Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/La Noël en enfer

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La Noël en enfer.

Nous reproduisons ici, en extrait, une des plus réussies, dans sa forme poétique, de ces poésies que les étudiants et ceux qui n’avaient encore que les ordres inférieurs troussaient assez ingénieusement pour débiter, en guise de compliments, devant leurs supérieurs hiérarchiques, les seigneurs et les bourgeois. En donnant aux personnages de la Bible les mœurs et l’habit du paysan ukrainien et en leur faisant parler son langage, ils obtenaient des effets comiques dans le goût de l’époque.

Le vieux bon Dieu, accoudé à sa table, pense en lui-même :

« Toutes les âmes sont en fête, il n’y a qu’Adam et Ève qui pleurent en enfer. »

Il pousse un gros soupir et fait venir en hâte Gabriel,
Pour lui commander d’envoyer tout de suite une lettre à Adam.

L’Archange ne traîne pas, à l’instant il prend du papier et de l’encre,

Tout ce qu’il faut, et il écrit une jolie lettre à Adam,

« Honnête Adam, ô toi, qu’on nomme l’ancêtre de tous les hommes,
C’est fini, ne pleure plus, encore un peu et tu seras sauvé de l’enfer.
Car, comme une fleur de rose, le Christ est venu au monde, il est né.
Il détruira l’Enfer, et domptera le diable pour qu’il ne soit pas si fier.
Il courbera cette sorcière de Mort comme un arc et lui cassera l’échine.

Sa faux tranchante et toutes ses armes il les broiera comme une toile d’araignée.

Les pandours infernaux, il les écrasera comme des grains de pavot à faire de la galette.

À cause de leurs mensonges et de leur tricherie il leur fera sentir sa main.
Car pour le moment on ne peut être en sûreté contre ces fieffés bourreaux.

Bons et mauvais, tout ceux qui leur tombent sous la main ils les traînent en enfer.

Que le diable les prenne ! Ils ne font merci à personne :

Que ce soit un moine ou un saint, ils lui roussissent les poils comme à une volaille.

À toi aussi, honnête Adam, et à ta femme ils en ont fait de belles,
Quand il vous ont eu induit à pêcher avec leurs mensonges.
Par ses ruses le malin a tenté ta jeune femme,
Et l’a fait fauter pour que tu manges aussi de cette pomme de malheur.
Grâce à cet ennemi, vous avez été changés de dieux en va-nu-pieds.

Vous avez pris des feuilles dont vous avez cousu des sacs pour cacher votre nudité.

Par leur ensorcellement, de rois que vous étiez, vous êtes devenus Dieu sait quoi.

Et avec tous vos enfants vous êtes tombés du paradis en enfer,
Où jour et nuit vous transportez du bois sur vos traîneaux pour le four.

Et en remerciement de vos peines on vous donne encore des coups de bâtons sur les côtes.

Par ces tortures tu t’es enflé comme une grenouille et tu te fais du mauvais sang.

Allons, lève-toi et lis ma lettre — tu te sentiras mieux sur le champ. »
Oubliant ses douleurs, notre aïeul sauta lestement de son lit.
Il passa sa veste et tant bien que mal s’approcha de la table.
Il s’assit sur le banc et mit sur son nez ses besicles.
Il prend la lettre, la lit en riant et ne sent plus ses écorchures.
Ève est là assise qui le regarde avec attention dans les yeux.
Et tout en lisant, Adam pèse mûrement ce qu’il lit.
Quand il eut fini, Adam dit à Ève : « Passe-moi la goutte ! »
Il en but un grand verre, sur le champ il alla en courant vers l’endroit

Où l’on met le bois dans le four et là il se mit à crier de toutes ses forces :

« Le Christ est né ! Le Christ est né ! L’ange nous a apporté la nouvelle. »
Puis il tira la lettre de sa poche, ôta son chapeau
Et, monté sur une bûche, il lut la lettre à tous à haute voix.
Et les gens se mirent à bourdonner comme les abeilles en été.

Ils prirent les femmes et relevant les pans de leurs habits, se mirent à danser,

Les uns le Bytchok, d’autres le Kosatchok et ceux-ci la Horlytza.
Les plus vieux, assis sous la tente, pleurent doucement de bonheur.
Le prophète David est aussi là, qui joue de la harpe,
Et il lit de son psautier un psaume à Jésus le Rédempteur.