Anthologie des poètes français contemporains/Blémont Emile

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Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 320-327).







Bibliographie. — Poésie : Contes et Féerie (Julien Lemer, Paris, 1866) ; — Poèmes d’Italie (Alph. Lemerre, Paris, 1870) ; — Pour les inondés (plaquette, Alph. Lemerre, Paris, 1875) ; — Les Cloches, d’après Edgard Poë (plaquette, librairie de l’Eau-Forte, Paris, 1876) ; — Portraits sans modèles (Alph. Lemerre, Paris, 1879) ; — Les Filles Sainte-Marie (plaquette, A. Quantin, Paris, 1879) ; — La Prise de la Bastille, plaquette (Alph. Lemerre, Paris, 1879) ; — Le Porte-Drapeau, plaquette (Strauss, Paris, 1880) ; — Pour la statue de Victor Hugo, plaquette (Launette, Paris, 1882) ; — Le Jardin enchanté (Charavay frères, Paris, 1882) ; — Enoch Arden, d’après Tennyson (bibliothèque du Progrès Artistique, Paris, 1885) ; — La Liberté éclairant le monde, plaquette (Strauss, Paris, 1886) ; — Poèmes de Chine (Alph. Lemerre, Paris, 1887) ; — Wattignies (Librairie illustrée, Paris, 1888) ; — La Légende de l’hirondelle, Le Roitelet, La Damnation de Polichinelle trois plaquettes (Tresse et Stock, Paris, 1890) ; — Les Pommiers en fleur (bibliothèque Charpentier, Paris, 1891) ; — Marthe aux Pieds nus, plaquette (bibliothèque de la Revue du Nord, Paris, 1893) ; — Noël flamand, plaquette (même bibliothèque, Paris, 1894) ; — Alphabet symbolique, plaquette (Alph. Lemerre, Paris, 1895) ; — Le Seigneur de Saint-Clair, plaquette (bibliothèque de la Revue du Nord, Paris, 1895) ; — La Belle Aventure (Alph. Lemerre, Paris, 1895) ; — A Watteau, plaquette (Alph. Lemerre, Paris, 1897) ; — En mémoire d’un enfant (Alph. Lemerre, Paris, 1899) ; — Les Gueux d’Afrique (Alph. Lemerre, Paris, 1900) ; — La Bégum Jeanne (Alph. Lemerre, Paris, 1905) ; — L’Ame étoilée (Alph. Lemerre, Paris, 1906).

Mr Emile Blémont a contribué, en outre, au Tombeau de Théophile Gautier (Alph. Lemerre, Paris, 1873), au Parnasse Contemporain de 1876 (même librairie), aux Sonnets-Hommages à Joachim du Bellay (édition du Monument, Paris, 1894), au Tombeau de Charles Baudelaire (bibliothèque de la Plume, Paris, 1896) ; au Livre d’or de Remy Belleau (Gouhier-Delouche, Nogent-le-Rotrou, 1900) et à la Couronne poétique de Victor Hugo (bibliothèque Charpentier, Paris, 1902).

Les pièces en vers que M. Blémont a écrites pour le théâtres sont : Molière à Auteuil et Le Barbier de Pézenas, avec Léon Valade (Odéon et Comédie française), La Soubrette de Molière (Odéon), Pierre Corneille (Odéon), Visite à Corneille (Comédie française), qu’il a réunis avec Molière en bonne fortune, Au bât d’argent et Rosange, dans son Théâtre moliéresque et cornélien (Alph. Lemerre, Paris, 1898) ; — Roger de Naples (Alph. Lemerre, Paris, 1888) ; — La Raison du moins fort, avec Léon Valade (théâtre de la Bodinière, 1889, Alph. Lemerre, Paris) ; — Le Chant du siècle (Comédie française, 1889, Alph. Lemerre, Paris) ; — Le Jeu de Robin et Marion (Opéra-Comique et théâtre d’Arras, 1896, bibliothèque de la Revue du Nord, Paris) ; — La Couronne de roses (même bibliothèque, 1896) ; — Mariage pour rire (bibliothèque artistique de la Plume, Paris, 1898) ; — Les Litanies de Victor Hugo (Odéon, 1902, Alph. Lemerre, Paris) ; — Gavarni (Opéra-Comique, 1903, Alph. Lemerre, Paris) ; — Chez Phidias (Ecole Française d’Athènes, 1905, Lemerre, Paris).

Signalons enfin dans l’œuvre en prose de M. Emile Blémont : Le Livre d’or de Victor Hugo (Launette, Paris, 1882) ; — L’Esthétique de la tradition (Maisonneuve, Paris, 1890) ; et la Préface de l ’ Amour des bois et des champs, d’Antony Valabrègue (Alph, Lemerre, Paris, 1902).

En outre : Beautés étrangères [poésie : Ênoch Arden, Poèmes de Shelley, Chansons en Espagne, Petits Poèmes lyriques de Henri Heine ; prose : Etudes sur Walt Whitman, Longfellow, Swinburne, etc.] (Lemerre, Paris, 1904).

M. Emile Blémont a collaboré à la Renaissance Artistique et Littéraire, au Rappel, à la Tradition, à la Revue du Nord, à la Vie Littéraire, au Beaumarchais, à l’Événement, à la Nouvelle Revue, à la Revue de France, à la Revue Hebdemadaire, à l’Artiste, à Paris-Moderne, au Monde Poétique, au Penseur, etc.

M. Emile Blémont (Léon-Émile Petitdidier, dit) est né à Paris le 17 juillet 1839. Élève du Lycée Louis-le-Grand, il obtint en rhétorique une nomination au Concours général. Sa famille le destinait à une carrière industrielle ; il y renonça après plusieurs années d’études commerciales en Angleterre et en Espagne, fut clerc d’avoué, devint licencié en droit et plaida, non sans succès, au barreau do Paris, jusqu’à ce qu’une laryngite le contraignît à quitter la profession d’avocat. Alors il se voua complètement à la littérature, sous le nom de famille de la mère de son père.

Dès 1866, il avait publié ses premiers poèmes ; et chez Théodore de Banville, qui lui témoignait une parfaite bienveillance, il avait rencontré la plupart des jeunes Parnassiens, notamment Léon Valade, Paul Verlaine, Albert Mérat.

Resté à Paris avec la famille de sa fiancée en septembre 1870, il fit son service militaire, pendant l’hiver du siège, comme sergent-Courrier au 116e bataillon de la garde nationale. Au printemps de 1872, il fonda, avec quelques amis, la Renaissance Artistique et Littéraire, à laquelle Victor Hugo adressa une lettre de bienvenue si cordiale et si belle. Puis il entra au Rappel, où il tint près de dix ans la critique des livres. Il dirigea plus tard la Tradition et la Revue du Nord.

« M. Blémont, a dit un critique, est un poète essentiellement poète, grisé de cadence, de mesure et de difficulté vaincue, et néanmoins facile ouvrier des assemblages de rimes ; un barde mariant sentiment, forme, pensée ; un rêveur et un berceur ; en même temps, un philosophe attendri et élevé… » Ce très pur artiste combine fort heureusement « Hier » et « Aujourd’hui ». On admire dans sa poésie cette fraîcheur d’inspiration qui s’allie si bien à la grâce, et une simplicité pleine de noblesse.

M. Emile Blémont est président de l’Association des Poètes.
UN JEUNE POÈTE PENSE À SA BIEN-AIMÉE QUI HABITE DE L’AUTRE COTÉ DU FLEUVE


La lune, dans la nuit sereine,
Monte au cœur du clair firmament ;
Elle y monte, et, comme une reine,
S’y repose amoureusement.]

Sur l’eau voluptueuse et lasse
Qu’un rêve bleu semble bercer,
Une brise légère passe,
Repasse, ainsi qu’un long baiser.

Quel accord pur, quelle harmonie,
Quel espoir calme en l’avenir,
Respire l’union bénie
Des choses faites pour s’unir !

Mais rien n’est complet dans nos fêtes,
Le bonheur est rare ici-bas ;
Et la plupart des choses faites
Pour s’unir — ne s’unissent pas.


(Poèmes de Chine.)


UNE MADONE


A Bologne, au Musée, au-dessus d’une porte,
On peut voir un tableau non signé, de n’importe
Quel vieux maître naïf dont les noms sont perdus.
C’est simplement la Vierge avec l’enfant Jésus.
Mais regardez ! Marie a de grands yeux célestes,
Lourds d’amour. Dans la paix du site aux plans agrestes,
Sa tète fine et calme est d’un contour si pur,
Que des anges ailés descendent de l’azur
Pour la voir et la mettre à l’ombre de leurs ailes.
Elle doit ressembler aux jeunes demoiselles
Qui venaient, vers l’an mille ou douze cent, s’asseoir
A leur balcon doré, sous l’étoile du soir,
Tandis qu’on leur chantait sur des airs de cantiques

Des vers très amoureux, très doux et très mystiques.
Jésus est blond, frisé, souriant et tout nu.
Il vous regarde ainsi qu’un visage connu,
Et de sa lèvre rose il cherche la mamelle.
Une grâce un peu roide, où la bonté se mêle,
Sort de ce vieux tableau tout jauni par les ans ;
Il s’harmonise en tons fanés, mais caressants,
Comme une fleur qu’on trouve en un vieil Evangile
Toute pâle et charmante en sa pâleur fragile.
A contempler ses traits chastement familiers,
On sent ce qu’éprouvaient jadis les chevaliers
Et les pages rêveurs. Sous le regard limpide
De cette Vierge au front maternel et candide,
Le cœur, divinement ému, n’est pas troublé ;
Mais il aspire au grand amour immaculé,
Idéal, éternel, dont conservent la marque
Les extatiques chants de Dante et de Pétrarque.


(Poèmes d’Italie.)


BRUMAIRE


Qui n’a senti le charme de l’automne ?
Qui n’a goûté l’attrait de sa pâleur ?
Le ciel est gris, la mer au loin moutonne :
Le cœur s’emplit d’une douce douleur.

Le jour entier semble un long crépuscule ;
Dans l’air en pleurs, les arbres nus sont noirs ;
Sous le toit bas un feu de fagots brûle ;
Un brouillard flotte autour des vieux manoirs.

Les champs ont pris des teintes sépulcrales.
Près de l’étable où sont les animaux,
Une fumée aux légères spirales
Lentement monte entre les fins rameaux.

C’est un sommeil où l’on promène un rêve ;
C’est un parfum d’ancienne fenaison ;
Dans la tristesse un souvenir se lève,
Comme dans l’ombre un astre à l’horizon.

On n’entend plus le cri de l’hirondelle !
La sève a peur sous le froid qui la mord ;
Tout fait silence ; et, seul, l’amour fidèle
Chante et fleurit au souffle de la mort.


(Les Pommiers en fleur.)


EN MÉMOIRE D’UN ENFANT

I

Ce qui nous émeut tant devant le mal d’un autre,
Est-ce un pressentiment qu’il deviendra le nôtre ;
Et l’homme, en son prochain, ne plaint-il donc si fort
Que lui-même, ou l’image exacte de son sort ?
Pitié naïve ! — Un jour, dans mon passé prospère
(Comme ce jour est loin !), je vis pleurer un père
Qui, le front nu, suivait, pâle, un petit cercueil ;
Et jusqu’au fond de moi pénétra tout le deuil
Qu’il traînait sous le ciel ; et toute sa souffrance
Vint assaillir mon coeur, alors fou d’espérance.
« Quoi ? mort, son seul enfant !… » Hélas ! je devais bien,
Dès cet instant, prévoir qu’on me prendrait le mien.

II

Le soir, après avoir veillé tard sur un livre,
Quand ma lampe charbonne en son cercle de cuivre,
Quand, au loin, dans Paris silencieux et noir,
L’écho des derniers pas meurt le long du trottoir,
Je sors de mon travail fiévreux, comme d’un rêve.
Je dégage mon front de mes mains ; je me lève
Péniblement, les yeux obscurcis, l’esprit las.
A travers ma langueur minuit sonne son glas ;
Il faut se reposer, c’est l’heure coutumière.
Je pousse le fauteuil, j’emporte la lumière
Et je gagne la chambre à coucher. Mais devant
La pièce où sommeillait naguère notre enfant ;
Je crains (c’est un retour de l’ancienne habitude),
Je crains, dans ce silence et cette solitude,
De faire trop de bruit. Je marche à petits pas,

Sur la pointe du pied, tout doucement, tout bas ;
Et je m’arrête court, en suspens, immobile,
Dès que le parquet craque en la maison tranquille.
— Comme si nous l’avions toujours là ! Comme si
Notre fragile espoir, notre tendre souci,
Notre bel enfant rose, en attendant l’aurore,
Dans les blancheurs de son berceau dormait encore I


(L’Ame étoilee.)


PANTHÉISME


Spectres errants d’une heure brève,
Somnambules d’un noir sommeil,
Puisque notre vie est un rêve,
Notre mort est-elle un réveil ?

Quand l’aveugle Foi nous égare,
Quand vient de l’abîme un frisson,
En vain, plus froide et plus avare,
S’offre à nous l’aveugle Raison.

Mais a la fin, âme ou substance,
L’être chétif et tourmenté
Qui n’est rien dans cette existence,
Sera tout dans l’éternité.


(L’Âme étoilée.)