Anthologie des humoristes français contemporains/La pension Roquet

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Anthologie des humoristes français contemporainsLibrairie Delagrave (p. 121-122).

LA PENSION ROQUET

(Une multitude de bambins de cinq à douze ans rompent leurs rangs et se groupent autour d’un professeur maigre et râpé.)


Le pion. — Messieurs, vous avez deux heures, usez-en, mais n’en abusez pas ; que la sagesse préside à vos jeux.

Tous. — Oui, m’sieu.

Une voix. — Qui est-ce qui fait aux barres ?

Plusieurs voix. — Moi, moi, moi.

Le petit Bourgeois. — Moi aussi ; mais on ne ramasse pas les morts.

Le pion. — Monsieur Bourgeois ! faites-moi le plaisir de ne point courir l’épaule droite en avant, ainsi qu’un sanglier furieux et déchaîné.

Le petit Bourgeois. — Moi, m’sieu ?

Le pion. — Oui, vous.

Le petit Leprieur. — C’est une métaphore, ça, n’est-ce pas, m’sieu ? parce qu’on n’enchaîne pas les sangliers.

Le pion. — Leprieur, vous êtes coiffé du casque de l’audace, que surmontent encore le cimier de l’impudence et le panache de l’ineptie.

Trente voix (avec horreur). — Oh !

Le petit Gavinet. — M’sieu, Cuchet m’a pris mon képi, il ne veut pas me le rendre.

Le pion. — Il a le sien, c’est une superfétation.

Gavinet. — Je ne sais pas, m’sieu.

Le pion. — Cuchet ! pourquoi avez-vous pris le képi de Gavinet ?

Cuchet. — Au contraire, m’sieu, j’ai voulu le lui rendre ; c’est lui qui n’a pas voulu le reprendre.

Le pion. — Votre langue est forgée à l’enclume du mensonge ! rendez-lui son couvre-chef.

(Le groupe se disperse.)

Le petit Nonac. — Un lézard sur le mur !

Trois ou quatre gamins. — Attrapons-le, ça n’est pas méchant. (Ils le criblent de pierres.)

Un vieux monsieur qui passe. — Cet âge est sans pitié. Laissez cet animal. (Sentencieusement.) Le lézard est l’ami de l’homme.

Cuchet (accourant). — Où qu’il est, ce lézard ?

Nonac (avec stupeur). — Ne le touche pas ! ne le touche pas ! C’est l’ami de ce vieux.

Un petit mouchard. — M’sieu, le nouveau qui grimpe.

Le pion. — Monsieur ! Impudent drôle, là-bas ! voulez-vous bien descendre ? Qui donc vous a donné l’audace d’escalader ces arbres séculaires ? Répondez !

Le nouveau. — Personne.

Le pion. — Que cela ne vous arrive plus ; je serais obligé de sévir contre vous avec sévérité.

(Le nouveau va s’asseoir à terre dans un coin.)

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(Le 101e Régiment ; Calmann-Lévy édit.)