Anthélia Mélincourt/Cimmerian Lodge

La bibliothèque libre.
Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 90-100).


CIMMERIAN LODGE.


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Après avoir marché quelques milles, hors de la ville de Gullgudgeon, où ils n’avaient obtenu aucune information sur Anthélia ; ils se trouvèrent auprès d’un lac solitaire, entouré de bois obscurs, et de rochers escarpés ; ils remarquèrent un gentilhomme qui pêchait à la ligne et qui rapprocha son bateau du bord à leur vue. Sir Fax reconnut immédiatement en lui sir Mystic de Cimmerian, homme unique dans la science des lumières obscures, c’est-à-dire, dans l’art de raisonner profondément sur des inepties.

Sir Mystic engagea ces messieurs à entrer dans son bateau, et à traverser avec lui le lac, pour se rendre à Cimmerian, où il faisait sa demeure ; il les pressa vivement de visiter ses terres, et il promit à M. Fax, de tenir la promesse qu’il lui avait faite précédemment de lui faire connaître la topographie de l’esprit humain, et la science qu’il avait mise à la mode.

Sir Forester, fâché de suspendre la recherche d’Anthélia même pour quelques heures, allait remercier ; mais sir Fax observant que le jour baissait, que Cimmerian Lodge était éloigné de toute demeure, pensa qu’il valait mieux profiter de l’hospitalité de sir Mystic, que d’errer la nuit dans les rochers, en conséquence il entra dans le bateau, et y fut suivi par ses compagnons.

Les voyageurs quittaient à peine les bords du lac, quand ils furent effrayés de la condensité de l’air et des brouillards qui les environnaient et les empêchait de se voir les uns les autres ; ils entendaient seulement le bruit des rames de sir Mystic, qui les rassurait, en leur observant qu’il n’y avait rien de si opportun que le demi jour, et que quand le soleil se levait radieux sur ces bords, il fermait ordinairement les yeux, afin de mieux trouver son chemin ; il ajouta immédiatement, que l’expérience était un cyclope qui avait les yeux sur le front. Sir Fax lui observa qu’il ne voyait nulle liaison entre ses idées. Sir Mystic, lui répondit, qu’il était très-content de n’être pas entendu, et qu’il serait très-facile qu’un autre put comprendre ses pensées qu’il arrangeait d’après un nouveau système.

Ils avançaient toujours au milieu de l’obscurité ; ils abordèrent à Cimmerian, que sir Mystic nommait l’île de Pure-intelligence. Il conduisit, sa société, comme Caron la sybille dans un chemin plein de vase et de mauvaises herbes. Après avoir suivi quelque temps leur guide, ses hôtes furent obligés de ramper sur un rocher sec et aride, et guidés par la voix de sir Mystic, ils arrivèrent enfin à Cimmerian Lodge.

Le brouillard remplissait la maison, le parloir, la salle à manger, les chambres à coucher, tout était envahi. Il était cependant un peu raréfié dans la cuisine, par un énorme feu ; mais il était par contre doublement, condensé dans la bibliothèque, d’où leur guide devenu invisible à leurs yeux, leur souhaita la bienvenue.

Après quelques instans de repos, sir Mystic prit ce qu’il appelait son flambeau, et les engagea à venir visiter ses terres. Sir Fax s’y refusait à cause de la pesanteur de l’atmosphère. Mais son hôte lui observa que c’était le moment où elles pouvaient être vues à leur avantage ; un jour serein, où les rayons du soleil, détruisant toutes les illusions. Ils se décidèrent à le suivre.

Ils marchèrent faiblement éclairés par la torche que portait sir Mystic, et qui cependant, d’après lui, vivifiait tout du feu de ses rayons ; il les précédait, et leur faisait remarquer de prétendus points de vue variés ; il s’extasiait sur leur beauté et l’enchantement qu’ils devaient causer à ses hôtes, quoique ceux-ci protestassent qu’ils ne voyaient que le brouillard et à peine la pâle lueur du flambeau.

M. Mystic observa, après une assez longue marche, qu’ils étaient arrivés à la jonction du temps et de l’espace ; limites absolues. Sir Fax témoigna le plaisir qu’il en éprouvait, puisqu’ils n’iraient pas plus avant. Sir Mystic les ramena par un autre chemin, et ils entrèrent dans un labyrinthe dont ils n’auraient jamais pu sortir, si sir Mystic ne leur eut servi de guide. Après une promenade d’une heure, la cloche sonna le dîner, et ils rentrèrent à Cimmerian Lodge.

Sir Mystic leur demanda comment ils avaient trouvé ce qu’il leur avait montré, sir Fax et Forester lui ayant répondu qu’ils n’avaient rien vu ; il entra en fureur les appelant esclaves des définitions, inductions, analyses, ce qu’il disait comme un reproche, et qui fut pris d’une toute autre manière par ceux à qui il s’adressait. Ils ne lui répondirent pourtant pas ; mais ils demandèrent si l’on pouvait dîner dans la cuisine, qui leur paraissait la pièce la plus claire de la maison..

Sir Mystic, tout en blâmant leur mauvais goût, répondit qu’il ne s’opposait pas à leur demande, si le cuisinier voulait y consentir ; car, observa-t-il, il a toute puissance dans cette partie de l’île. Le cuisinier consulté, y consentit, en murmurant. Il évacua, pour la première fois, son domicile, mais à condition que cette infraction de ses privilèges, serait considéré comme non avenue.

Sir Fax craignait que sir Mystic ne voulut les régaler comme lord O’scare, ses frères, en ne mettant rien sur la table, et en les entretenant de pure métaphysique ; mais ils fut agréablement surpris à la vue d’un très-bon dîner, et grâce au secours du Madère, toute la société fut bientôt de bonne humeur ; ce vin semblait avoir des qualités mystérieuses ; car à chaque verre qu’ils buvaient, le brouillard s’éclaicissait ; et après quatre bouteilles, il était entièrement évanoui.

Sir Mystic les conduisit, après le dîner, dans sa bibliothèque, où ils trouvèrent un excellent feu et quatre lampes allumées ; il leur dit que les lampes n’étaient là, qu’en leur faveur, car il ne paraissait pas très-satisfait de cette illumination. À Cimmerian on haïssait également le jour, les pensées claires, et les idées lumineuses. On apporta le thé et le café.

Je divise mes journées d’après de nouveaux principes, leur dit sir Mystic, j’ai toujours des déjeûnés poétiques, des dîners métaphysiques, et des thés politiques ; j’ai créé une nouvelle science sur les espérances du monde. Le point principal de cette science, est de lier la raison analitique, qui est la pratique expérimentale de la vie, avec les intérêts contradictoires de dix millions d’hommes qui se neutralisent les uns par les autres ; et le but de cette science, est d’empêcher l’étendue des connaissances ; mais par malheur, le peuple lit. Que dis-je, il pense, le peuple lit et pense !

Sir Fax coupa court ; à son éloquence, en lui disant qu’il avait tort de s’échauffer pour des misérables bagatelles.

Mais sir Mystic continua et parla trois heures sans interruption, excepté lorsque l’on apporta des vins, les convives buvaient en silence, sans répondre à ses paradoxes ; car ils croyaient que c’était la meilleure manière de faire taire l’orateur.

Quand l’heure du sommeil fut arrivée, sir Mystic conduisit ses hôtes dans leur chambre à coucher ; leur laissant un flambeau, et il se retira une petite lumière à la main. Sir Fax et Forester étaient encore à causer, avant de se mettre au lit, quand sir Mystic les rejoignit pour leur apprendre, qu’au moment où il entrait dans son appartement, le feu s’y était manifesté, et qu’une explosion terrible avait eu lieu.

Ils coururent, sur-le-champ, au lieu de l’incendie, pour aider à l’éteindre. Tandis que les valets et les servantes se hâtaient lentement, d’apporter de petits seaux, sir Oran saisit un énorme tonneau, et l’ayant rempli d’eau, il le versa sur la flamme et éteignit le feu.

Sir Mystic recouvra alors son sang-froid, et commentant la cause de la catastrophe, il dit, qu’un tel événement à Cimmerian, était l’annonce des plus grands malheurs : celle du période d’une clarté publique qui aurait lieu, puisque les mystères métaphysiques, et les vapeurs de l’ancienne superstition, qu’il avait cherché de son mieux à épaissir, avait produit une explosion à l’approche d’une faible lumière.

C’est certainement un très-grand malheur, dit sir Fax, pour ceux qui s’étudient à obscurcir la raison humaine, quand une des colones de leur parti vient à être renversée. Mais il est tout simple que les vapeurs de l’ignorance et de la superstition réunies, pour s’opposer au progrès de l’esprit humain, aient le même effet que le gaz inflammable, et que leur explosion soit fatale en proportion de leur densité.