Anthélia Mélincourt/La Dame, le chevalier et le moine

La bibliothèque libre.
Traduction par Mlle Al. de L**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (1p. 198-204).


LA DAME, LE CHEVALIER ET LE MOINE.
BALLADE.


LA DAME.

    Oh ! Chevalier, c’est à grand tort
Que toujours chante ta romance ;
Déjà luit l’étoile du nord !
Comme l’univers, fais silence.

LE CHEVALIER.

    Sept ans à ta porte ai chanté,
Et veux mourir à cette place,
Si par amour ou charité,
Ne prends pitié de ma disgrâce.

LA DAME.

    Tu n’as ni contrats ni trésor ;
Moi t’épouser, serait merveille !
Apprends, qu’au sein du bouton d’or,
Son plus doux miel, cueille l’abeille.


LE CHEVALIER.

    Tôt, s’il n’est d’autre empêchement,
Que l’huis de votre château crie ;
Je suis chargé de sacs d’argent,
D’or, de bijoux, d’orfèvrerie.

LA DAME.

    Jenni, tous les verroux tirez ;
Et courez vite dans l’office ;
Au Moine, qui boit, vous direz :
Qu’ai besoin de son saint office.

LE MOINE.

    Le Moine accourt ; les mariant,
Il leur a dit : n’oubliez mie
Que l’or a fait en un instant,
Ce qu’amour n’eût fait de la vie.


Le vicaire s’éiait endormi pendant ce trio, et le ronflement le plus sonore, accompagnait les chanteurs.

Sir Télégraph s’était approché de sir Forester, et l’avait consulté sur le voyage d’Onevote. J’ai prié, lui dit-il, ma tante et ma cousine d’être de cette partie ; elles useront de toute leur influence pour déterminer miss Mélincourl à les accompagner.

— Ce serait un voyage vraiment délicieux, répondit Forester, si miss Anthélia daignait en être.

— N’en désespérons pas, répondit Télégraph.

Mitriss Pinmoney attira Antliélia dans un coin de l’appartement et mit toute son éloquence en usage pour lui faire goûter la proposition ; miss Danaretta se joignit à sa mère ; pour éviter de plus longues instances, Antbélia fut obligée de promettre qu’elle y réfléchirait.

Sir Forester avait ouvert une magnifique édition du Tasse, imprimée par Bodoni ; elle était ornée des dessins d’Anthélia, dont le crayon avait rendu avec la plus grande vérité, les scènes magiques et sauvages que décrit le Tasse. Forester ne pouvait trouver d’expression pour témoigner l’enchantement que lui faisait éprouver cette nouvelle preuve de la sensibilité et du génie de son hôtesse. La conversation qui s’engagea entr’eux sur leur poëte favori, leur fit connaître encore mieux la similitude de leurs goûts et de leurs pensées.

M. Derrydown et sir Feathernest étaient à disputer sur Chapman, Homère et Jérémy-Taylor. M. Derrydown soutenait que le mètre que Chapman avait choisi, donnait le plus grand prix à son volume de chanson. Sir Feathernest assurait, au contraire, que les vers de Chapman étaient plats et sots. M. Derrydown se vengea de cette assertion en dépréciant Jérémy, le favori du poëte, qui lui répondit : qu’il n’attendait pas un jugement plus sain de l’homme assez sot, pour trouver Chewi-Chase, comparable au paradis perdu ; M. Derry-down répliqua : que les injures d’un poëte qui inondait la capitale de mauvais vers, et qui, sous le voile de l’anonyme, écrivait pour prouver qu’ils étaient excellens, lui étaient fort indifférentes. Sir, continua-t-il, il n’est pas facile d’imiter Homère ou Aristote ; mais on peut facilement s’asseoir près de Denis et de Colley-Cibber, vous m’en donnez la preuve.

À cette apostrophe, le génie irrité fit bouillonner le sang dans les veines de sir Feathernest ; il saisit un volumineux in-quarto, et le balançant dans les airs, il semblait prêt à le lancer à la tête de son adversaire ; mais il réfléchit sagement, que ce n’était ni le temps ni le lieu de prouver sa doctrine orthodoxe, par des coups de pieds et des coups de poings ; il se contenta de nier, qu’il écrivit des ouvrages pour prouver que ses vers étaient bons ; il protesta que tous les articles sur ses poëmes, sortaient de la plume de ses amis Mystic de Cimmerian-Lodge, et Vamps, éditeur de la revue.

Oui, dit M. Derrydovvn, j’en conviens, ils sont les principaux acteurs de cette misérable cabale, qui déprécie tout ce qui est bon et beau, qui remplit les paragraphes des gazettes, des panégyriques éternels de ses amis, et qui calomnie tous ceux qui ont assez de talens, pour les effrayer, et pas assez de bassesse pour les imiter.

La colère de sir Feathernest passa toutes les bornes. Oh ! pourquoi, s’écriait-il, en brandissant son in-quarto, pourquoi mon ennemi n’a-t-il pas écrit un livre ; la vengeance que nous en tirerions dans la revue, serait exemplaire.

Sir Hippy s’interposa pour rétablir le calme parmi les champions, il engagea Anthélia à prendre sa harpe pour les apaiser ; à ses sons enchanteurs, les antagonistes cessèrent de se défier ; mais ils eurent, toute la soirée, les yeux fixés l’un, sur les œuvres de Chapman ; l’autre sur celles de Jérémy.