Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Paul Harel
PAUL HAREL
aul Harel, né à Échauffour (Orne) le 18 mai 1854, est
poète et aubergiste. Dans la préface de son premier recueil,
Sous les Pommiers, paru en 1879, il a pris soin d’expliquer
pourquoi il a embrasse la profession d’hôtelier. « Mon père, dit-il, était
avocat, mon grand-père aubergiste ; j’ ai repris le métier de celui-ci par
amour du pittoresque. J’ai cru devoir donner ce mauvais exemple à mes
contemporains, en un temps où les fils de la terre désertent leurs foyers,
où la vie des ancêtres est inconnue , sinon dédaignée. » M. Harel, dont le
grand-père, d’ailleurs, était poète, est un érudit qui a étudié dans la nature
et dans les livres. Amant passionné de la couleur, il a le sentiment de
l’art au plus haut degré, et il sait composer de charmants tableaux avec les
scènes rustiques qui se déroulent sous ses yeux.
Après son premier livre de vers, M. Harel a donné successivement Gousses d’Ail et Fleurs de Serpolet (1881), Rimes de Broche et d’Épée (1883), puis son œuvre la plus importante : Aux Champs (1886) , qui a été couronnée par l’Académie française, et dont un critique a dit : « Ce n’est pas un couchant : c’est un été vermeil qui nous promet encore bien des fleurs et bien des rayons. »
Les poésies de M. Paul Harel ont été éditées par Chérié, P. Ollendorff, Sauton et A. Lemerre.
UN BOUQUET
ENVOI
ignonne, au point du jour, promeneur matinal,
J’ai butiné ces fleurs : elles venaient d’éclore.
Je les cueillis pour vous dans les pleurs de l’Aurore,
Et nul n’a respiré leur parfum virginal.
Le bouquet n’est pas beau, mais il n’est point banal ;
J’ai pillé sans choisir dans le jardin de Flore ;
J’allais… Mes mains cueillaient trop lentement encore
Au gré de mon désir… Ai-je fait bien, ou mal ?
Cette cerbe de fleurs sera bientôt fanée,
Qui sait ? peut-être avant la fin de la journée.
Bouquet et souvenirs, Mignonne, est-ce tout un ?
Dans votre sein charmant gardez mes fleurs fidèles,
Et puisse votre cœur s’imprégner du parfum
De l’amour chaste et vrai que mon cœur mit en elles !
VATEL
l est bon qu’on admire, il est juste qu’on vante
Ce jour d’explosion littéraire et savante
Où le Cid de Corneille émerveilla Paris
Et le siècle où, charmant les cœurs et les esprits,
Opposant Muse à Muse et merveille à merveille,
Racine partageait la gloire de Corneille ;
Où, poète railleur et bouffon souverain,
Molière mariait Térence à Tabarin ;
Où le bon La Fontaine oubliait les prophètes
Et mettait tant de sel sur la langue des bêtes ;
Où Despréaux, raillant la sottise et l’orgueil,
Cultivait la satire en son jardin d’Auteuil
Et disait aux maçons : « Reprenez vos truelles ; »
Où, mêlant son or pur au clinquant des ruelles,
Sévigné prodiguait son esprit et son cœur
De la douce Grignan à Bussy le moqueur.
Il est bon qu’on admire, il est juste qu’on loue
Le siècle où, Bossuet complétant Bourdaloue,
Ils semaient le froment dans ce même sillon
Qui devint le jardin des fleurs de Massillon ;
Le temps où Fénelon, nourrisson de Virgile,
En évêque-pasteur pratiquant l’Évangile,
Devenait deux fois saint et deux fois immortel ;
Où, le trône écoutant les leçons de l’autel,
L’évêque Fléchier surpassait Isocrate,
Où Catinat valait Miltiade et Socrate.
Alors, faisant cortège à l’astre sans pareil,
Des astres gravitaient autour du Roi-Soleil ;
Saint-Denis pouvait bien garder son oriflamme
Dans l’étui : Luxembourg tapissait Notre-Dame.
L’honneur fleurissait rouge en s’épanouissant
Dans le champ que Turenne arrosait de son sang ;
La gloire étincelait ; à travers l’épopée,
Le grand Condé jetait l’éclair de son épée,
Demain traître, aujourd’hui fidèle, toujours grand.
Traitant d’ailleurs le roi comme on traite un parent,
Il tenait au logis sa table préparée
Et ne s’inquiétait d’où viendrait la marée,
Sachant qu’il suffisait de prévenir Vatel,
Un grand cœur qui battait dans un maître d’hôtel !
Le roi l’avait fait noble, il portait une épée
Au côté, fer de luxe et lame inoccupée,
Hochet chevaleresque, ornement puéril !
Qui sait ?… Quand il sentit son honneur en péril,
Il se la mit au ventre en partait gentilhomme…
Parmi les raffinés que l’histoire renomme,
Les affolés d’honneur d’hier et d’aujourd’hui,
Qui jamais s’est montré plus chatouilleux que lui ?
Ce n’est point au chrétien à faire son éloge,
Vatel n’a point sa place en un martyrologe,
Mais l’homme de métier se sent fier, ô Vatel !
De trouver un Caton dans un maître d’hôtel.
Pour moi, quand je revêts mon tablier vulgaire,
Il me semble que j’entre en un harnais de guerre,
Je pense à cet aïeul qui fut si grand seigneur
Et qui, comme Turenne, est mort au champ d’honneur !
SOUS LA CÔTE
’est comme un nid fait dans les herbes.
Du seuil de la vieille maison,
À travers des arbres superbes,
On voit miroiter l’horizon.
Du logis que le chaume couvre
Sous la côte, à l’abri du vent,
Tous les matins la porte s’ouvre
En face du soleil levant.
Les premiers rayons qui paraissent
Disent bonjour à la maison
Et de leurs lèvres d’or caressent
Les marguerites du gazon.
Petit herbage, étroit domaine,
Enclos béni du Dieu vivant,
La créature s’y promène
Sous la côte, à l’abri du vent.
Une source coule et murmure
Près de la haie, à fleur de sol ;
Un gros pommier, de sa ramure,
Fait à la source un parasol.
Cherchant sa pâture avant l’aube
Et troublant le petit flot clair,
Un canard y lustre sa robe,
Le ventre à l’eau, le dos à l’air.
L’oiseau du pays perche et couve
À l’aise dans le gros pommier ;
Ici l’hirondelle retrouve
Son nid d’antan sous le larmier,
Des moucherons de toute espèce
Et des insectes familiers,
Qui dans l’air chaud et l’herbe épaisse
Viennent s’ébattre par milliers.
Dans Le sein de cette chaumière
Et sous ces feuillages épais,
La Vie entre avec la Lumière,
Avec l’Ombre descend la Paix.
Ô destin que tout bas j’envie !
Doucement, au fond de ce nid,
Reposent, au soir de la vie,
Deux cœurs qu’un tendre amour unit.
L’homme et la femme ont le même âge,
Pas chancelants et blancs cheveux,
Mais ce serait vraiment dommage
Qu’ils ne fussent pas aussi vieux.
Ils portent le poids et le nombre
Des jours passés avec fierté :
Pas un de ces jours n’a mis d’ombre
Au ciel de leur fidélité.
Qu’importe la date lointaine ?
Les serments ne vieillissent pas.
Les vieux ont fait leur cinquantaine
Et, fidèles jusqu’au trépas,
Devant les petits de leur race,
En défiant le démenti,
Ont regardé l’autel en face
Comme gens qui n’ont point menti.
Puis, revenus dans leur demeure,
Sous la côte, à l’abri du vent,
Ils attendent la dernière heure
En face du soleil levant ;
Et vers la Fortune qui passe
Ils regardent les gens courir,
En sachant ce qu’il faut d’espace
Pour aimer, prier et mourir.
LE VIEUX POMMIER
e pommier décrépit se penche vers le sol,
Sous le fardeau des fruits et le poids des années ;
Il prodigue son ombre aux frêles graminées
Et couvre le fossé d’un large parasol.
Les oiseaux picoreurs, arrêtés dans leur vol,
L’emplissent de tapage aux claires matinées :
Concert et gazouillis de notes mutinées,
Où chaque moineau-franc se croit un rossignol.
Mousses d’argent, pierrots, pommes d’or et mésanges,
Vie, abondance, espoir, amour, joyeux mélanges !
Dans ton écrasement, pommier, ne te plains pas.
L’honneur est assez grand, si la charge est trop forte.
J’entends le vent d’aval qui murmure tout bas :
« Courage, vieux lutteur, la vigne est bientôt morte ! »