Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Gustave Rivet

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 285-292).




GUSTAVE RIVET


1848




Gustave Rivet, né le 25 février 1848 à Domène, près Grenoble, est un politique et un poète, un rêveur et un homme d’action. Il est actuellement député de l’Isère.

Dès le collège, Gustave Rivet publiait ses rimes dans les journaux du quartier latin, et on a de lui diverses petites plaquettes fantaisistes, œuvres de la dix-huitième année. En 1873 il donna Les Voix perdues, livre dans lequel apparaissent les deux faces de son caractère. La première partie contient des vers politiques « d’un mâle patriotisme et d’une virile inspiration, » a dit M. A. Barbou ; la deuxième partie, d’un sentiment plus doux, répond à ce qu’il y a de tendre et de passionné dans l’âme du poète.

Au théâtre, Gustave Rivet s’est fait connaître par Le Cimetière Saint-Joseph, poème dramatique en deux tableaux, représenté à l’Alhambra et à Cluny, et par Le Châtiment, drame en prose en quatre actes, dans lequel il défendait déjà la thèse sociale qu’il a posée plus tard devant la Chambre des députés : la recherche de la paternité. Enfin, il a écrit pour l’Odéon Marie Touchet, drame en vers, qui a été fort applaudi.

Les œuvres de Gustave Rvet ont été éditées par A. Lemerre, Dreyfous et Mme veuve Tresse.

a. l.



NOCTURNE EN PROVENCE

Minuit sonne aux clochers de la ville. Tout dort.
Sommeil calme et profond. La nuit est chaude encor
Du soleil empourpré de juillet; mais la brise
Touche nos fronts avec une caresse exquise,
Et n’a gardé des feux étincelants du jour
Que la molle tiédeur dont s’enivre l’amour.
Midi n’allume plus sa brutale fournaise,
Et dans le ciel, où tout embrasement s’apaise,
La lune monte pâle et lente, balançant
Son disque d’or massif au rayon caressant ;
Dans la limpidité du ciel bleu, plein d’étoiles,
L’œil s’égare et pénètre aux profondeurs sans voiles,
Plus loin, plus loin encor, dans l’abîme infini.
— Par la fraîcheur du soir le monde est rajeuni ;
La nuit est belle, avec sa blancheur virginale.
Viens ! Sortons tous les deux de la ville banale !
Viens, et nous enivrant de l’air mystique et pur,
Nous nous croirons portés sur des ailes d’azur
Vers la splendeur rêvée en des sphères lointaines ;
Viens, et nous sentirons en ces heures sereines,
Sous la pâle lumière et la tiède chaleur,
Nos deux âmes d’amour s’ouvrir comme une fleur !
Viens, nous allons marcher au hasard, par les plaines
Où la lune a couché des ombres incertaines;
Viens, nous écouterons les nocturnes grillons
Pousser leurs cris aigus dans les creux des sillons,
Et le pipal plaintif, et doux, et monotone,
Gémir son chant, ainsi qu’une guzla bretonne.

 
Et tous les deux, muets, calmes, rêveurs, heureux,
Egarés par les champs, loin des chemins poudreux,
Les pieds dans les gazons, l’œil dans le ciel d’opale,
Nous attendrons l’éveil de l’aube matinale.

(Voix perdues)

RÊVERIE D’AUTOMNE

Je veux aller m’asseoir parmi les herbes folles
Que jaunit le soleil des Midis, et qui font
Ces longs chuchotements dont les vagues paroles
Ravissent nos esprits à l’extase sans fond.

Je veux aller, pensif, le cœur plein d’harmonies,
Sous les ormeaux épais aux murmures berceurs,
Et je veux respirer les douceurs infinies
De l’air des champs, chargé de ses vertes senteurs.

Je veux fouler aux pieds le frais tapis de mousse,
Et, dans la solitude où le vulgaire a peur,
J’écouterai vibrer la note triste et douce
Du chant intérieur que soupire mon cœur ;

Et, regardant au ciel les chaudes lueurs roses
Qu’étale à l’Occident le soleil descendu,
Bien loin du tourbillon des hommes et des choses,
Dans un monde plus beau je me croirai perdu.

C’est alors que mon âme, où la grande nature
Met la sérénité de son ciel calme et doux,
Vers l’idéal sacré s’élèvera plus pure,
Et se recueillera pour mieux songer à vous.


(Voix perdues)

TABLEAU D’INTÉRIEUR

L’ivoire palpitant de sa gorge féconde
Apparaît sous des plis chastement découverts,
Et l’enfant, soutenu dans ses bras entr’ouverts,
Boit doucement la vie à sa source profonde.

En contemplant cet être où son espoir se fonde,
Elle rêve des jours de bonheur sans revers ;
Et son cœur attendri, pur de desseins pervers,
Ignore pour jamais les orages du monde.

Embrassant d’un regard tout ce qu’il a de cher,
Et la sœur de son âme, et l’enfant de sa chair,
Debout et radieux, près d’eux songe le père ;

Et sur ce groupe calme et saint, du haut de l’air
Descend dans un rayon de divine lumière
La bénédiction du Seigneur tutélaire.

(Voix perdues)

LE PORTRAIT

Debout, près d’un rideau tombant en replis lourds,
La main droite levée au menton, et pensive,
Dans le doux nonchaloir de sa pose expressive
Elle rêve, accoudée au fauteuil de velours.

 
Pour qui donc sa pensée, et pour qui donc son rêve,
Et son sourire calme et pur, si gracieux ?
Pour qui donc le regard si clair de ses grands yeux
Sereins comme l’azur d’un beau jour qui se lève ?

Hélas ! ce n’est pas moi que voit son œil profond !
Quand l’artiste la fit si suave et si belle,
Son cœur ne savait pas que je vivais pour elle...
— Mais moi, j’ai bien souvent mis ma lèvre à son front.

(Mots d’Amour)

L’AVEUGLE

Aveugle ! et tout entier au chagrin qui le ronge,
Les yeux fermés, ayant les ombres pour prison,
Le menton appuyé sur sa poitrine, il songe
A ce qu’est un soleil, un profond horizon.

Il n’a jamais vu rien du ciel et de la terre,
Ni forêt, ni rayon, ni mer... rien que la nuit...
Sa raison s’engourdit dans l’ombre et le mystère,
Il songe, et sent un vide immense autour de lui...

Eh bien ! il a pourtant ce bonheur que j’envie
De ne connaître pas la lumière bénie;
Car moi qui de tes yeux vis briller les éclairs,

Moi qui vis sur mon front rayonner ton sourire,
Dans ma nuit où ton astre aimé ne vient plus luire,
Je souffre plus que lui, sachant quel bien je perds !


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SOLITUDE

 


Tandis qu’un vent glacé souffle et gémit dans l’air,
Et que l’automne au ciel met sa teinte grisâtre,
Dans ma pauvre chambrette où flambe un grand feu clair
Je regarde la flamme étinceler dans l’âtre.

Et je songe combien il serait doux de voir
Dans ma mansarde aller, venir, celle que j’aime,
Près de moi, doucement à mon foyer s’asseoir,
Et mon réduit s’orner de sa grâce suprême.

Isolé comme un mort couché dans son linceul,
Combien le jour est long ! Combien mon œuvre aride !
Ma chambre est un désert immense où je suis seul ;
— Et je reste rêveur devant son siège vide.


(Mots d’Amour)
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MEMENTO

 


Vous souvient-il de la campagne
Où nous allâmes une fois,
Aux flancs de la haute montagne,
Chercher l’ombre fraîche des bois ?

Sur nos fronts la Nature douce
Avait tendu son plus beau ciel ;
Sous nos pieds, un tapis de mousse…
— Et je croyais voir Ariel

 
Sous votre chapeau mousquetaire
Et votre jupon bleu rayé,
Voltiger, effleurant la terre
À peine du bout de son pié.

Dans les vertes châtaigneraies
Vous alliez, bien loin des sentiers,
Fourrageant l’herbe, et sur les haies
Cueillant les fleurs des églantiers.

Alerte comme une fauvette
Et joyeuse comme un pinson,
Vous mettiez une chansonnette
Aux ronces de chaque buisson.

Vous étiez toute décoiffée,
Vos yeux étaient pleins de douceur ;
Le bois disait : « C’est une fée ! »
Les fleurs disaient : « C’est notre sœur. »

Oh ! comme vous étiez jolie !…
— Je rêvais — hélas ! c’est humain, —
Un bien doux rêve, une folie ! —
Vous suivre, la main dans la main.

Mais, si rieuse et si légère,
Troubler votre cœur ! — Je n’osais.
Vous ne vous préoccupiez guère
Des beaux songes que je faisais…

— Or, comme vous couriez dans l’herbe,
M’attachant, fidèle, à vos pas,
Je vis tomber de votre gerbe
Un pâle « Ne m’oubliez pas. »


Je saisis la fleur précieuse
Comme son trophée un vainqueur,
Et cette relique pieuse
Je la garde, là, sur mon cœur.

Et le Temps a fauché l’année
Avec mon rêve décevant…
La petite fleur est fanée,
Mais mon souvenir est vivant.





PYGMALlON

 



A vous, dont la beauté tente le statuaire,
À vous, front jeune et pur et regards radieux,
À vous, Hébé suprême en qui mon âme espère
Pour verser l’ambroisie à mes jours soucieux,

À vous, que, dans mon cœur, intime sanctuaire,
J’ai mise sur l’autel inviolé des dieux,
J’offre comme un encens et comme une prière
D’un immortel amour les hommages pieux.

À vous, que je préfère aux bonheurs qu’on envie,
À vous mes chants, à vous mon âme, à vous ma vie !
Et mes baisers, à vous encore, ô mon doux bien,

Pour qu’au feu tout puissant de ma lèvre enchantée,
Comme Pygmalion animait Galathée,
Je sente votre cœur battre comme le mien !