Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/Le Vertepe
Le « Vertepe » (La crèche de Noël).
(Extrait.)
C’est la version populaire d’un drame de Noël, représenté par les étudiants errants sur les théâtres de marionnettes, dont la vogue, qui se répandit dans la seconde moitié du xviiie siècle, s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. Le drame se divise en deux parties : le véritable drame religieux, basé sur les scènes relatées dans les livres saints, et la partie profane, qui combine de façon plus ou moins heureuse les motifs d’intermèdes légués par les époques précédentes. Le plus ancien texte du Vertepe que nous possédions date des environs de 1775.
Non, il n’y a pas mieux.
Il n’y a pas plus beau,
Que chez nous en Ukraine !
Il n’y a plus de Polonais. Il n’y a plus de Juifs.
II n’y aura plus de trahison !
Hé, hé, messieurs, ce que j’ai été dans ma jeunesse !
J’en avais en moi de la force !
En rossant les Polonais ma main ne se fatiguait jamais —
Les épaules et les bras me font mal, ma force est partie.
Ô les années, les années, quelle mauvaise affaire !
Quand je tape sur la gueule, ça ne sert plus à rien,
Ô ma petite bandoura en or,
Que n’ai-je avec toi une jeune cabaretière !
Je danserais avec elle tout mon soûl, à en crever de rire,
J’oublierais avec elle mon mal pour toujours.
Car, quand je joue, plus d’un se met à sauter
Et dans cette gaité quelquefois même on pleure !
Je suis cosaque, je bois la goutte, je ne dédaigne pas la pipe,
Les cabaretières sont pour moi, mais je n’ai pas de femme.
Et vous, messieurs, je vous félicite à l’occasion de la Noël.
Eh ! bonne santé, cabaretière,
Bonne santé, fille de Poltava,
Voilà bien longtemps que je ne t’aie vue !
Et depuis lors pas[1].
C’est ça, Chveska, c’est ça, ma belle, ma pigeonne !
Nous nous sommes vus à Tchyhryne et depuis lors pas.
Comme ça — mak !
Un baiser, rien qu’un, dans ma tignasse,
Comme ça — mak !
Encore un pour mon gourdin et un pour ma bandoura !
Parfait ! Et maintenant dansons !
Aïe ! Malheur, un serpent, un serpent !
C’est le diable qui va être content !
Le voilà qui m’a piqué.
S’il y avait une tzigane pour conjurer le mal.
C’est cette chienne de Chveska qui a tout fait,
Pour que cette vipère te pique.
Je ne l’oublierai jamais.
Conjure comme tu voudras.
Une tzigane courait par monts et par vaux
Portant du sable sur une fourche.
Autant il reste de sable sur sa fourche…
mais celui-ci l’entend tout de même.)
Autant, mon petit cosaque, il te reste de temps à vivre.
Te voilà complètement guéri. Lève-toi
Et donne-moi ma récompense.
Danse un peu avec moi et je te donnerai ce qui te revient.
Ne regrette pas un copek, petit père, donne m’en deux.
Que dis-tu, petit tzigane ? Je n’entends pas.
Moi, mon petit cosaque, je le sais très bien.
Je te dis : ne regrette pas un copek, donne m’en deux.
À propos de quoi et pour quoi ? sois assez aimable de me le dire.
Je voudrais bien, mon pigeon gris, m’acheter du poisson.
Certainement, coquin de cosaque, mais où la prendre ?
Tête de mule, que ne le disais-tu plus tôt ?
Je t’en donnerai, moi, et des croquignoles !
Il ne me reste plus qu’à aller chez Chveska et boire
Une demi pinte, car je me sens la gorge sèche.
Chveska ! Chveska ! Chveska ! Mon petit cœur, ouvre !
Ouvre, te dis-je, ou j’arrache la porte et je te casse les fenêtres.
il l’enfonce avec la tête et disparaît.)
- ↑ Tchyhryne n’est là que pour la rime et l’expression pourrait se rendre à peu près par : Nous ne nous sommes pas vus depuis la semaine des quatre jeudis.