Annales de pomologie belge et étrangère/du Pommier

La bibliothèque libre.



Du Pommier

Pyrus malus. — Icosandrie, Polygynie.



On peut dire, avec vérité, que l’origine du pommier se perd dans la nuit des temps ; car lors même qu’on remonte aux siècles les plus reculés, elle est tout à fait inconnue. On ne peut contester son ancienneté, lorsqu’on le voit mêlé à l’origine du monde, par l’allégorie de l’arbre de la science du bien et du mal, et jouant un rôle dans les fables de l’antiquité, par les pommes du jardin des Hespérides, par la pomme de discorde. Ici le flambeau de l’histoire n’éclaire que faiblement la science pomologique ; en effet, si l’on songe au climat du paradis terrestre, à sa végétation luxuriante et sans culture, à la saveur exquise de ce fruit, qui devait tenter la première femme, on doit croire qu’il s’agit ici, non de la pomme, mais de la banane. Les pommes dorées du jardin des Hespérides sont bien évidemment des oranges. Enfin, quant à la pomme de discorde, bien que son nom de pomme d’or puisse faire supposer qu’il s’agit d’une orange, si nous songeons qu’elle portait l’inscription À la plus belle, nous devons croire qu’elle a le même sens allégorique que la pluie d’or, dont Jupiter prit la forme pour pénétrer auprès de la beauté, et qu’elle était bien et dûment en or. Ce sont donc des objets ou des fruits bien différents l’un de l’autre qui sont désignés sous le nom générique de pomme, et la seule conclusion logique qu’on puisse tirer de ces faits, c’est que l’ancienneté du pommier est incontestable.

La pomme était connue des Juifs avant leur dispersion. On sait que le pommier était commun chez les Scythes, les Thraces, les Perses, ainsi que dans l’Asie Mineure et l’Éthiopie ; il existait partout dans l’ancienne Grèce ; et du temps de Virgile, l’Italie le connaissait. On peut remarquer qu’en Perse, comme en Grèce, la pomme était un aliment nuptial obligé, et les époux devaient en manger chacun une avant de rester seuls. Les Béotiens offraient des pommes à Cérès en commençant la récolte.

La pomme lancée par Alexandre à la tête de Clitus, prouve que l’Afrique connaissait les pommiers ; et c’est probablement de la Mauritanie qu’ils furent introduits en Espagne, dans la Navarre et dans la Biscaye. On pense que c’est de cette dernière contrée que les Normands rapportèrent à Dieppe ces arbres devenus si précieux pour leur province.

L’insuccès des greffes du pommier sur poirier avait engagé Tournefort à séparer ces deux genres ; Linné les a réunis plus tard en y ajoutant le coignassier ; enfin, de Jussieu a établi l’ordre des Pomocées, ayant pour type le pommier ; il l’a composé du pommier, du poirier, du coignassier, du néflier, de l’alisier et du sorbier.

Le pommier, qui croît spontanément dans les forêts d’Europe et qu’à tort ou à raison on y croit indigène, a :

Un calice à cinq divisions oblongues, aiguës ;

Cinq pétales insérés à l’orifice du calice et plus grands que lui ;

Une vingtaine d’étamines, rassemblées en boule, plus courtes que les pétales, et ayant la même insertion.

Le fruit est un péricarpe charnu et sphéroïde qui porte le nom de pomme ; il est glabre, ombiliqué au sommet, où restent adhérents les fragments du calice, et à la base, où est implanté le pédoncule. Son centre offre cinq loges parcheminées, renfermant chacune deux graines. Les semences ou pepins sont enveloppés d’une membrane cartilagineuse ; ils sont ovales, irréguliers et presque toujours aigus à leur point d’attache sur les parois des loges.

On divise les pommes en pommes douces ou à couteau, en pommes à cuire et en pommes amères qui, mêlées avec des douces, dans une proportion qu’indique l’expérience, constituent un cidre de bonne qualité.

Les pommes à couteau sont une ressource précieuse pour les desserts d’hiver ; aussi la culture de ce fruit, en vue de la production des plus belles espèces, est-elle, de la part du pomologue, l’objet d’efforts incessants et de soins assidus.

Outre la conservation des pommes dans un fruitier, où on les maintient assez facilement à l’aide des soins ordinaires, on en obtient du sucre de pommes, des compotes, des gelées, des pâtes, des sirops, de la pommée ou sorte de raisiné dans lequel on fait entrer des poires, du melon et quelques légumes ; enfin, on produit, avec les pommes, le cidre universellement connu, et, en Amérique, une sorte de vin cuit, doux et capiteux, qui y est assez estimé ; on en fait aussi de l’eau-de-vie et du vinaigre de cidre.

Les diverses variétés du pommier se reproduisent généralement par les greffes en fente et en écusson. On greffe sur franc, sur doucin et sur paradis. Les francs sont le résultat du semis des pepins de marc de cidre ; on les nomme égrins ; ils sont vigoureux et employés à greffer à haute tige pour former des pleins vents et de grandes pyramides. Il leur faut une terre douce, franche et un peu humide ; il n’est pas nécessaire qu’elle ait une grande profondeur, les racines étant un peu traçantes.

Le doucin est un pommier de moyenne grandeur, qui n’est cultivé que pour servir de sujet aux variétés dont on veut former des vases, des gobelets, des contre-espaliers et des pyramides de moyenne grandeur. On l’emploie de préférence dans les terrains légers et profonds.

Le paradis, le plus petit des pommiers, n’est employé que pour la greffe des pommiers qu’on veut tenir nains. Le terrain qui convient aux francs est celui qu’il préfère. C’est sur le paradis qu’on obtient les meilleurs et les plus beaux fruits.

On greffe en fente et en écusson les pommiers sur franc, et, en écusson seulement, les doucins et les paradis.

La conduite du pommier doit se calquer sur celle du poirier ; on le taille généralement plus court, surtout quand il est greffé sur doucin et sur paradis, dont le développement est toujours plus restreint.

Desfontaines a formé six groupes de toutes les pommes que nous connaissons.

Le premier groupe est la pomme sauvage, malus sylvestris ; le deuxième, la reinette, malus prasomila ; le troisième, le paradis, malus paradisiaca ; le quatrième, le châtaignier, malus castanea ; le cinquième, le calville, malus calvillea ; et le sixième, l’api, malus apiosa.

Ce classement, dans lequel il est difficile de placer, avec exactitude, tous les fruits du pommier, qui, depuis le temps immémorial auquel remonte sa culture, ont éprouvé tant de modifications, ne concorde pas avec la manière dont Duhamel les a présentés. Il faudrait que des caractères bien déterminés fussent appliqués à chacun de ces groupes, et peut-être obtiendrait-on ainsi une classification régulière.

Le pommier est l’arbre des pays tempérés ; il y a prodigué ses fruits pendant plusieurs siècles avant d’être l’objet d’une culture soignée qui tendit à améliorer ses produits. Ce n’est guère que vers le siècle de Louis XIV qu’on voit les pommiers devenir l’objet de soins particuliers, et c’est sous Louis XV qu’on les dresse en contre-espalier, en vase, en gobelet, etc.

La pomme est un fruit très-sain, surtout quand elle est cuite. Les malades et les convalescents trouvent en elle le premier aliment que puisse digérer un estomac délabré par une diète prolongée. Nous avons vu que l’art du confiseur sait, dans un grand nombre de productions d’une extrême variété, tirer de ce fruit un excellent parti.

L’existence du pommier franc ou greffé sur franc est fort longue ; elle se prolonge au delà de 200 ans. Son bois a le grain fin, et, quand il a un certain âge, il est veiné de brun rougeâtre d’un assez bel effet.

Comme tous les arbres, il est exposé aux mêmes maladies et aux ravages des insectes qui se réfugient, en grand nombre, dans les crevasses de sa vieille écorce. Celle-ci se couvre de mousses, de lichens, de plantes parasites qui obstruent les pores et absorbent la séve. Un chaulage appliqué au printemps est un excellent moyen de raviver l’écorce et de la débarrasser des mousses et des insectes. Mais l’ennemi le plus redoutable du pommier est le puceron lanigère, qui vit exclusivement sur lui. Cet insecte, qui a fait irruption en Belgique depuis une vingtaine d’années, infeste rapidement les plantations ; c’est à lui qu’il faut s’en prendre de la perte de plusieurs bonnes variétés. On le combat par les moyens suivants : on gratte jusqu’au vif les exostoses ou protubérances qu’il fait naître sur les branches, dont il suce la séve, et l’on donne à toutes les parties grattées, comme à toutes celles où son duvet indique sa présence, une couche d’huile, la plus infecte possible, en se gardant bien toutefois d’en mettre sur les bourgeons. Cette opération doit se faire en hiver.