrer des martin-sec, des messire-Jean, des Saint-Lezin et une foule d’autres médiocrités, dont les amateurs abandonnent aujourd’hui la culture ; mais il n’admet ni colmar, ni crassane. Ces deux dernières variétés ne sont cultivables, de nos jours, qu’à l’abri d’un mur, même sur les bords de la Loire, contrées plus méridionales que Versailles, dont les jardins royaux étaient sous la direction de la Quintinie.
Il résulterait donc de ces faits, qu’une grande partie des poires si vantées par cet auteur ont été successivement abandonnées dans les cultures ou ne tarderont guère à l’être, tandis que les nouveautés de son époque arrivent déjà à un état de décadence réel ; semblables à des vieillards décrépits, ces arbres confirmeraient la théorie de Van Mons, par le besoin absolu d’abri et de chaleur. S’il existe des exceptions à cette règle, on les trouvera dans les jardins situés à l’abri du froid, des vents du nord et de l’ouest, et favorisés d’un sol léger et calcaire ; telles sont, par exemple, en Belgique, un grand nombre de localités de la vallée de la Meuse.
Dans les terrains argileux et froids, l’abri de l’espalier est indispensable pour ces anciennes poires, ainsi que pour les passe-colmar, les beurré d’Hardenpont et autres de ce genre, qui sont encore l’honneur de nos jardins. Il n’en est pas de même des variétés récemment obtenues ; presque toutes réussissent admirablement en plein vent et beaucoup conviennent même à la culture des vergers. À mesure qu’elles sont mieux connues, on abandonne des médiocrités telles que les amadottes, les bezy d’Heri, les messire-Jean, les royale d’hiver et tant d’autres fruits surannés, à chair sèche et sans parfum ; ils cèdent la place aux gains nombreux dont la pomologie s’enrichit sans cesse, grâce aux travaux de Van Mons, de ses émules et de ses continuateurs.
Nous ne saurions trop conseiller aux amateurs, lorsqu’il s’agit de planter des pyramides ou des hauts-vents, de donner la préférence aux variétés modernes, dont un grand nombre joint la beauté et la fertilité à une chair fondante, exquise : telles sont les colmar d’Arenberg, duchesse d’Angoulême, William’s, comte de Flandre, triomphe de Jodoigne, soldat laboureur, conseiller de la cour, beurré Bosc, nouveau Poiteau, etc., etc. Il semble que ces arbres, dans toute la séve et la vitalité de la jeunesse, soient pressés de produire, sans être influencés par leur situation ou par la forme que l’art du jardinier leur impose.
- ↑ Il est déplorable de voir les marchés des villes si mal approvisionnés de fruits ; les populations ne peuvent s’y procurer, à grands frais, que des poires de second ou de troisième ordre ; cependant, il est peu de fruits d’un transport aussi facile et d’une aussi longue garde. Ces considérations doivent attirer l’attention des cultivateurs sur les plantations de poiriers, au point de vue de la consommation intérieure et de l’exportation.