Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/Lamentation de l’église orthodoxe

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Melety Smotritsky :

Lamentations de l’église orthodoxe.

(Tiré du livre « Threnos c.-à-d. Lamentation de la sainte Église orientale, une, œcuménique et apostolique », paru en 1609, sous le pseudonyme d’Orthologue.)

Maxime Smotritsky, fils d’Hérazime, en religion Melety, finalement archevêque de Polotsk, est le représentant le plus qualifié de la seconde génération des grands maîtres du mouvement ukrainien, au tournant des xvie et xviie siècles.

Malheur à moi, pauvre et misérable que je suis, dévastée et dénuée de tous mes biens, dépouillée de mes vêtements, mon corps jeté nu à la dérision et accablée de fardeaux intolérables.

Mes mains sont liées, un joug pèse sur mon cou, mes pieds sont dans les fers et des chaînes ceignent mes reins. Un glaive est suspendu au dessus de ma tête, l’eau profonde entoure mes pieds et des flammes brûlent incessamment autour de moi ; des clameurs me poursuivent, de toutes parts la terreur et la persécution !

Belle et riche autrefois, je suis maintenant pauvre et défigurée. Dans le temps, reine adorée de tous, je suis maintenant méprisée et maltraitée de tout le monde.

Venez, tous les peuples, venez, tous les hommes, tous les êtres vivants, venez, approchez et écoutez ma voix, sachez qui j’ai été, regardez et étonnez-vous.

Nuit et jour je pleure, les larmes coulent sur mon visage comme des ruisseaux et personne ne me console, tout le monde m’a abandonnée, tous me dédaignent. Tous mes proches se sont éloignés de moi, mes amis sont devenus mes ennemis. Mes fils envieux cherchent à surpasser les serpents et déchirent mes flancs de leurs morsures venimeuses.

Ô peuples, écoutez ma triste histoire, prêtez l’oreille, habitants du monde entier.

Les fils et les filles, à qui j’ai donné le jour et que j’ai élevés, m’ont oublié pour suivre celle qui n’a pas souffert de leur naissance ; ils l’ont suivie pour se gorger de ses richesses.

Mes prêtres sont devenus aveugles, mes pasteurs ont perdu la parole, mes anciens sont devenus imbéciles, mes fils sauvages, mes filles se sont données à la débauche et tous, oubliant Dieu et sa justice, trament des complots contre mon âme.

Malheur à moi, confiée aux soins d’ouvriers négligents. Hélas ! on m’a laissée à la garde de régisseurs insatiables. Mais malheur à vous aussi qui vendez et achetez les grâces du Saint-Esprit, car votre argent causera votre perte. Vous ne voulez point savoir comment se sont enrichis ceux qui vous donnent, par quels moyens ils se sont procurés leurs biens.

Ils traient le lait des brebis, tondent leur laine et la vendent ; ils les écorchent pour en vendre la peau, ils se nourrissent de leur viande, se désaltèrent de leur sang et ils vous donnent ce qu’ils ne veulent plus de cette chair et de ce sang innocent. Vous n’êtes pas des maîtres, mais des brigands, vous êtes des taupes et point des flambeaux, des imposteurs et non des pasteurs, des archibêtes et non des archevêques.

Violateurs des lois de la volonté divine, vous avez aveuglé vos amis par les biens maudits de ce monde et vous avez trompé les brebis innocentes de Jésus sous le masque de l’imposture.