Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/Du Bois-Hus

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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 130-158).

DU BOIS-HUS


Combien de livres dorment dans la poussière des bibliothèques, qui confirment le vers-proverbe de Terentianus Maurus ! J’en veux rappeler aujourd’hui un des plus curieux et des plus inconnus ; car je compte pour rien la courte et dédaigneuse mention que lui consacre Viollet Le Duc, dans sa Bibliothèque poétique. M. Arthur de la Borderie, à qui l’histoire et la littérature bretonnes sont redevables de tant de recherches heureuses, m’a signalé le précieux déshérité, et sa qualité de gentilhomme breton n’a pas été le seul titre du sire du Bois-Hus à notre sympathique indulgence. Il y avait assez de mérite poétique dans les inventions et dans le style de notre brave compatriote, pour qu’il eût droit au laurier posthume que je pose aujourd’hui sur son front.

Le triple poème de Du Bois-Hus est destiné à célébrer l’heureuse venue au monde de Louis XIV. Diverses causes, que l’auteur n’a pas pris soin de nous expliquer, empêchèrent qu’il parût à son heure, et le dauphin avait déjà deux ans et demi, quand le libraire Jean Pasle mit en vente le pompeux récit de sa naissance. Le petit volume, de format in-18, était décoré d’un frontispice, gravé par Masne, dont il n’est pas inutile de donner la description : deux femmes, l’une couronnée et portant un riche manteau semé de dauphins, l’autre vêtue d’une robe couverte d’étoiles, étendent le bras vers un écusson aux armes de Richelieu ; dans la partie inférieure, deux enfants ailés soutiennent un glaive posé sur la banderole où est inscrit le titre. Voici ce titre, tel qu’il se lit, plus au long, à la page suivante : La Nuict des nuicts, Le jour des jours, Le Miroir du Destin, ou la Nativité du Daufin du Ciel, la Naissance du Daufin de la Terre, et le Tableau de ses avantures fortunées. Il y a là trois parties bien distinctes, trois poèmes ; mais, ce qui les domine est ce qui surmonte le frontispice, l’apothéose de Richelieu. C’est dans le privilège, daté du 24 août 1640, que nous apprenons le nom de l’auteur ; il nous dira plus tard sa nationalité.

Le discours panégyrique à Richelieu, qui emplit le tiers environ du volume, n’en est pas l’endroit le moins intéressant. On peut trouver que Du Bois-I-lus a épuisé, jusqu’à la satiété, toutes les formules de la flatterie ; mais il ne faut pas oublier qu’il était, comme nous le verrons, attaché à la personne du grand ministre ; la louange est souvent ingénieuse et porte juste, d’ailleurs ; elle va jusqu’à la subtilité dans le catalogue de vertus et d’exploits qu’on pourrait appeler les litanies du sage ; mais elle ne sort pas de la mesure, et elle se fait écouter avec plaisir, quand elle félicite Richelieu de porter Louis le Juste à de hauts faits, dignes de son sang et de sa grandeur, et de le faire plus glorieusement régner que « ces princes solitaires, qui, toujours enfermez dans un cabinet, ne voient jamais leur païs que dans la carthe, ne paroissent dans les armées que sur la monnoye qu’on distribue à leurs soldats, et passent le plus beau de leur aage dans une royauté oisive. » Si, après ce premier exemple de justesse dans la pensée et de pittoresque dans l’expression, je cite la phrase suivante, si entachée de préciosité, c’est qu’en expliquant une fois pour toutes le titre du livre, elle met bien en lumière l’antithèse d’où l’auteur a tiré ses plus sûrs effets : « C’est une nuict qui donne un sauveur aux hommes, et un jour qui fait naistre un héritier à la France… une nuict divine, un jour royal… une nuict, la plus heureuse des nuicts, un jour, le roy de ses frères… » Cette opposition cadencée se poursuit pendant deux pages : Jésus-Christ est né la nuit, le dauphin le jour ; admirable contraste qu’un écrivain, même le moins imbu des doctrines de Marini et de Gongora, n’avait garde de laisser échapper ; Bethléem et le Louvre, les lys et la croix, le poète, de sa plume chrétienne et française ensemble, n’a pas trouvé de plus beau spectacle à placer sous les yeux de Richelieu.

Mon dessein n’est pas de m’étendre sur Du Bois-Hus prosateur ; il me faut résister au désir de citer sa curieuse apostrophe contre La Rochelle, « le donjon de l’infidélité, la royne de la mer, » le dithyrambe à l’honneur de la prise d’Arras, et, après le tableau de la guerre de religion dans le Languedoc et les Cévennes, celui des trophées de la guerre étrangère. Certes, notre auteur glorifie son roi, et Pline, dans le Panégyrique de Trajan, n’est pas un flatteur plus empressé, mais il porte aux nues le grand ministre ; tout lui est aisément prétexte à ramener l’éloge de Richelieu, qu’il appelle, à cause de ses victoires, de son influence européenne, de ses projets qui embrassent le monde entier, le Britannique, l’Ibérique, le Germanique, l’Austrasien, que sais-je ? le Persique et l’Américain. Quand on a fait la part de l’exagération, on doit reconnaître que la politique extérieure de Richelieu, la plus grandiose et la plus sagement hardie qui fut jamais, et cette patriotique ambition qui faisait de la France la suzeraine de l’Europe, trouvent ici le plus enthousiaste, mais le plus fidèle des interprètes. Un point qui nous importe, et qui va nous attacher à Du Bois-Hus, c’est de le savoir Breton ; sa sympathie pour son pays natal perce déjà en plus d’un endroit de son Discours panégyrique, notamment quand il parle « des expéditions de la Nouvelle-Guinée où les vaisseaux de Bretaigne voyagent tous les jours, aussi chargés de la gloire royale que de leurs propres marchandises ; » mais, vers la fin de son discours, après avoir donné à entendre qu’il est depuis peu au service du cardinal, et nous avoir confié qu’il écrit en dépit de la Faculté et encore sous le coup d’une maladie grave qui « règne impérieusement sur toutes les parties de son corps, » il ne nous laisse pas le moindre doute sur sa nationalité : « C’est une dette que je paye, » s’écrie-t-il, « comme chrestien, au protecteur de l”Église ; comme François, au conservateur de cet Estat ; comme Breton, au vice-roy défenseur de cet illustre duché, le plus beau fleuron de la Bretagne. » Ce passage est intéressant à un triple point de vue : l’auteur est fier d’être Breton, il appelle Richelieu vice-roi de sa province, et la Bretagne encore un duché, plus de cent ans après l’annexion définitive.

J’arrive à Du Bois-Hus poète ; j’ai, pour citer souvent ses vers, des raisons tirées et de leur valeur, et de l’oubli immérité qui les a frappés ; puissé-je pourtant n’avoir pas trop méconnu cette mesure et cette discrétion dans le choix qui sont, selon Sainte-Beuve, le secret de l’agrément en littérature !

Trois sonnets « à la postérité, » trois tableaux de la sagesse, de la puissance et de la gloire de Louis-le-Juste, précèdent une sorte d’avertissement apologétique, destiné à mettre en garde le lecteur contre les censures malveillantes, « qui sont toujours des pechez contre la Charité quand elles ne le seroient pas contre le jugement » L’auteur donne ensuite des détails sur la composition de ses poèmes : « Je faisois par divertissement la Nativité du Daufin du Ciel, quand celuy de la Terre vint au monde ; j’achevay à la haste ce premier tableau, pour travailler à cette nouvelle peinture » Il ajoute que son ouvrage était composé depuis longtemps, « qu’il a paru publiquement dans une assemblée célèbre, » et que ses amis connaissent seuls les délicats secrets qui en ont retardé la publication. Quoiqu’il vienne un peu hors de saison, peut-être trouvera-t-il encore quelque faveur, puisqu’un si beau sujet, dont se sont emparées des plumes espagnoles, n’a tenté « aucune des illustres et miraculeuses veines de l’Académie. » — En tête de ses trois poèmes, Du Bois-Hus a aussi pris soin de placer des arguments explicatifs. Les deux premiers, la Nuict des Nuicts et le Jour des Jours, se subdivisent chacun en deux parties, ainsi dénommées : la Nativité du Daufin du Ciel ; la France, l’azile et le temple du Daufin du Ciel ; — la Naissance du Daufin de la Terre ; la Beauté de Monseigneur le Daufin et la joye du monde à son arrivée sur la terre. Partout, dans ces morceaux préparatoires, l’inspiration, chrétienne et française à la fois, de Du Bois-Hus se fait jour ; son zèle pour la religion et la patrie lui dicte de beaux élans ou d’ingénieuses saillies. Après avoir affirmé, — Dieu l’entende ! — que « le Ciel et la France sont de tous temps amis, » il trouve de jolis accents pour louer cette douce France, « la plus belle pièce de l’Europe, où paroissent les beaux naturels, les bons courages et les solides jugements ; où les vieillards sont actifs, les jeunes gens sages, les hommes parfaits ; où les dames sont de belles généreuses ou des sçavants modestes, où les filles sont des amazones ou des Minerves. » Il s’arrête, émerveillé, devant le Louvre et ses jardins, « où de vivantes beautés vont tous les soirs faire honte à celles que la Nature entretient dans les parterres et les allées, » devant la Seine, « qui embrasse visiblement le cœur de cette superbe cité [Paris] et semble estre marrie d’en desloger. » Dans ces phrases, que j’abrège à regret, nous avons, tracée par une main complaisante, une esquisse, qu’on chercherait vainement ailleurs, du Paris de Louis XIII et de Richelieu ; Du Bois-Hus exprime sa joie d’être Français avec une bonne humeur et une bonhomie qui sentent leur Breton d’une lieue ; mais il est temps de le faire connaître comme poète, et, sans m’astreindre à le suivre pas à pas, j’irai glanant dans son œuvre ce qui me semblera mériter d’échapper à l’oubli.

Je suis loin de prétendre que Du Bois-Hus n’ait pas eu les défauts poétiques de son temps : pas plus que ses meilleurs contemporains, il n’a su se préserver du jargon des ruelles, ni de la fausse élégance des précieuses que Molière devait vouer à l’immortalité du ridicule. À une époque où l’on écrivait la Métamorphose des yeux de Philis en astres, c’était un péché mignon que d’appeler ces pauvres yeux « des archers amoureux » et « de vivants carquois ; » mais je ne pense pas que le Père Le Moyne ou l’abbé Cotin aient imaginé rien de plus étonnant que cette strophe, destinée à peindre l’effet d’un clair d’étoiles dans l’eau :

L’illustre déesse des mois,
Quittant son arc et son carquois,
Descend avec eux [les astres] dedans l’onde ;

Son croissant est sa barque, où, l’hameçon en main,
Fait de sa tresse blonde,
Elle pesche à loisir les perles du Jourdain.

Il serait aisé de continuer cette chasse au mauvais goût dans les vers du poète breton, mais je laisse ce rôle aux regratteurs de mots, dont parle Régnier, et, décidé à faire estimer désormais Du Bois-Hus, je me plais à le citer, quand il convie la nature tout entière à fêter la venue du Sauveur :

Rajeunissez, forests, ruisseaux, plaines, estangs,
Le soleil est trop proche
Pour ne pas ramener la beauté du printemps.

Zéphyrs, créateurs des beaux jours,
Douces haleines des amours,
Pères mignards de la verdure,
Souffles délicieux, fils aislez de la Paix,
Bannissez la froidure
Qui deffigure icy le Dieu qui vous a faicts.

Cloris, envoyez vos valets
Couvrir tout de lys et d’œillets,
Faire partout des jours de soye :
Qu’ils peignent sur le front de la terre et de l’eau
Les ris, fils de la joye,
Les aisles d’un Zéphyr serviront de pinceau.

Et vous, oyseaux, luths animez,
Vivants concerts qui me charmez,
Chantres naturels des villages,
Aimables fugitifs, âmes de nos buissons,
Ames de nos rivages,
Venez l’entretenir de vos belles chansons.

On sent déjà le charme naïf de cette poésie. Un peu de préciosité ne messied pas dans l’apostrophe suivante aux fleurs, dont le vif coloris ne peut lutter contre le teint du divin bambino :

Petites nymphes des jardins,
Quittez vos nœuds incarnadins,
Vos bas verds et vos juppes jaunes ;
Mourez, jeunes beautez, mettez bas vostre orgueil ;
Tulippes et péaunes,
Quittez vostre escarlatte, habillez-vous de dueil.

Au point de vue historique, les vers suivants, qui veulent montrer l’ancienneté du culte de Jésus dans les Gaules, ne manquent pas d’intérêt :

Devant que Sion eust jamais
Receu du Ciel ce Dieu de paix,
Devant qu’il fust le Dieu de Rome,
Nos Druides desia vivoient selon sa loy,
Et devant qu’il fust homme,
Nos ancestres jadis en avaient fait leur roy.

Devant que Jésus vint des Cieux,
Les oracles de nos ayeux
Nous avaient annoncé sa gloire ;
Il est venu du Ciel plus tard que de leur main,
Et le Rhosne et le Loire
L’on plustot adoré que n’a fait le Jourdain.

J’en dis autant de ce souvenir, encore tout vibrant, des Croisades :

Les Turcs sur leurs propres ramparts,
Percez à jour de toutes parts,

Ont adoré nostre victoire ;
Ils sçavent ce que peut le bras de Godefroy,
Dont la seule mémoire
Suffit pour les combattre et leur donner l’effroy.

Du Bois-Hus aborde résolument l’histoire de son temps ; le triomphe de Louis XIII sur l’hérésie lui inspire un vers superbe :

Une divine haine
Luy mit l’Eclair aux yeux et la Foudre en la main.

et une strophe d’une beauté à peu près égale, qui débute par la traduction du mot célèbre de César, et finit par un trait d’une familiarité presque sublime :

Il alla, vit et vainquit tout,
D’un bout du Loire à l’autre bout,
Sur la Garonne et sur le Rhosne ;
Il establissoit mieux chaque église en son lieu,
Qu’il n’y fondoit son throsne,
Et suoit moins pour soy qu’il ne suoit pour Dieu.

Cet ordre d’idées religieuses et guerrières porte bonheur à Du Bois-Hus ; il dit encore à Louis XIII, le soldat de Marie :

Allez porter son nom et nos lys en tout lieu.

Le voyage que le roi a fait en Europe, « est une promenade en un bois de lauriers. »

Vous diriez qu’il n’a fait qu’aller déraciner
Une forest de palmes,
Qui n’avaient des rameaux que pour le couronner.

Y a-t-il donc si loin de ces beaux vers, de ces fiers accents, à la mâle poésie des Malherbe et des Corneille ? Et ce qui double leur prix, c’est qu’au lieu de nous peindre quelque prouesse antique ou légendaire, ils sont taillés en pleine histoire, en pleine gloire française :

Je le voy couronné d’éclairs,
Tel qu’est le foudre dans les airs,
Paroistre au sommet des Sévènes…

Je le voy voler à Cazal,
Sur les mesmes pas qu’Annibal
Nous a tracez par ses batailles ;
Les Alpes sont à nous, cent ramparts sont forcez,
Sur ces vastes murailles
Qui couvrent l’Italie et bornent nos fossez.

Du haut de ces monts sourcilleux,
Il lance sur ces orgueilleux
Les François, ces foudres de guerre ;
La Savoye est en peine, et son duc espagnol
Expose à son tonnerre
Suze et Montmélian, Veillane et Pignerol.

La poésie du XVIIe siècle était une déesse altière, qui ne quittait pas volontiers l’Olympe pour un champ de bataille ; il faut savoir gré au poète breton de lui avoir mis le casque au front et la lance en main. Les vers que j’ai cités évitent le double écueil d’être une gazette rimée ou une amplification mythologique ; le souffle qui les soutient, vraiment poétique et national, les fait comparables à l’ode de Malherbe au roi Henri allant en Limousin, et bien supérieurs à la malencontreuse élucubration de Boileau sur la prise de Namur. La défaite des Espagnols et des Impériaux, la conquête du duché de Bar, de la Lorraine et de l’Alsace, la prise d’Arras, continuent à exciter la verve belliqueuse de Du Bois-Hus, qui se souvient à propos qu’il est Breton pour dire à l’un des chefs de l’armée :

Tu recevras enfin de nostre Potentat
Cette fameuse espée
Dont Clisson et Guesclin ont soutenu l’Estat.

L’éloge de Richelieu rayonne tout naturellement au-dessus de ces trophées ; transporté d’enthousiasme, le poète va jusqu’à lui promettre la papauté :

Le Ciel, qui le destine à gouverner un jour
La barque de saint Pierre,
Luy fait faire sur nous l’essay de son amour.

Dieu a témoigné une bienveillance infinie à Louis XIII en lui donnant un tel ministre, mais il a mis le comble à ses faveurs en lui permettant de revivre en la personne du Dauphin : c’est à cet auguste enfant que Du Bois-Hus consacrera désormais les efforts de sa muse.

Comme Quintilien, qui commence l’éducation de l’orateur dès le sein maternel, notre poète aborde l’enfant royal avant même qu’il soit né ; il n’est pas jusqu’au retard des couches d’Anne d’Autriche qui

ne lui soit un motif détourné de louanges :

Lors, en sa vivante maison,
Ce prince, attendant la saison
Qui doit lui servir de Lucine,
Semble prendre plaisir à nous faire espérer
Sa naissance divine,
Et, pour estre plus cher, se fait plus désirer.

La lune « rouloit le char de son dixiesme mois, » quand l’heureux événement fait enfin éclater des transports universels de joie :

Rézonnez, clairons et trompettes,
Tumultueuses voix, remplissez tous les airs ;
Allez, volez, gazettes,
Allez, passez les monts et traversez les mers.

Fille de l’esprit et du temps,
Publique courrière des ans,
Greffière de la Renommée,
Agréable entretien des cercles curieux,
Allez, voix imprimée,
Publier jour et nuit cet œuvre glorieux.

Les historiens du journal, qui ont suivi pas à pas le développement de ce prodigieux agent de publicité, n’ont pas connu ces ingénieuses appellations de « greffiere de la renommée, » de « voix imprimée, » appliquées sans doute à cette doyenne de la presse française, à la Gazette de France, dont Théophraste Renaudot publia, le 30 mai 1631 (dix ans avant le livre qui nous occupe), le premier numéro.

Le dauphin est à peine né, et poètes de composer des vers en son honneur, Français et étrangers — étrangers surtout — de chanter sa jeune gloire sur le luth ou le flageolet. Du Bois-Hus gronde doucement ses compatriotes d’une négligence assez peu explicable, et il est amené, par une transition naturelle, à faire de la langue française le plus noble et le plus délicat éloge :

Sçavans favoris d’Apollon,
Divins héritiers de son nom,
Royale et chère compagnie,
Poëtes, fils aisnez des Muses que je sers,
Esprits au beau génie,
Que tarde vostre humeur à luy faire des vers ?

Je voy voler dedans les mains
De mille fameux escrivains
Les éloges de sa naissance,
Toute sorte d’autheurs lui donnent le bonjour,
Et les presses de France
Travaillent jour et nuict à luy faire la cour.

Mais, parmy les civilitez
Que luy rendent de tous costez
Les dieux des vers et des harangues,
Je voy que l’Estranger l’a le plus révéré,
Et de toutes les langues
Le François est celuy qui l’a moins honoré.

François, source des mots charmants,
Chères délices des amants,
Doux interprète de leurs peines,
Mignard écoulement de la bouche et du cœur,
Amour des belles veines
Que Permesse a remply de sa riche liqueur ;

François, langage harmonieux,
Complice des secrets des dieux,

Messager des plus beaux oracles,
Peux-tu souffrir icy que tes vieux ennemis
Facent seuls des miracles,
Et remportent l’honneur qu’on ne doit qu’aux amis ?

Je retiens de ces vers l’ingénieux éloge du doux idiome natal, et de cet art indéfinissable et tout français de dire des riens et d’en faire quelque chose, que notre langue — toujours un peu cette gueuse qui fait la fière dont parle Voltaire — n’avait besoin d’emprunter ni à celle où résonne le si, ni à celle que l’abbé Raynal qualifiait « brillante comme l’or et sonore comme l’argent. » Il me faut continuer à suivre Du Bois-Hus en sa vive allure ; à présent, se faisant l’écho des rancunes bretonnes contre le Midi, et appliquant à la littérature ce qu’un de nos romanciers contemporains retrouve plutôt dans l’ordre politique et social, il déplore que les Latins inondent Paris de leurs écrits, et

Semblent encor vouloir triompher des Gaulois ;

il adjure les poètes, ses compatriotes, de se piquer d’honneur dans un sujet qui intéresse au plus haut point l’amour-propre national. Ne laissez pas — leur crie-t-il — un si rare et fécond sujet inspirer des Latins, « enfler des veines espagnoles ; » et hardiment, avec un bonheur d’expression que soutient une conviction sincère, il dit ce qu’il a sur le cœur à ces Français, hommes de génie ou de talent, qui enjolivent des phrases et riment des bouquets à Chloris, au lieu de s’abandonner au saint enthousiasme de la

poésie héroïque et nationale :

S’il falloit parler de Chloris,
Louer son œillade ou son ris,
Faire un sonnet de confidence,
Méditer un adieu, rimer pour un balet,
Pleurer pour une absence,
Discourir sur des yeux, ou peindre un bracelet ;

S’il falloit nouer des cheveux,
Faire une ode, adresser des vœux
Louer un teint d’un vers fantasque,
Resver sur le tourment d’un amoureux transy,
Composer pour un masque,
Présenter une rose, un œillet, un soucy ;

Ou bien sur l’aisle des zéphirs
Envoyer de secrets soupirs
A quelque beauté périssable,
L’entretenir souvent de regrets bien rimez,
L’appeler adorable,
Faire voir sous son nom des ennuys imprimez ;

 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Vous verriez ces esprits, ravis de ces projets,
D’une veine idolâtre
Chérir la vanité de ces foibles sujets ;

On verroit tous les cabinets
Tapissez d’amoureux sonnets,
D’épigrammes et d’élégies,
Les theatres hantez rendroient les yeux contens,
Et leurs douces magies
Fourniroient tous les jours de nouveaux passe-temps ;

Ces ruisseaux maintenant taris
Rempliroient alors tout Paris
De l’eau de leur divine source ;
Mille jeunes esprits, mille canaux divers,

Multipliant sa course,
Rouleroient à la cour un déluge de vers.

Que de vieux mots congédiez,
Que de discours étudiez,
Que d’art, que d’ordre et de justesse,
Que de riches lueurs, que d’aimables langueurs,
Que de délicatesse,
Feroit naistre le dieu qui gouverne leurs cœurs !

Tout, dans cette longue citation qu’il n’eût tenu qu’à moi d’étendre encore, est aussi bien dit que pensé ; ou sourit à cette beauté périssable sous le nom de qui circulent « des ennuys imprimez ; » on salue dans « les vieux mots congédiez » les dernières épaves de la langue de Ronsard, proscrite par Malherbe. Je ne puis m’attarder à relever tant de tours ingénieux, de termes bien choisis, le mot de « magie, » par exemple, appliqué au théâtre. Mais il importe de signaler que ces strophes inconnues renferment une vraie leçon de critique littéraire, une satire, aussi judicieuse que courageuse, des rimeurs de ruelles, des auteurs de madrigaux ou de bergeries. On était alors, malgré la merveille du Cid, au plus fort de la vogue de l’hôtel de Rambouillet ; le goût s’épurait, la langue se perfectionnait, mais l’inspiration mâle et forte s’énervait aux langoureux accents des Racan et des Segrais, des Voiture et des Malleville ; les poètes de la Guirlande de Julie méritaient qu’on les réveillât de leur douce torpeur en leur venant dire (avec une intention meilleure que

l’expression) :

La France, depuis tant de mois,
Attend qu’une des belles voix
Dont elle adore la musique,
Espousant l’intérêt de ses félicitez,
D’une veine héroïque,
En porte la nouvelle à toutes ses citez.
Paris a tant d’esprits…
Qui rempliraient le monde
De l’esclat de son nom et du bruist de leurs vers.

Mais Du Bois-Hus craint que son zèle poético-patriotique ne l’ait entraîné un peu loin ; il souhaite simplement que les poètes avec la plume, comme les guerriers avec l’épée, célèbrent la bienvenue du dauphin ; malgré sa petite incartade, il est plein de respect pour les beaux esprits, ses maîtres, à qui il doit ce qu’il sait :

C’est de vostre puissant secours
Que j’attens mes plus beaux discours,
Chères muses, françoises fées,
Et vous, juges sçavans de mes premiers travaux,
Pardon, divins Orphées,
Je vous veux pour tuteurs et non pas pour rivaux.

Après cette digression, Du Bois-Hus reprend l’encensoir un moment quitté. Il veut que la nature des rives prochaines se mette en fête pour la venue élu dauphin ; il évoque, non sans charme, les nymphes et les dryades, habitantes de la campagne parisienne :

Allez, nymphes de nos prairies,
Pillez tous les jardins, cueillez tous les thrésors

Des campagnes fleuries,
Et faictes de vos fleurs un lict ; à ce beau corps.

Belle hostesse de Saint-Germain,
Flore, apportez à pleine main
La moisson de ces belles choses ;
Despouillez les valons, n’espargnez point les lys,
N’espargnez ; point les roses.

Bois de Meudon et de Limours.
Douces retraites des Amours,
Chargez de présents vos Dryades,
Et vous, charmant Ruel, sejour d’un demy dieu,
Envoyez vos nayades
Porter des fruits meuris aux yeux de Richelieu.

La brusque apparition du fort peu idyllique Richelieu met en fuite les naïades, et me gâte ce frais et champêtre tableau, paysage parisien que dore un soleil d’automne et qu’encadre la Seine, assez ingénieusement nommée « une liquide couleuvre. » Bienheureuse la Seine, où l’on a puisé l’eau du baptême royal, heureuse à rendre jaloux la Loire, le Rhône et la Garonne. Nouveau Du Bellay, notre poète saisit l’occasion d’appeler « mon Loire, » le premier de ces fleuves ; la strophe suivante, toute redondante d’emphase castillane, à l’air d’un regard jeté vers le sol natal, et pourrait bien indiquer que Du Bois-Hus était sinon Nantais, au moins originaire de cette partie restreinte de la Bretagne que baigne la Loire :

Si mon Loire estoit destiné
Pour un employ si fortuné,

Son cours prendroit des routes neufves ;
L’Anjou verroit bientost son grand canal tary,
Et Tours et Nantes veufves
Pleureroient le départ de leur ancien mary.

D’ailleurs, en pareille occurrence, le Rhône et le fleuve gascon

 laisseroient orphelines
Lyon, Arles, Thoulouse, Avignon et Bordeaux.

Dans l’hymne de joie qui continue et qui prend les proportions d’une interminable antienne, il y a des traits heureux et de jolis vers, mais aussi bien des redites et des fadaises et une persistance d’adulation qui, à la longue, devient impatientante. Je relève au passage des images d’un charme naïf qui font pressentir La Fontaine :

Le Plaisir aux yeux amoureux
A quitté les isles des songes.

Les tristes fourriers des hyvers
N’osent marquer dans l’univers
Les logis au roy de la glace.

Mais je n’ai pas le courage de suivre l’auteur dans cette vraie « île des Plaisirs, » où coulent des sources de lait et des ruisseaux de vin, où les nymphes écrivent sur l’eau les chiffres du dauphin et du roi où les satyres de plomb peint dansent la sarabande ; encore moins entrerai-je sur ses pas dans le palais où les trois Grâces, transformées en fées pour la circonstance, répandent sur le berceau royal un flot de faveurs et de bénédictions. Le mot de Gaston, frère de Louis XIII, qui trouvait au dauphin le front du roi et la bouche de la reine, a pu plaire en son temps et faire pousser des ha ! aux courtisans ; mais c’est vraiment passer la mesure que d’employer cent vers à le paraphraser. Quoique les langes du petit Louis XIV soient faits de drapeaux pris à l’ennemi et que les meubles qui l’entourent sentent moins l’ambre que la poudre à canon, on respire une odeur écœurante sous ces lambris dorés, et il fait bon ouvrir un peu la fenêtre, dût-on ne contempler, au lieu de la campagne fleurie, que le parc de Saint-Germain, où les illuminations, « les artificieux flambeaux, » « les étoiles de l’art » (comme les appelle notre poète), rivalisent de clarté avec les astres du ciel. Du Bois-Hus est un flatteur assez maladroit, ses compliments à tour de bras ont la lourdeur du pavé de l’ours ; il se guinde et se morfond dans cette atmosphère factice de la cour, où se meuvent si à l’aise les souples et mielleux Italiens. Combien je préfère notre digne compatriote, quand il fait trêve à ses louanges de commande et jette un bref coup d’œil sur le théâtre de la guerre, sur le Rhin que nos soldats venaient de traverser :

Longueville a franchi ses redoutables bords,
Et deja nos tonnerres
Font rouler dans son sein moins de flots que de morts.

Voilà Du Bois-Hus lui-même, et tel que je l’aime ; cette bouffée guerrière, cette brusque échappée sur un champ de bataille, lui font pardonner bien des fadeurs ; les Bretons — qui songe à s’en plaindre ? — ont toujours été de médiocres courtisans.

Je serai sobre d’extraits du troisième et dernier poème de Du Bois-Hus, qui a pour titre : Le Miroir du Destin. Après avoir épuisé toutes les formes de l’éloge, l’auteur n’a plus qu’à lire l’avenir, il tire l’horoscope du dauphin. Il bâtit tout un château… en Espagne sur les instincts belliqueux qu’il prête au petit prince, sur les hasards d’une ressemblance, sur une rencontre fortuite d’événements ; il lui prédit notamment l’empire de la mer, parce que sa naissance a coïncide avec la destruction d’une flotte ennemie. Comme le dormeur des Mille et une Nuits, notre poète semble souvent rêver tout éveillé ; et il a fait lui-même le procès aux écarts de son imagination, en se moquant de ces astrologues « qui prennent sur un berceau de deux pieds, comme sur un plan asseuré, toutes les mesures de la gloire d’un monarque. »

Le Miroir du Destin est écrit en strophes de dix vers, un vers de huit syllabes venant rompre la monotonie de quatre alexandrins consécutifs ; Du Bois-Hus, qui a choisi ce mètre nouveau, comme plus pompeux sans doute et plus majestueux, n’a pas pris garde qu’il est assez lourd à manier, et que, pour forte qu’elle soit, l’expression a souvent peine à le soutenir. Les maîtres du rythme, de Ronsard à Malherbe, de J.-B. Rousseau à Hugo, ont évité l’emploi de cette strophe pesante, qui, loin de donner du relief à la pensée, l’emprisonne et l’étouffe. — De la très longue invocation à la France, qui ouvre le poème, je détache cette stance haute en couleur :

Le seul règne de ton Louys
A fait voir icy bas le siècle des merveilles,
Et ses rares vertus, qui n’ont point de pareilles,
Tiennent de leur esclat les peuples esblouys ;
Trente ans de royauté luy font trente ans de gloire ;
Quand il l’ordonne, la Victoire
Porte fidellement son nom de toutes parts,
Et dessous son portrait deja l’Europe admire
De voir estropiez les aigles de l’Empire,
Les lions espagnols, les anglois leopards.

Après ces deux vers moulés d’un seul jet et d’une facture superbe,

Les fils des grands héros naissent dessus les palmes,
Et leurs langes se font de pièces d’estendars,

je rappelle ce vœu d’un bon royaliste :

Cessez, siècles futurs, de vous plaindre du sort,
Des daufins éternels vous donneront des princes,
Et le sang de Bourbon régira vos provinces,
Malgré la faux du temps et les lois de la mort.

Du Bois-Hus promet à Louis XIV la conquête de l’Europe… au moins ; l’heureux souverain enchaînera les fleuves, l’Oder, le Tage, la Tamise, ce Danube « jadis françois », que voici fort pittoresquement dépeint :

Cette longue couleuvre d’eau,
Qui sort toujours du flanc des plaines forestières,

Dont le corps tortueux chargé de cent rivières,
Décharge au Pont-Euxin son liquide fardeau,
Ce fleuve dont le cours dévore tant de fleuves
Et fait tant de provinces veuves,
Emportant leurs maris dans un gouffre commun,
Qui naist Luthérien, meurt Turc, vit Catholique,
Et, contre le devoir d’un sage domestique,
Change trois fois de maistre et n’en retient pas un ;

Ce voyageur si merveilleux,
Qui, demeurant toujours au lieu de sa naissance,
Sans quitter le berceau de sa première enfance,
Mesure cent païs de son pas orgueilleux,
Voit Souabe et Bavière, Austriche, Hongrie et Dace,
Se laissant tout où son eau passe,
Petit nain en géant de luy mesme croissant,
Et déguisant son nom depuis la Bulgarie,
Luy mesme son chemin et son hostellerie,
Ne repose jamais qu’en la mer du Croissant.

Cette description si imagée, où des traits de mauvais goût ne gâtent pas un ensemble ingénieusement observé, ce curieux exemple de naïveté précieuse, auraient droit de nous arrêter ; mais le poète nous entraîne. Quel vaste champ il ouvre aux exploits futurs de son roi ! Ce n’est pas l’Italie seulement, ce ne sont pas l’Espagne et l’Empire qui mettront leurs couronnes à ses pieds,

Il va briser les fers de la Grèce captive…
Le Croissant a pasly voyant son galion…
Il va planter les lys au sein de l’Idumée…
Les Tritons estrangers adorent son trident,
Et les vieilles échos des masures de Troye,

Répétant les beaux cris de France et de Montjoye,
Font hommage à leur mode au Dieu de l’Occident.

En même temps qu’il promène un regard sur l’Ilion d’Homère, vers ces champs ubi Troja fuit, Du Bois-Hus n’a-t-il pas ici comme un ressouvenir et une ambition nouvelle de ces merveilleuses aventures, de ces Croisades, où l’héroïsme chrétien et français fit ses premières armes ? La même ardeur généreuse perce dans cet imaginaire récit de la prise de Constantinople :

Ce cœur, aussi noble que grand,
Va menacer Stamboul, il campe, il l’environne,
Il canonne ses murs, il la foudroie, il tonne,
Il renverse, il ruine, il l’emporte, il la prend,
Il arbore la croix et les drappeaux de France
Sur les bastions de Bysance ;
Il fait mordre la terre à ce donjon d’orgueil ;
La mer ne roule plus que des ondes sanglantes,
La terre n’a plus rien que des maisons fumantes,
Et cette grande ville est son propre cercueil.

Osons l’avouer, ce morceau est d’un vrai poète ; l’accent y est tout moderne et national, sans aucun mélange de fatras mythologique ; notre littérature du XVIIe siècle, qui s’en tenait aux exploits des Alaric et des Childebrand, et ne concevait pas le passage du Rhin sans accompagnement des divinités de la fable, offre peu de strophes héroïques d’un souffle aussi soutenu ; rien ne manque à cette poésie guerrière, ni la foi, ni la fougue, ni même le cliquetis des mots qui semble un cliquetis d’armes. Je fermerais ici le livre de Du Bois-Hus, après avoir cité ce vers tout cornélien, qui est un souvenir et une espérance :

La cause de la France est la cause des Cieux ;

je le laisserais entraîner Louis à de nouvelles et chimériques victoires, si je ne tenais à le montrer reprenant sa musette bretonne, descendu de ces hauteurs où sa vive imagination l’a transporté, et demandant au roi, avec une bonhomie pleine de charme, quelque faveur pour son premier ouvrage :

Chérissez les essais d’une plume naissante,
Quoique muse champestre elle est assez charmante,
Et n’entend pas si mal la langue de la cour ;
On souffre à Sainct-Germain le thym avec les roses,
Ses eaux, mères des belles choses,
Y nourrissent les lys sans bannir le cresson ;
Et si mes premiers vers ne sont pas des plus dignes,
Souvent on se plaist moins à la voix des vieux cignes,
Qu’aux airs d’un rossignol qui fait vivre un buisson.

Ce tour aisé, presque enjoué, rappelle Horace et fait penser à La Fontaine ; mais, à la cour, notre chanteur aura vite perdu ses qualités natives, s’il ne s’est pénétré du sage précepte de Quintilien : Musa illa pastorales non forum modo, verum etiam urbem reformidat.

J’ai fait bien des citations de Du Bois-Hus ; c’est encore par une citation que je terminerai cette étude. D’une touche légère et fine, avec une aimable candeur, le poète a porté ce jugement sur lui-même : « Si ma plume n’a pas toute la justesse qu’on apprend de l’estude, je peux dire avecque franchise qu’elle a les bonnes inclinations qu’on reçoit de la naissance ; elle a quelque peu de naturel, si elle n’a pas assez d’art et de mode ; et si elle n’est pas assez heureuse pour parestre tout à fait belle, je croy qu’elle ne sera pas si disgraciée qu’on la juge tout à fait désagréable. » C’est là le ton de la bonne compagnie, et de cette littérature aristocratique qui n’a jamais cessé d’avoir, en France, d’illustres ou d’ingénieux représentants.

Je ne sais si j’aurai fait goûter Du Bois-Hus à quelques lecteurs ; je m’applaudis, quant à moi, et comme Français et comme Breton, de l’avoir exhumé.


Les recherches que mon érudit confrère, M. S. de la Nicollière-Teijeiro, a bien voulu faire dans les archives municipales de Nantes, jointes aux renseignements que M. F. Saulnier a extraits à mon intention des registres de l’ancien parlement de Rennes, m’ont permis d’arriver, sur la famille du poète Du Bois-Hus, aux conclusions suivantes :

La famille Hus ou Hux était bien bretonne, et, selon toute apparence, originaire du pays nantais. Nous en suivons la trace, dans diverses paroisses de Nantes, dès 1496, et pendant toute la durée du XVIe siècle. Gabriel Hux, qui, dans un acte de 1582, se qualifie seigneur de la Bouchetière, fut d’abord receveur des décimes de Vannes, trésorier des États de Bretagne, puis désigné par Henri IV pour les fonctions de maire de Nantes, qu’il remplit de 1599 à 1601 ; sa femme, Catherine Hennier, vivait encore en 1611. Il eut plusieurs enfants, dont Audart Hus, né à Nantes, le 8 septembre 1577, marié à Bonne Le Lou, fille de Michel Le Lou, sieur du Breil, maire de cette ville. Audart ou Oudart fut pourvu, par lettres du 17 novembre 1605, de l’office de conseiller non originaire au parlement de Bretagne, reçu à l’exercice de sa charge le 1er novembre 1606 ; il avait été auparavant conseiller au présidial de Nantes ; après avoir été présenté à l’église des Grands-Carmes de Rennes, son corps fut transféré dans sa ville natale. Il prenait, en 1619, le nom d’Oudart Hus, sieur du Boys, conseiller du roi en sa cour de parlement, et cela, dans un acte (paroisse Saint-Saturnin, de Nantes), où son fils Yves Hus, encore enfant, est parrain. On peut croire que cet Yves Hus est notre poète, dont le livre était écrit plusieurs années avant 1640, date où il le publia, a moins de supposer qu’il entra dans les ordres et fut Gabriel Hus, conseiller et aumônier de Monsieur, frère du roi, enterré aux Pères Minimes de Nantes, le 6 décembre 1647. Une troisième hypothèse en ferait un Oudart Hus, sieur du Boys, écuyer, qui eut de sa femme, Marie de Santo-Domingo, deux enfants, baptisés en Saint-Vincent de Nantes, en 1648 et 1649. Si le poète ne nous avait pas caché son prénom, nous serions fixés ; mais un fait reste constant, c’est son origine nantaise, que quelques-uns de ses vers nous avaient fait entrevoir.

Voici, d’après le Livre doré de la ville de Nantes, de MM.  de la Nicollière et A. Perthuis, la reproduction des armoiries de Gabriel Hus ou Hux, le maire de Nantes ; nous devons la communication du bois original à l’obligeance de M. Perthuis.

Olivier de Gourcuff