Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/La Catherine possède

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Tarass Chevtchenko :

Poésies diverses.

La Catherine possède
Une maison avec plancher[1] ;
De la glorieuse Zaporoguie
Des visiteurs l’y viennent voir :
Le premier est Semen Bossy,
Le deuxième Ivan Holy[2],
Le troisième, le vaillant fils d’une veuve,
Ivan Iarochenko.

— « Nous avons parcouru la Pologne,
L’Ukraine entière,
Et nous n’avons pas vu de fille
Comme cette Catherine-ci » —

Le premier dit : « Frères,
Si j’étais bien riche,
Je donnerais tout mon or
À cette Catherine,
Pour l’avoir une heure. »

Le deuxième dit : « Mes amis,
Si j’étais bien fort,
Je donnerais toute ma force
À cette Catherine,
Pour l’avoir une heure. »

Le troisième dit : « Mes enfants,
Il n’y a rien au monde
Que je ne fasse

Pour cette Catherine,
Pour l’avoir une heure. »

Catherine réfléchit
Et elle dit au troisième :
« J’ai un frère unique,
Prisonnier chez l’ennemi,
Qui se morfond quelque part en Crimée.
Celui qui le délivrera,
Celui-là, Zaporogues,
Sera mon époux. »

Tous à la fois ils se levèrent,
Sellèrent leurs chevaux
Et s’en allèrent délivrer
Le frère de la Catherine.
Le premier se noya
Dans le delta du Dniéper ;
Le deuxième à Kozlov
Fut mis sur le pal ;
Le troisième, Ivan Iarochenko,
Le vaillant fils de la veuve,
De la prison cruelle
De Baktchissaraï
Délivra le frère.

Un matin les portes craquèrent
De la belle chambre.
« Lève-toi, lève-toi, Catherine,
Viens recevoir ton frère ! »
Catherine les regarda
Et poussa un cri :
« Ce n’est pas mon frère, c’est mon amant !
Je t’avais trompé. »
— « Trompé ! »
Et sur le plancher roula
La tête de la Catherine.
« Partons, frère,
De cette maison de malheur ! »
Et les deux Zaporogues partirent à cheval
Rapides comme le vent.

La Catherine aux sourcils noirs
Fut enterrée au milieu des champs,
Et les vaillants Zaporogues
Se jurèrent dans la steppe fraternité éternelle.

1848.

  1. Le sol de la maison paysanne n’était le plus souvent que de terre battue ; un plancher évoque l’idée de confort et d’aisance. En outre de ses avantages personnels Catherine avait donc de la fortune.
  2. Les Zaporogues se donnaient des surnoms caractéristiques : Bossy veut dire Va-nu-pieds, Holy Le nu.