Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Alfred des Essarts

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 372-374).



ALFRED DES ESSARTS


1813




Alfred des Essarts, né à Passy en 1813, se jeta vers 1832 dans le mouvement de l’école romantique, à laquelle il est demeuré fidèle, tout en ayant modifié et perfectionné sa facture depuis l’évolution marquée par la Légende des Siècles. Écrivain fécond et soigneux en même temps, romancier, auteur dramatique, poète, M. des Essarts a touché à tous les genres avec une remarquable souplesse de talent. Son œuvre lyrique comprend, outre plusieurs poèmes couronnés par l’Académie française, les Chants de la Jeunesse, le Livre des Pleurs, recueil d’élégies intimes (1847), la Comédie du Monde (1851), roman en vers, coupé d’intermèdes lyriques, la Guerre des Frères, poème (1867) ; enfin le résumé de sa vie poétique, De l’Aube à la Nuit (1882). Ce dernier ouvrage est le meilleur de tous et celui qui suggère l’expression complète d’un talent qui marie à la certitude de la forme la noblesse de la pensée et la sincérité du sentiment.

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SONNETS

I

à un inconnu




Tu croyais échapper à ton obscurité,
Mais, ayant succombé sous l’affront du silence,
Tu contiens mal ton cœur justement irrité ;
Ta fierté veut se taire, et ta plainte s’élance.

L’ombre est bonne pourtant. L’austère Vérité
Du tumulte mondain réprouve l’insolence.
Reste seul. C’est montrer plus de virilité
Que de laisser ta main s’armer de violence.

Oui, seul et recueilli, croyant de bonne foi
Qu’une amitié suffit, généreuse et fidèle,
Sans qu’il faille traîner partout autour de soi

D’ineptes louangeurs la bruyante séquelle,
Tu seras bien plus grand s’il n’existe pour toi
Qu’un regard qui te cherche, une voix qui t’appelle.


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II

se survivre




Lhomme a peur du tombeau, mais bien plus de l’oubli.
Il craint, du poids des ans quand la mort le délivre,
Qu’avec le corps son nom ne soit enseveli.
Jusque dans le néant il voudrait se survivre.


Les uns dans la science et l’étude ont pâli ;
D’autres ont entassé le livre sur le livre.
Leur éclat triomphal est bientôt affaibli…
Ils s’en vont… et déjà je vois l’ombre les suivre.

Le feu prend le tableau ; le marbre gît brisé ;
Le vieux palais des rois sur sa base s’écroule ;
Par l’injure du temps tout chef-d’œuvre est usé.

Les jours sont un éclair, les siècles une houle,
Et le plus glorieux et le plus méprisé
Tombent ensemble au gouffre où disparaît la foule.



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