Anthologie des poètes français contemporains/Daudet Alphonse

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Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 157-164).

ALPHONSE DAUDET



Bibliographie. — Les Amoureuses, poésies (1858) ; — La Double Conversion, poème (1859-1861) ; — Le Chaperon rouge, série d’articles parus dans le Figaro (1861) ; — La Dernière Idole, pièce en un acte, en collaboration avec E. Lépine, représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon (1862) ; — Les Absents, opéra-comique, musique de M. de Poise (1863) ; — L’Œillet blanc, drame en deux actes, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1864) ; — Lettres sur Paris (1865) ; — Lettres de mon moulin (1866) ; — Le Frère aîné, drame en un acte, représenté sur la scène du théâtre du Vaudeville en 1868 (1868) ; — Le Petit Chose, roman (1868) ; — Le Sacrifice, comédie en trois actes, représentée sur la scène du théâtre du Vaudeville (1869) ; — Lettres de mon moulin (1869) ; — Lettres à un absent (1871 ; — Lise Tavernier, pièce en cinq actes, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1872) ; — L’Arlésienne, pièce en trois actes, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1872) ; — Les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon (1872) ; — Les Petits Robinsons des caves, ou le Siège de Paris raconté par une fillette de huit ans (1872) ; — Contes du lundi et Contes et Récits, avec illustrations (1873) ; — Robert Helmont, études et paysages (1874) ; — Les Femmes d’artiste (1874) ; — Fromont jeune et Risler aîné, roman (1876) ; — Fromont jeune et Risler aîné, pièce, avec Adolphe Belot (1876) ; — Jack, roman (1876) ; — Le Char, opéra-comique en un acte et en vers libres, en collaboration avec Paul Arène, musique de Pessard (1877) ; — Le Nabab, roman (1878) ; — Les Rois en exil, roman (1879) ; — Contes choisis (1879) ; — La fantaisie et l’Histoire (1879) ; — Numa Roumestan, roman (1880) ; — Le Nabab, drame en cinq actes, en collaboration avec Pierre Elzéar (1880) ; — Théâtre, recueil (1880) ; — Jack, drame en cinq actes, en collaboration avec M. Lafontaine (1883) ; — Les Cigognes, légendes rhénanes, contes pour les petits enfants, avec dessins de G. Jundt (1883) ; — L’Evangéliste, roman (1883) ; — Les Rois en exil, pièce en cinq actes, en collaboration avec Delair (1883) ; — Sapho, roman (1884) ; — Sapho, pièce en cinq actes, en collaboration avec Adolphe Belot (1885) ; — Tartarin sur les Alpes (1885) ; — La Belle Nivernaise (1886) ; — Numa Roumestan, pièce en cinq actes (1887) ; — Tartarin sur les Alpes, pièce en cinq actes, en collaboration avec MM. de Gourcy et Bocage (1888) ; — L’Immortel, roman (1888) ; — Trente Ans de Paris, à travers ma vie et mes livres (1888) ; — Souvenirs d’un homme de lettres (1888) ; — La Lutte pour la vie, pièce (1889) ; — L’Obstacle, roman (1890) ; — Port-Tarascon (1890) ; — L’Obstacle, pièce (1891) ; — L’Arrivée ; Mon Tambourinaire (1891) ; — Rose et Ninette (1892) ; — La Menteuse, pièce, en collaboration avec Léon Hennique (1893) ; — Entre les frises et la rampe (1894) ; — L’Elixir du R. P. Gaucher (1894) ; — La Petite Paroisse (1895) ; — Trois Souvenirs : au fort de Montrouge ; à la Salpêtrière ; une Leçon (1896) ; — L’Enlèvement d’une étoile (1896) ; — La Fédor (1897) ; — Soutien de famille (1898).

Les romans d’Alphonse Daudet ont paru chez Hetzel, Charpentier et Dentu. Ses œuvres poétiques ont été publiées par Alphonse Lemerre.

Alphonse Daudet a collaboré au Figaro, à l’Événement (soas le pseudonyme de Gaston-Marie), au Petit Moniteur (sous le pseudonyme de Jehan de l’Isle), etc.

Issu d’une famille royaliste et catholique, Alphonse Daudet, né à Nîmes le 13 mai 1840, mort à Paris en 1898, fit ses études au lycée de Lyon, et dut, aussitôt après leur achèvement, se faire maître d’études au collège d’Alais (1856), à cause du manque de fortune de sa famille. « En 1857, il alla rejoindre son frère à Paris et fit bientôt paraître, chez Tardinu, un recueil de vers, Les Amoureuses. Le Figaro et le Moniteur parlèrent avec éloges du jeune poète, et le premier de ces journaux inséra une étude de lui sous ce titre : Les Gueux de province. L’émotion de cet article plut beaucoup au public. Daudet publia ensuite avec succès, dans le Figaro, une série d’articles, réunis plus tard en un volume, Le Chaperon rouge (1861). En même temps paraissait un second volume de vers, La Double Conversion (1859). En 1862, il fit jouer à l’Odéon une petite pièce composée en collaboration avec E. Lépine, La Dernière Idole, qui eut un succès d’attendrissement, et, l’année suivante, l’Opéra-Comique représenta Les Absents, dont la partition était de M. de Poise. En 1864, le Théâtre-Français joua L’Œillet blanc, petit drame en deux actes, que la censure avait obligé de changer de nom à plusieurs reprises : il s’était appelé d’abord Le Lys, puis Le Dahlia blanc. Quelques mois après (1865), Daudet publia dans le Petit Moniteur, sous la signature de Jehan de l’Isle, ses chroniques intitulées Lettres sur Paris. » Enfin, en 1866, parurent dans l’Événement les Lettres de mon moulin, signées Gaston-Marie, accueillies par le public avec la plus grande faveur, et qui valurent presque aussitôt à leur auteur une réputation universelle. Depuis lors, le célèbre romancier marcha de succès en succès. Sa vie et ses œuvres sont trop connues du public pour qu’il puisse paraître utile de les remémorer ici. Rappelons seulement qu’Alphonse Daudet fut pendant cinq ans secrétaire du duc de Morny, et que cette place lui permit de recueillir de nombreuses observations dont il fît plus tard profiter le public dans ses livres, en particulier dans le Nabab. Tombé malade, il fut obligé de quitter Paris et se guérit en Algérie et en Corse, « et ces deux noms, dit avec infiniment de raison Gustave Geffroy, achèvent d’évoquer la nette lumière, la fine et brûlante atmosphère qui éclairent et chauffent l’œuvre de l’écrivain méridional fixé, depuis, à Paris. » On peut définir Alphonse Daudet « le poète du roman ». « Il eut, du poète, le don d’imagination, et du romancier, l’esprit d’observation. L’une et l’autre faculté, qu’on dirait contradictoires, s’unirent en lui merveilleusement. À l’origine, le poète prédomina un peu, puisque, dans l’aube rose de l’adolescence, il est naturel que l’imagination surtout fermente, flambe, fleurisse, feu et fleurs ! Si cet état d’âme eût persisté, si Alphonse Daudet, au surplus, fût demeuré dans son Midi natal, il est possible que nous eussions compté un poète de plus, écrivant aussi en provençal, émule de Mistral et de Roumanille… » ({{sc[georges Rodenbach}}, L’Elite.)

Il semble permis de conclure avec Gustave Geffroy que « si Daudet n’est pas reste attaché à la forme du vers, du moins il n’a pas eu à désavouer sa tentative ; il a mis la subtile empreinte de ses premières années sur ces chansons inconsciemment chantées. Pour se servir d’une comparaison presque empruntée à ce délicat recueil de la dix-huitième année, on peut bien dire que Les Amoureuses restent comme un verger de printemps avec des arbres blancs et roses odorants comme des bouquets, tout doré de soleil, tout plein de voix, traversé par des robes claires, obscurci par instants sous un nuage d’orage. Depuis, l’écrivain en marche a quitté ce beau jardin, il est parti par les routes, il a traversé des forêts, il s’est frayé un âpre chemin à travers des espaces vierges. »



L’OISEAU BLEU


J’ai dans mon cœur un oiseau bleu,.
Une charmante créature,
Si mignonne que sa ceinture
N’a pas l’épaisseur d’un cheveu

Il lui faut du sang pour pâture.
Bien longtemps, je me fis un jeu
De lui donner sa nourriture :
Les petits oiseaux mangent peu.

Mais sans en rien laisser paraître,
Dans mon cœur il a fait, le traître,
Un trou large comme la main.

Et son bec fin comme une lame,
En continuant son chemin
M’est entré jusqu’au fond de l’âme !…


(Les amoureuses.)

LES PRUNES


Si vous voulez savoir comment
Nous nous aimâmes pour des prunes,
Je vous le dirai doucement,
Si vous voulez savoir comment.
L’amour vient toujours en dormant,
Chez les bruns comme chez les brunes ;
En quelques mots, voici comment
Nous nous aimâmes pour des prunes.

Mon oncle avait un grand verger,
Et moi, j’avais une cousine.
Nous nous aimions sans y songer.
Mon oncle avait un grand verger.
Les oiseaux venaient y manger,
Le printemps faisait leur cuisine :
Mon oncle avait un grand verger,
Et moi, j’avais une cousine.

Un matin nous nous promenions
Dans le verger, avec Mariette :
Tout gentils, tout frais, tout mignons,
Un matin nous nous promenions.
Les cigales et les grillons
Nous fredonnaient une ariette :
Un matin nous nous promenions
Dans le verger, avec Mariette.

De tous côtés, d’ici, de là,
Les oiseaux chantaient dans les branches,
En si bémol, en ut, en la,
De tous côtés, d’ici, de là.
Les prés en habit de gala
Étaient pleins de fleurettes blanches.
De tous côtés, d’ici, de là,
Les oiseaux chantaient dans les branches.

Fraîche sous son petit bonnet,
Belle à ravir, et point coquette,
Ma cousine se démenait,
Fraîche sous son petit bonnet.

Elle sautait, allait, venait,
Comme un volant sur la raquette :
Fraîche sous son petit bonnet.
Belle à ravir et point coquette.

Arrivée au fond du verger,
Ma cousine lorgne les prunes ;
Et la gourmande en veut manger,
Arrivée au fond du verger.
L’arbre est bas ; sans se déranger
Elle en fait tomber quelques-unes :
Arrivée au fond du verger,
Ma cousine lorgne les prunes.

Elle en prend une, elle la mord,
Et me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle.
Mon pauvre cœur battait si fort…
Elle en prend une, elle la mord.
Ses petites dents sur le bord
Avaient fait des points de dentelle…
Elle en prend une, elle la mord.
Et, me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle.
Ce fut tout, mais ce fut assez ;
Ce seul fruit disait bien des choses…
(Si j’avais su ce que je sais !…)
Ce fut tout, mais ce fut assez.
Je mordis, comme vous pensez,
Sur la trace des lèvres roses :
Ce fut tout, mais ce fut assez ;
Ce seul fruit disait bien des choses.


À MES LECTRICES


Oui, mesdames, voilà comment
Nous nous aimâmes pour des prunes :
N’allez pas l’entendre autrement ;
Oui, mesdames, voilà comment.
Si parmi vous, pourtant, d’aucunes
Le comprenaient différemment,
Ma foi, tant pis ! voilà comment
Nous nous aimâmes pour des prunes.


(Les Amoureuses.)

AUX PETITS ENFANTS


Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,
Petites bouches, petits nez,
Petites lèvres demi-closes,
Membres tremblants,
Si frais, si blancs,
Si roses ;

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,
Pour le bonheur que vous donnez
A vous voir dormir dans vos langes,
Espoir des nids,
Soyez bénis,
Chers anges !

Pour vos grands yeux effarouchés
Que sous vos draps blancs vous cachez.
Pour vos sourires, vos pleurs mêmes,
Tout ce qu’en vous,
Êtres si doux,
On aime ;

Pour tout ce que vous gazouillez,
Soyez bénis, baisés, choyés,
Gais rossignols, blanches fauvettes I
Que d’amoureux
Et que d’heureux
Vous faites !

Lorsque sur vos chauds oreillers,
En souriant vous sommeillez,
Près de vous, tout bas, ô merveille !
Une voix dit :
« Dors, beau petit ;
Je veille. »

C’est la voix de l’ange gardien ;
Dormez, dormez, ne craignez rien ;
Rêvez, sous ses ailes de neige :
Le beau jaloux
Vous berce et vous
Protège.

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,
Au paradis, d’où vous venez,
Un léger fil d’or vous rattache.
A ce fil d’or
Tient l’âme encor
Sans tache.

Vous êtes à toute maison
Ce que la fleur est au gazon,
Ce qu’au ciel est l’étoile blanche,
Ce qu’un peu d’eau
Est au roseau
Qui penche.

Mais vous avez de plus encor
Ce que n’a pas l’étoile d’or,
Ce qui manque aux fleurs les plus belles :
Malheur à nous !
Vous avez tous
Des ailes.


(Les Amoureuses.)