Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Amélie Mesureur

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 67-71).




MADAME GUSTAVE MESUREUR


(amélie dewailly)


1855




Madame Gustave Mesureur a publié chez Lemerre, en 1885, sous son nom d’Amélie Dewailly, et avec une lettre-préface de M. François Coppée, le plus joli volume peut-être qu’aient jamais inspiré les enfants. Ce sont les siens avant tout, et puis ceux de ses amis, qu’elle a observés et dont elle nous rend ici, avec une finesse attendrie, tous les gestes câlins. Nous les voyons dans leurs jeux et dans leur sommeil, dans leurs joies et dans leurs chagrins, dans leurs naïvetés et dans leurs charmantes malices. Voici leurs grands yeux ouverts, pleins de questions devant l’inconnu, devant le train qui passe et dont ils voient la force sans la comprendre. Tout les émerveille et tout leur est déjà un objet de recherche. Ils essaient d’aller des faits aux causes, philosophes avant même d’avoir revêtu le pantalon viril ou habillé pour la première fois leur poupée.

Le poète des enfants les suit jusqu’à la fin de l’adolescence. Mais alors ce ne sont plus les siens, c’est à ses propres souvenirs encore peu éloignés que fait appel madame Mesureur. — Quelle forme précieuse et familière bien appropriée au sujet dans Nos Enfants ! Quel art de relever et de fixer les petites choses, les plus minces détails de la vie enfantine ! Chacun de ces tableautins est un chef-d’œuvre d’observation, de naturel, d’esprit parisien. Nulle part de l’effort ; partout de la grâce. Sur tout cela est répandue cette légère teinte de mélancolie sans laquelle une œuvre poétique ne nous apparaîtrait pas dans sa vraie couleur.

E . Ledrain.





BONNE HUMEUR




Nous marchions sous la fine pluie,
Le ciel était couleur de suie,
               Le vent soufflait.
Le bois semblait toucher la nue,
Et sa carcasse maigre et nue
               De froid tremblait.

Affrontant gaîment la tempête,
Hâtant le pas, baissant la tête,
               Bébé chantait.
Et parfois, sur notre passage,
Un oiseau dans son clair langage
               Lui répondait.

L’air piquant animait sa joue ;
Tout en clapotant dans la boue,
               Il me sourit.
En dépit de l’hiver morose,
Bébé garde au cœur une rose
               Qui refleurit.





LA LOCOMOTIVE




L’enfant observe, calme et fier,
Appuyé sur la palissade,
Le pont et sa sombre façade,
La gare et ses longs rails de fer.


Avec une mine attentive
Il regarde venir un train,
Et sous sa cuirasse d’airain
S’avancer la locomotive.

Le dur sifflet déchire l’air,
La machine au loin s’époumonne...
Et le petit enfant frissonne
Aux sourds tressaillements du fer.

Il sent en ce monstre difforme
Quelque travail mystérieux,
Et suit d’un regard anxieux
Les hoquets de sa bouche énorme.

Malgré les aspects menaçants
De ces noirs engins sur la voie,
Il revient toujours plein de joie
Les voir manœuvrer en tout sens.

Cette œuvre imposante de l’homme
Charme plus son attention,
Que les brins d’herbes du sillon
Ou la structure d’une pomme.

Car un contraste le séduit
Et surprend son intelligence,
C’est cette force brute immense
Soumise au bras qui la conduit.

Elle lui prouve non sans cause
Ce que peut le génie humain.
Et tout bas le jeune gamin
Se dit que l’homme est quelque chose.




PRODIGALITÉ




Le petit mendiant, pieds nus, suit son chemin ;
De village en village il va tendre la main,
Traînant à ses côtés son bâton et sa miche,
Car le rare passant d’aumône est assez chiche.
Devenu forcément philosophe et rêveur,
Il marche d’un pas lent dans l’air plein de saveur,
Écoutant les oiseaux qui se cherchent querelle.
Comme il est fatigué, près d’une passerelle
Il s’assied. Devant lui, des canards fendent l’eau,
Tout en donnant la chasse au moindre vermisseau.
Alors, cassant son pain, lentement, miette à miette,
Au milieu de leurs rangs empressés il le jette.
Et ce déshérité, prodigue et généreux,
Se donne le plaisir de faire des heureux.





EXCURSION




Étant enfant, ma joie intime la plus chère
Était de sortir seule, à pied, avec mon père.
Sous son large manteau, je lui donnais la main,
Je sautais et chantais tout le long du chemin.
Sans but déterminé, nous dévorions des lieues,
Et les fauves vallons et les collines bleues
Devant nous semblaient fuir comme pour nous lasser,
Et l’horizon sans fin toujours se déplacer.
Il préférait les bords de l’eau, longeait la berge
Ou le quai ; nous faisions halte dans quelque auberge,

Devant les lourds bateaux et les engins de fer,
Avides de soleil, altérés de grand air.
Puis nous gagnions les bois pour chercher des noisettes,
Des fleurs, ou pour tailler à mon gré des baguettes.
Il me causait de tout ; sans en avoir soupçon,
Je prenais ces jours-là ma meilleure leçon.
Je l’aimais tant ! Sa voix était persuasive,
Et ses baisers au front me rendaient attentive.
Nous parlions des absents. Que je le trouvais gai,
Et brave, et jeune, avec son doux air distingué !
Un peu las, on rentrait le soir au clair de lune,
Suivant la route blanche ou la campagne brune,
Admirant une étoile épinglée au ciel bleu.
Il m’écoutait parler ; si j’avais quelque aveu,
Je pouvais le lui faire, obtenir des promesses.
Oh ! les bons souvenirs ! Oh! les saintes ivresses !
Je les crois d’hier encor, tant ils me sont présents.
Et penser aujourd’hui qu’il a des cheveux blancs !