Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/La comtesse de Murat

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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 254-260).

COMTESSE DE MURAT

(1670-1716)



Henriette-Julie de Castelnau naquit à Brest, en 1670 ; elle était fille de Michel II, marquis de Castelnau, gouverneur de cette ville, et mestre de camp de cavalerie ; il mourut d’une blessure à Utrecht, à l’âge de 27 ans, et laissa sa fille, alors âgée de 2 ans, aux soins de sa veuve, qui était fille d’un maréchal de France.

Henriette-Julie, élevée par sa mère, vint à Paris, à l’âge de 16 ans, et y épousa le comte Murat, dont la famille se trouvait alliée à celle des La Tour d’Auvergne. La jeune femme fut présentée à la reine Marie-Thérèse d’Autriche ; elle parut à la cour avec le costume breton, et tous les poètes d’alors célébrèrent la beauté et l’esprit de la jeune Brette. Fascinée par l’adulation, Henriette se crut tout permis, et se livra à son penchant pour les épigrammes ; Mme de Maintenon la fit exiler à Loches, comme ayant participé à un libelle contre la cour. Elle composa beaucoup d’ouvrages dans sa retraite.

Enfin, après vingt ans d’exil, le Régent, sur la demande de Mme de Parabère, rendit la liberté à la comtesse Murat, mais elle n’en jouit pas longtemps, et mourut, le 24 septembre suivant (1716), à son château de la Buzardière, dans le Maine, à l’âge de 46 ans. Elle ne laissa pas d’enfants, et fut le dernier rejeton de l’ancienne famille des Castelnau du Bigorre.

Elle a composé :

1o Mémoires de Mme la comtesse M., — pour servir de réponse aux Mémoires de M. de Saint-Evremond. Paris, 1697, 2 vol. in-12.

2o Nouveaux contes de Fées. Paris, 1698, 2 vol. in-12.

On remarque dans ces contes le Parfait amour, Anguillette, Jeune et Belle, le Prince des feuilles, le Palais de la vengeance. Ce dernier récit renferme beaucoup d’allégories ; on y voit une aigrette de muguet qui combat les enchantements, puis une émeraude et une feuille de rose miraculeuses. Les deux amants, condamnés à se voir toujours, éprouvent la satiété, cet ennemi du bonheur terrestre ; ils cherchent vainement à retrouver l’aigrette de muguet qui doit les rendre invisibles.

Avant ce temps fatal les amants trop heureux
Brûloient toujours des mêmes feux.
Rien ne troublait le cours de leur bonheur extrême.

Pagon [l’enchanteur], leur fit trouver le secret malheureux
De s’ennuyer du bonheur même.

Il y a également, dans le Prince des feuilles des détails très poétiques, le Myrte animé, le Papillon couleur de feu, etc.

Le conte de l’Heureuse peine se termine ainsi :

Tant qu’amour fait sentir ses peines, ses tourments,
Et les doux transports qu’il inspire,
Il reste cent choses à dire
Pour les poètes, les amants ;
Mais, pour l’hymen, c’est en vain qu’on réclame
Le dieu des vers et les neuf doctes sœurs ;
C’est le sort des amours et celui des auteurs
D’échouer à l’épithalame.

3o Le voyage de campagne. Paris, Mme Barbin, 1699. 2 vol. in-12. Roman très bien écrit.

4o Histoire de la courtisane Rodopa. Loches, 1708.

5o Histoire galante des habitants de Loches (désignée sous le nom de Ségovie).

6o Les Lutins du château de Kernosy, nouvelle historique. Leyde (Paris), Lefèvre, 1710-1717. 2 vol. in-12.

Sur la première page d’un exemplaire de ce dernier roman faisant partie de la collection de M. Paulmy d’Argenson, je lis :

« Joly roman, de la gayeté, du bon ton, de l’esprit, de l’intérêt ; il y a deux jolys contes de fées, dont l’un, qui s’appelle Estoilette, est à peu près le sujet même de l’opéra comique d’Aucassin et Nicolette. »

Un des derniers ouvrages de Mme Murat s’intitule : Histoires sublimes, et Allégories dédiées aux fées modernes, Paris, 1699. Delaulne. 2 vol. in-12. Suivant l’Histoire littéraire des Dames françaises, le Sauvage est le plus joli de ces derniers contes.

Nous avons lu, sur la première page des Histoires sublimes (collection de la bibliothèque de l’Arsenal), ces mots, écrits de la main de la comtesse :

« Ces contes sont de moy, la comtesse Murat, de qui j’ay plusieurs autres contes et romans très estimés ; ceux-ci sont les plus méchants. »

On possède encore, du même auteur, un Dialogue des Morts, un conte en vers, intitulé le Bonheur des Moineaux, des chansons, des poésies fugitives, publiées en 1757 par Moncrif ; on trouve, dans ce recueil, ce spirituel couplet, tant de fois répété :

Faut-il être tant volage ?
Ai-je dit au doux Plaisir :
Tu nous fuis, las ! quel dommage,
Dès qu’on a pu te saisir.
Le Plaisir, tant regrettable,
Me répond : Rends grâce aux dieux ;
S’ils m’avoient fait plus durable,
Ils m’auroient gardé pour eux !

Il existe, dans la collection du marquis d’Argenne, un manuscrit contenant des lettres de Mme Murat, de petits romans et des nouvelles.

Je détache de ses annales poétiques trois petites pièces encore :

La Discrétion

Si quelqu’un, bien traité des belles,
Fait, des faveurs qu’il obtient d’elles,
Un trophée à sa vanité,
Qu’il soit partout si mal traité,
Qu’il ne trouve que des cruelles.
Aimer à publier les grâces qu’on reçoit
Marque, ordinairement, qu’on les sent comme on doit.
En amour, c’est une autre affaire,
C’est les bien ressentir que de les bien céler,
Et, si l’ingratitude est ailleurs à se taire,
En amour, elle est à parler !

L’Épître à Lisette

Muse de tous nos jeux, objet de nos hommages,
Songez que le dépit se mêle à nos suffrages,
Lorsque vous empruntez des travestissements
Trop peu dignes de vous, malgré leurs agréments ;
D’un naturel heureux l’ascendant est extrême.
Pour nous plaire toujours, soyez toujours vous-même ;
Sous des myrthes fleuris, dans des palais charmants,
Devenez-vous princesse ou compagne de Flore,
Vous causez dans les cœurs de doux ravissements,
Un murmure s’élève, éclate, augmente encore ;
Vous entendez partout des applaudissements.
Quel triomphe flatteur ! C’est un peuple d’amants
Qui couronne ce qu’il adore !
Hé bien ! croyez-les donc, ces cœurs que vous troublez.
Sous les vains ornements que votre art nous présente,
Vous n’êtes jamais plus charmante,
Que lorsque vous vous ressemblez !

L’Hyver de 1709 (chanson)

Le tendre Amour soupirant
Hier disoit à sa mère :
Je ne sais quel accident
A fait geler ma terre ;
Mais il fait bien mauvais temps
Dans l’île de Cythère !

Les amoureux sont transis,
Auprès de leur bergère ;
Dans ses doigts on voit Tircis
Souffler et ne rien faire.
Ah ! que de cœurs engourdis
Dans l’île de Cythère !

Il nous faudroit des amants
Discrets, mais téméraires,
Qui ne fussent pas tremblants,
Mais ardents et sincères ;
Tels ne sont pas ceux du temps
Qui règne dans Cythère !

Après le froid c’est la faim
Qui nous livre la guerre ;
On appauvrit le terrain
D’Amour et de sa mère ;
On n’a plus que mauvais grain
Au marché de Cythère !

Jadis on alloit semant
Le grain en bonne terre,
On faisoit facilement
Une récolte entière ;
Que de déchets à présent,
Dans l’île de Cythère !


L’on apportait à foison
Farine aux boulangères ;
Dans cette morne saison,
À peine les meunières
Retirent-elles du son
Des moulins de Cythère !


Comte de Saint-Jean