Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/Paul Hay du Chastelet

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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 93-112).

PAUL HAY DU CHASTELET

De l’Académie Française
(1561-1618)


Du Chastelet est surtout connu comme prosateur et comme polémiste. Maître des requêtes, puis conseiller d’État, il publia un grand nombre d’apologies politiques en faveur du cardinal de Richelieu : pendant toute la seconde partie de sa carrière, il fut au nombre de ces champions alertes et vigoureux dont les piquantes brochures allaient trouver jusqu’au fond de leur retraite de Bruxelles, les partisans de la reine-mère et de Gaston d’Orléans. De tous ces écrits, l’apologie de la condamnation du maréchal de Marillac est le plus important : mais le plus vif, celui qui permet le mieux de constater chez Paul du Chastelet un tempérament de journaliste très accentué, est la préface qu’il écrivit pour le Recueil de pièces historiques, auquel répondit si acrimonieusement Mathieu de Mourgues, l’abbé de Saint-Germain. Cette préface justifie très honorablement l’admission de du Chastelet parmi les fondateurs de l’Académie française. J’ai étudié ailleurs et analysé à loisir tous ces écrits de polémique[1]. J’en dirai donc ici peu de chose. Ce que je veux surtout rechercher, ce sont les traces de la carrière poétique, beaucoup moins connue, du magistrat breton ; car du Chastelet fut aussi poète : poète latin et poète français ; et ses vers furent encore plus vigoureux que sa prose. Ils devaient même porter de si terribles coups, que l’anonyme masqua prudemment leur origine. Il en est résulté de fausses attributions qui ont fait oublier que du Chastelet fut l’un des meilleurs héritiers de Régnier et le prédécesseur de Boileau dans la satire. Le Recueil de Sercy a publié sa meilleure pièce sous le nom de Théophile, et la plus mordante a pris place dans les recueils de mazarinades, bien que l’auteur fût mort quinze ans avant la Fronde.

Je ne m’étendrai pas longuement sur la biographie du poète : je ne pourrais que répéter les pages que je lui ai consacrées dans la Bretagne à l’Académie française : mais je la compléterai par quelques renseignements que le hasard, ou mieux, la bonne fortune, providence des érudits et des simples chercheurs, m’a procurés depuis la dernière édition de cet ouvrage : je citerai en particulier des vers latins et français que je ne connaissais pas encore et qui mettront mieux en relief le talent poétique du polémiste attitré du grand cardinal.

Paul Hay du Chastelet naquit au mois de novembre 1592, de Daniel, lieutenant civil, criminel et de police à Laval, puis intendant de la maison du duc de la Trémouille, baron de Vitré, et de Gilette de Pélineuc. Cousin des Hay des Nétumières et membre d’une vieille famille parlementaire bretonne que Du Paz citait déjà avec honneur dans ses généalogies des illustres maisons de la province, il prétendit un jour démontrer que ses ancêtres remontaient au paysan du nom de Hay que le roi d’Écosse Kenneth anoblit en 980, après la bataille de la Tay, contre les Danois. Quelques années plus tard, Colbert voulut aussi se forger une descendance écossaise. C’était la mode au XVIIe siècle. Il est pourtant vraisemblable que les Hay de Slade, autre famille bretonne, peuvent revendiquer cette origine. Ils portent, comme ceux d’Écosse, des armoiries à trois écussons avec simple renversement de couleur, tandis que les Hay des Nétumières et du Chastelet portent de sable au lion morné d’argent. Quoi qu’il en soit, ces derniers avaient déjà le droit, au XVIIe siècle, de se qualifier d’ancienne extraction. Notre poète était bien gentilhomme et des meilleurs de Bretagne. La terre du Chastelet, dont il portait le nom, est située dans la paroisse de Balazé, à une lieue au nord de Vitré, et le château en est encore habité par les Hay des Nétumières.

Paul du Chastelet fit de bonnes études à Paris où il fut envoyé, avec deux de ses frères, sous la direction d’un vieux chanoine manceau, dont M. l’abbé Esnault a bien voulu me communiquer un curieux journal inédit rempli de détails sur les jeunes gens confiés à ses soins. Il ne s’imaginait sans doute pas élever deux futurs membres de l’Académie française.

Conseiller au Parlement de Bretagne en 1616, à l’âge de vingt-quatre ans, Paul du Chastelet fut nommé en 1618 avocat général près de la même cour et s’y distingua tellement par sa verve oratoire que Louis XIII le choisit, en 1621, pour l’accompagner dans son voyage de Guyenne et pour organiser le nouveau Parlement de Pau, délicate mission en pays révolté. Le roi le récompensa en le gratifiant d’une charge de maître des requêtes, dans laquelle il fut reçu le 3 avril 1623.

Le Ducatiana prétend qu’il fut obligé de quitter ses fonctions d’avocat général « pour quelque affront qu’il reçut à cause de ses plaidoyers trop satiriques, » et Mathieu de Mourgues a écrit dans un de ses plus virulents pamphlets : « Il a fait autrefois l’office d’avocat général dans un parlement : il y convertissait le barreau en théâtre de charlatan : ses plaidoyers n’étaient que des satires ; elles firent fondre sur lui une grêle de coups de bâtons qui ne le rendirent pas plus sage, mais l’obligèrent de quitter son pays pour venir raffiner sa malice dans la cour… » Ce langage est celui d’un ennemi, et d’un ennemi acharné poursuivi jusque dans ses derniers retranchements. Il ne faut donc pas le prendre à la lettre : mais il y a peut-être quelque chose de vrai dans le fond. Du Chastelet avait naturellement l’esprit vif, satirique et mordant. C’est lui, pour ne citer qu’un exemple de ses saillies, qui traduisait par : « Je suis gueux, mais c’est de race, » l’épigraphe In fundulo, sed avito, que son collègue Turcan avait fait mettre sur la porte de sa maison, et que Musset, de sa plume élégante, a transformée en :

Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre.

Richelieu venait précisément, en 1623, de recevoir le chapeau de cardinal et préparait son entrée définitive au ministère. Il reconnut immédiatement quels services cet esprit bien dirigé pouvait rendre à sa cause, et résolut de l’attacher plus spécialement à sa personne. Il craignait peut-être pour lui-même sa verve caustique ; il préféra s’en servir pour combattre ses nombreux ennemis ; et du Chastelet, qui entrevit dans cette situation un avenir de faveurs et de dignités, s’empressa d’acquiescer aux désirs du ministre. Au bout de quelques années il devint son apologiste en titre.

Ce ne fut cependant pas en abdiquant toute indépendance. Du Chastelet se permettait souvent de combattre les idées de son maître. À l’époque du procès Bouteville, il composa en faveur des accusés un factum qui fut trouvé très hardi. Ceci se passait en 1627. — Vous voulez donc, lui dit Richelieu, condamner la justice du roi. — Pardonnez-moi, répliqua du Chastelet, je veux justifier sa miséricorde, s’il a la bonté d’en user envers un des plus vaillants hommes de son royaume.

Quelques années plus tard, comme il assistait M. de Saint-Preuil qui sollicitait la grâce du duc de Montmorency : — Je pense, lui dit le roi, que M. du Chastelet voudrait avoir perdu un bras pour sauver le coupable. — Je voudrais, sire, répondit le maître des requêtes, les avoir perdus tous deux, car ils sont inutiles à votre service, et en avoir sauvé un qui vous a gagné des batailles et qui vous en gagnerait encore.

Voilà l’homme. Ces traits n’ont jamais été contestés depuis Pellisson qui se trouve d’accord avec le médisant Tallemant des Réaux. Aussi pouvons-nous affirmer, lorsque nous trouvons du Chastelet jouant un rôle actif dans le procès de Chalais ou dans celui de Marillac, qu’il n’agissait pas en courtisan et qu’il n’écoutait que sa conscience.

Mais nous n’avons pas le loisir de relater ici ces procès. Il est temps d’arriver aux poésies.

Aussi rampant adulateur que vif et piquant railleur, dit l’historien Le Vassor, un des ennemis les plus acharnés du maître des requêtes, Chastelet faisait souvent des satires et les lisait à Richelieu pour divertir Son Éminence. Celle dont voici le préambule et qui a pour titre : Sur la diverse humeur et fortune des hommes, fut sans doute de ce nombre : elle est signée du célèbre Théophile dans le recueil de Sercy, mais ce recueil parut longtemps après la mort des deux poètes et tous les contemporains s’accordent à la donner à du Chastelet :

Sous un calme trompeur, le monde a mille écueils.
Ses doux embrassemens, ses faciles accueils
Sont les liens dorés de notre servitude ;
Bienheureux est celui qui dans la solitude
Admire la grandeur des cèdres seulement,
Ne voit que des saisons l’aimable changement,
Et couché sur le sein des innocentes herbes
N’adore point le seuil de ces portes superbes
D’un cabinet gratté d’un tas de mécontens
Qui perdent à la fin les ongles et le tems.
Plus haut que le soleil notre assurance habite
Ce qui se meut sous lui, par le sort se limite ;
Le hasard est plus fort que n’est le jugement,
Rien ne s’y peut former que par le changement ;
Et vous seul, ô Seigneur, avez la connoissance
De l’ouvrage naissant de vostre Providence ;
Nos esprits par les sens sont tousjours empeschés ;
L’erreur et le désir aux hommes attachés,
Dans ce cercle infini ne trouvent point d’issue ;
Peu de gens ont le fruict, et tout le monde sue…

Ce début est plein de promesses : la manière en est large, et l’on y reconnaît l’école de Malherbe. Plusieurs vers sont fort bien frappés :

Plus haut que le soleil notre assurance habite,


est d’une facture noble et magistrale. On remarquera aussi cette comparaison sur les généreuses illusions de la jeunesse :

Le fleuve le plus grand fait-il voir en sa source
Tout le bien et le mal que doit faire sa course ?

Tirsis ne voit-il pas que les tygres naissans
Autant que les agneaux paroissent innocens ?
De tous commencemens la douceur est si grande
Qu’il faut qu’à leurs attraits un jeune homme se rende…

Mais bientôt, emporté par les sens,

 des voluptez complices
Il suit l’ambition, le luxe et les délices ;
Il suit de la raison les cruels ennemis,
Serpens qui font mourir les hommes endormis.

Voilà encore un vers à retenir : et j’en pourrais citer beaucoup d’autres parmi les deux cent quatre-vingts qui composent cette satire. Le tableau de la vieillesse misérable de l’homme vicieux est particulièrement énergique :

L’impuissante chaleur du feu qu’il a nourry
Croist et ne paroist plus dedans ce bois pourry.
Il se trouve accablé de foiblesse et d’années ;
Il voit ses actions et ses mœurs condamnées ;
Il voit sa lâcheté qui souffrit que ses sens
Sur sa propre raison devinssent tout puissans :
Il est sans gouvernail, sans rames et sans voiles :
Des nuages épais lui cachent les étoiles :
Il est ensevely d’une telle vigueur
Qu’il ne voit plus le ciel que des yeux de la peur…

Il pense aux anciennes joies, aux anciennes maîtresses :

Sa vieille passion de misère suivie
L’attaque bien souvent de quelque souvenir.
Mais le temps écoulé ne peut plus revenir.

Lorsque l’on compare cette poésie mâle et franche avec celle de la plupart des contemporains envahie par le maniérisme et l’afféterie, on se prend à regretter vivement que du Chastelet ne nous ait pas laissé plus d’ouvrages. On n’était pas habitué à ce ton en 1627. Malherbe était sur le point de mourir : Maynard et Racan, héritiers directs de ses leçons, continuaient les saines traditions de son style, et Godeau se préparait à les suivre ; mais les fadeurs de l’Astrée et surtout les antithèses des Italiens commençaient à amollir les vers : les concetti s’introduisaient peu à peu dans la place et tous les lecteurs allaient bientôt se pâmer d’aise devant la métamorphose des yeux de Philis en astres. Du Chastelet n’en a que plus de mérite à nos yeux d’avoir su résister à cet entraînement. Écoutez encore cette description de la cour :

Quelqu’autre, ensorcelé des charmes de la cour,
Quitte de ses parens l’agréable séjour,
Abandonne les lieux où le sort l’a fait naître ;
Sa liberté le fâche, il veut avoir un maître
Et sortir du repos pour entrer dans le bruit,
Où le vice peut tout et le mérite nuit ;
Où la vertu d’un siècle en un autre est un crime,
Où chacun à son tour comme vague s’opprime,
Où mentir est un art, où l’infidélité
A de plus beaux autels que n’a la vérité,
Où le plus offensé fait la meilleure mine
Pour cacher sa colère à celui qui domine ;
Où l’homme impatient de savoir l’avenir
Dans un état présent ne se peut contenir.
Il dévore le temps et commençant l’année
En désire déjà la dernière journée.
Combien de soins cuisans dévorent ses esprits

Combien de repentirs du dessein qu’il a pris
Le veulent ramener à la douceur champêtre,
Bien loin des vanités dont il se faut repaistre ?
Mais le regret du temps et du bien dépensé
Le rengage toujours au travail commencé…

Il faudrait tout citer : mais je ne retiens que ce dernier vers qui aurait dû passer en proverbe :

Nous voyons peu de gens à l’épreuve du Louvre.

On peut regretter çà et là dans cette longue pièce quelques expressions autorisées par Régnier ; mais le ton général en est excellent et témoigne chez du Chastelet d’un véritable tempérament de poète.

L’année 1631, celle de la Journée des dupes, est celle aussi de la plus grande production littéraire de du Chastelet. L’année précédente, ayant accompagné Richelieu dans l’expédition d’Italie, en qualité d’intendant des armées de Savoie et de Piémont, il avait composé, à l’imitation d’Antoine Arnaud, la première et seconde Savoisienne. En 1631, il débute par ces piquants Entretiens des Champs-Élysées où nous entendons le bon Henri IV affirmer qu’il était résolu de faire Richelieu cardinal, et qu’il l’eût mis dans les affaires, s’il eût vécu plus longtemps : puis nous rencontrons cette fameuse prose rimée contre les Marillac et la comtesse de Fargis, qui suscita tant de polémiques acerbes contre son auteur :

Venite ad solemnia,
Faciamus præconia,
Dum nobis rident omnia.


Una turris tenet illum
Qui opprimebat pusillum
Quando tenebat sigillum.

Quantum flevit Carmelita,
Tantum risit Jesuita,
Cum captus est hypocrita.
............

Cela est lestement enlevé : il y a malheureusement plusieurs strophes que Tallemant des Réaux seul pourrait citer textuellement, et, bien que le latin brave l’honnêteté, nous ne pouvons les reproduire ici : mieux vaut les laisser dans le Journal de Richelieu et parler d’une petite satire de cinquante vers français intitulée : Advis aux absens de la cour, dont le titre fait assez connaître contre quels personnages ses coups sont dirigés. Les principaux partisans de la reine-mère et de Monsieur avaient suivi les exilés à Bruxelles et ce sont eux que Paul du Chastelet crible de ses traits satiriques. En voici les derniers vers :

Gaston, c’est trop courir, revenez au logis
Tout droit à Montargis,
Et ne prétendez plus que l’empire et l’Espaigne
Puissent rien en Champaigne ;
Vous avez fait assez le chevalier errant
Avecques Puylorant.
Ô mère des trois rois, puissante Épiphanie,
Pourquoi t’es-tu bannie ?…

Cette comparaison de Marie de Médicis à l’Épiphanie, parce qu’elle était mère et belle-mère de trois rois, eut le don d’exercer la verve des libellistes de Bruxelles, et Mathieu de Morgues, dans la Vérité défendue, se permet d’appeler l’Advis « une puante satyre. » Mal lui en prit, car le Discours au roy touchant les libelles faits contre le gouvernement de son État ; — et L’innocence justifiée en l’administration des affaires ; — deux brochures de du Chastelet, vinrent, en même temps que l’Avertissement aux provinces et le Coup d’État de Louis XIII, de Jean de Sirmond[2], asséner de formidables coups aux rebelles.

Ici doit se placer un épisode inédit qui témoigne une fois de plus de l’indépendance d’esprit de Paul du Chastelet, malgré ses apologies répétées de la politique de Richelieu. C’est la satire contre Laffemas. J’emploie l’expression d’épisode inédit, parce que personne à ma connaissance ne l’a signalé et parce que tout le monde s’est trompé au sujet de cette pièce. Il y a ici un point d’histoire à éclaircir, et la matière mérite considération. Je le résumerai d’après un mémoire intitulé : une Fausse Mazarinade, que j’ai publié dans le Moniteur du Bibliophile, en 1881.

M. Moreau, dans son Choix de Mazarinades, a inséré, sous la date du 15 novembre 1650, une pièce intitulée : Apologie pour Malefas, vigoureuse satire, supérieure à presque toutes celles du recueil, et qui commence ainsi :

Escoute, Malefas ; il faut que je te die
Que tu nous dois la farce après la comédie,

Et que cette jument, du coup qu’elle a tiré
Vengera le cheval du baron de Ciré,
Ce grand cheval de Mars qui donna tant de joye
Aux peuples assemblés dans les places de Troye,
Et qui fut au timon d’un sale tombereau
Pour conduire au marché la fiente et le bourreau.

J’expliquerai bientôt ce que signifient ces bizarres allusions : mais je dois tout d’abord observer que M. Moreau écrit en note du titre : « Malefas est Isaac de Laffemas, l’auteur du Frondeur désintéressé qui précède. L’Apologíe a été composée par Paul Hay, marquis du Chastelet. »

On connaît assez le maître des requêtes Isaac de Laffemas, le célèbre bourreau si dévoué au premier cardinal : je juge donc inutile de le présenter aux lecteurs : il partage avec Laubardemont une renommée peu enviable de cruauté systématique dont nous aurons tout à l’heure des preuves authentiques. Je ne conteste pas qu’il ait écrit, en 1650, une pièce intitulée : le Frondeur désintéressé : mais je tiens pour certain que Paul du Chastelet, simple seigneur et non pas marquis du Chastelet, dont la terre fut seulement érigée en marquisat pour son fils, en 1682, n’a pu, étant mort en 1636, composer une Apologie pour répondre à ce Frondeur. Par conséquent, le dilemne suivant se pose : ou bien la date assignée à l’Apologie est fausse, ou bien il ne faut pas l’attribuer à Paul du Chastelet.

Je remarquerai d’abord que cette pièce ne peut être classée à priori parmi les nombreuses répliques au Frondeur désintéressé, car elle n’y fait pas la moindre allusion. C’est une satire très violente contre Laffemas, et voilà tout. Il y est question du chevalier de Jars :

Il chante les frayeurs du chevalier de Jars
Et jure à ses amis par le vin qu’il leur donne
Que jamais son advis n’eslargira personne…


et M. Moreau observe en note que le chevalier, depuis commandeur de Jars, avait été compris dans le procès de Cinq-Mars. Mais cela ne prouve rien en faveur de sa thèse puisque le procès de Cinq-Mars est de cinq ans postérieur à la mort de du Chastelet. Il eût fallu remonter plus haut. Laffemas, en effet, s’était occupé du chevalier de Jars longtemps auparavant, à l’époque de la disgrâce du garde des sceaux Châteauneuf, qui fut remplacé par Pierre Séguier, en 1633[3]. On conserve à la Bibliothèque nationale, dans le portefeuille Séguier, une correspondance très active à ce sujet ; et dans une lettre du 5 novembre 1633, Laffemas se plaint amèrement au garde des sceaux de la récusation que le chevalier a exercée contre lui. Voilà bien Laffemas en présence du chevalier de Jars, du vivant de Paul du Chastelet : c’est pour nous un point de repère.

Or, Pellisson, après avoir cité, dans son histoire de la première académie, l’Advis aux absens de la cour, dit qu’il a encore vu de Paul du Chastelet « une autre satyre cruelle et sanglante contre un magistrat, sous le nom de ***. » Aucun biographe n’a deviné le nom caché par Pellisson sous ces trois étoiles, mais Tallemant des Réaux, dans l’historiette de Laffemas, nous l’a dévoilé. « Chastellet, dit-il, est celuy qui luy a fait le plus de mal : car on a une satyre de luy contre Laffemas qui est sanglante, et il y a pourtant des endroits plaisans. Il insiste sur sa comédie et ses cruautés… On se mocque, dans cette satyre, de Chastellet, de ce qu’il condamna le cheval de bataille du baron de Sire à tirer le tombereau dans lequel estoit l’effigie de son maître. »

Cette fois, nous y sommes, car on a compris maintenant les allusions des premiers vers de l’Apologie. Voici du reste un document fort curieux qui va confirmer notre thèse. C’est la chronique de cette condamnation étrange du cheval du baron de Cirey, écrite par Laffemas lui-même dans une lettre à Séguier, datée du 20 mars 1633 :

« Pour vous rendre compte de ce qui se faist en cette province (de Champagne), disait-il, je vous diray que j’ay instruit force contumaces contre plusieurs gentilshommes assez qualifiez, qui sont bien convaincus d’avoir levé des troupes, rançonné les subjects du Roy et porté les armes contre Sa Majesté à la bataille de Castelnaudary (où le duc de Montmorency fut arresté prisonnier), et je croy que dans mercredy prochain ils seront jugez. Nous pourrons avoir des supplices différens, encore que tout aille à la mort, pour ce qu’il faut augmenter la payne de ceux qui ont faist les levées, presté leurs maisons et soustrait les autres de l’obéissance qu’ils doibvent au Roy… J’ay desjà fait plus de 60 décrets de prise de corps qui estonnent toute la province, et vous puis dire que j’ai fait de si puissantes informations que la preuve ne nous manquera point. J’ay fait prendre neuf chevaux sur le baron de Cirey, entre lesquels est son cheval de bataille, sur lequel il estoit monté à la prise de M. de Montmorency. Nous avions proposé de le mettre à la charrette de l’exécuteur qui conduira les tableaux ; toutefois, pour ne rien faire d’extraordinaire, nous y penserons auparavant… »

Habemus confitentem reum, comme on dit au palais. On ne s’étonnera pas, après cela, de rencontrer les vers suivants dans la prétendue Apologie, ainsi intitulée par antiphrase :

Dehors il est hautain, sévère et glorieux.
La morgue en est tragique et le front furieux.
Il remplit l’univers d’eschaffaux et de roues.
Son plaisir est d’abattre, et de voir dans les boues
Tout ce que le destin a fait de plus puissant.
Ce sacre est bien appris à voler l’innocent ;
Le sang est son ragoust, et les yeux pleins de larmes,
Pour d’autres que pour luy n’ont jamais eu de charmes.

De tout ceci résulte qu’il faut absolument rayer cette pièce du recueil des Mazarinades. Elle n’a pu être composée que de 1633 à 1636, alors que personne ne pouvait soupçonner la rapide élévation de Mazarin qui n’était encore qu’un très petit personnage. Bien plus, elle fut écrite par un ministériel inféodé à la politique de Richelieu, mais que révoltaient les excès sanguinaires de Laffemas. C’est une satire personnelle et non pas une œuvre d’opposition politique. Elle nous confirme de plus l’indépendance réelle du caractère de du Chastelet au milieu de la cour subjuguée du Palais Cardinal.

À l’époque où il composa cette satire, notre poète venait de passer par des épreuves toutes particulières.

S’étant fait récuser comme juge, vers la fin du procès du maréchal de Marillac, à cause de sa prose rimée, il avait encouru la disgrâce plus apparente que réelle du cardinal, et s’était vu emprisonner lui-même puis exiler à Villepreux, ce qui l’avait forcé de donner sa démission de maître des requêtes. Sur toute cette affaire qui a été fort diversement appréciée, j’ai récemment découvert une page inédite fort curieuse dans les mémoires de Conrart : elle ne serait pas à sa place ici, mais elle prouve encore que le caractère de du Chastelet ne s’est jamais démenti. Pendant sa prison, il composa des Observations sur la vie et la mort de Marillac qui lui valurent une éclatante rentrée en grâce avec un poste de conseiller d’État. Comme un courtisan, rapporte Conrart, « le blâmait de sa légèreté et trouvoit à dire qu’il écrivoit pour la défense d’une cause qu’il avoit tesmoigné condamner n’en voulant pas être juge, il luy respondit qu’il y avoit bien de la différence à condamner un homme que l’on ne croit pas coupable, ou de justifier sa condamnation quand elle a esté faite par un nombre compétent de juges que l’on doit présumer gens de probité[4]… »

Au moment où il endossait la robe de conseiller d’État, du Chastelet prenait rang parmi les amis de Conrart pour fonder l’Académie française où il prononça, le 5 janvier 1635, un discours sur l’Éloquence qui n’a malheureusement pas été conservé. Il ne devait pas en prononcer beaucoup d’autres, car peu près avoir publié la remarquable préface de son Recueil de diverses pièces pour servir à l’histoire, il mourut le 6 avril 1636, à l’armée de Champagne où il avait accompagné le cardinal en qualité d’intendant de justice. Il n’était âgé que de quarante-trois ans.

Nous n’avons pas retrouvé d’autre pièce de poésie française de Paul du Chastelet que les trois satires précédemment citées : mais la prose rimée n’est pas sa seule composition latine. Dans l’Epicinia musarum Eminentissimo Cardinali Duci Richelio publié par Boisrobert, en 1634, en l’honneur du premier ministre, on remarque deux morceaux de ton très différent dus à la plume de notre conseiller d’État. Le premier est une Épigramme en douze distiques De puero Privatensi e sinu interfectæ matris erepto et summo studio Cardinalis de Richelieu ad educandum tradito. Le second est une soteria en vingt-huit vers pro Richelio Eminentissimo. Ces deux chants ne feront pas oublier ceux d’Horace ni d’Ovide ; on en jugera pas leurs chutes :

O quam fausta tuis prospexit rebus eumdem

Quæ tibi, quae Gallis sors dedit una patrem !

Albo dignus erit dies lapillo
Et nullis sacer ex obiit annis
Qui tantum eripuit neci ministrum
Et regno columen decusque reddit.

Il faut conclure.

Dans l’une des séances du mois de février 1638, l’Académie française plaça les œuvres de Paul du Chastelet dans les catalogues des livres les plus célèbres de notre langue, dont les passages seraient pris comme citation dans le fameux dictionnaire. Ainsi, remarque M. Villemain, les empereurs romains devenaient des dieux après leur trépas.

Il s’agissait surtout de ses œuvres de prose : mais ses vers n’étaient pas indignes de cet honneur. En poésie, du Chastelet a de la verve, mais aussi de l’ampleur : s’il manie volontiers le langage trivial, il sait, quand il le faut, parler avec noblesse, et lorsque l’on compare ses vers avec la plupart de ceux de ses contemporains, on regrette qu’il ne se soit pas livré plus complètement au démon poétique. Il eût comblé la trop longue lacune qui sépare Régnier de Furetière.

Du Chastelet laissa deux fils, dont l’un, nommé Paul comme lui, s’est fait un certain renom littéraire. Les Observations sur la vie du maréchal d’Ornano, le mémoire sur l’Éducation du Dauphin et surtout le traité de la Politique de France, lui assurent une place distinguée dans la république des lettres. Il faut aussi lui restituer l’Histoire de du Guesclin, que la plupart des biographes persistent, bien à tort, à attribuer à son père. Cuique suum. Mais ce qui doit intéresser le plus une anthologie des poètes bretons, c’est que Paul II publia vers 1666 un volume de vers. Une lettre inédite de Chapelain adressée à l’abbé de Francheville parle avec grand éloge de ce volume que nous n’avons encore jamais pu rencontrer et dont nous ne connaissons même pas le titre exact. Nous convions à sa recherche tous les curieux d’histoire littéraire bretonne.

René Kerviler.
  1. La Bretagne à l’Académie française au XVIIe siècle, par René Kerviler. — Paris, Palmé 1879. in-8o. (2e édition.) — Couronné par l’Académie française.
  2. Voir la Presse politique sous Richelieu et l’académicien Jean de Sirmond, par René Kerviler. Paris, Baur, 1877. In-8o.
  3. Cf. Le chancelier Pierre Séguier et le groupe académique de ses familiers et commensaux, par René Kerviler. Paris, Didier, 1874 in-8o, et 1876, in-18.
  4. Bibl. de l’Arsenal. Mémoires inédits de Conrart. Voir sur ces mémoires : Valentin Conrart, Étude sur sa vie et ses écrits, par René Kerviler et Ed. de Barthélemy. Paris, Didier, 1881. In-8o (couronné par l’Académie française).