Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Robert de Bonnières

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 379-384).



ROBERT DE BONNIÈRES


1850




Robert de Bonnières peut déjà montrer une œuvre considérable. Après avoir étudié Saint-Evremond et Mme Chénier, et s’être trempé dans les lettres pures, il est allé là où le portait son tempérament. Ce qui marque surtout cette vigoureuse nature, c’est un attrait singulier pour la lutte.

Dans ses Mémoires d’aujourd’hui, où il prend à partie la plupart de ses contemporains littéraires et politiques, M. de Bonnières marche droit sur eux, nous voulons dire sur ses ennemis, — car il est avant tout passionné, — et, les endroits sensibles reconnus d’un coup d’ail sûr, il y plonge fortement son arme de combat. On ne sort de ses mains qu’avec de larges et profondes entailles.

Le fer empoisonné apparaît même parfois dans la main de M. de Bonnières romancier. Les Monach ne nous présentent-ils pas une collection de personnages réels à qui l’auteur a voulu démontrer toute la vivacité de ses sentiments ? Deux autres romans plus récents,Le Baiser de Maïna, rapporté de Bénarès, et Jeanne Avril, qui nous semble le chef-d’œuvre de M. de Bonnières, témoignent d’un peu d’apaisement dans cet esprit hautain et tourmenté. Il y a de l’indulgence délicate et même des larmes dans Jeanne Avril. Mais il est à craindre que cet adoucissement ne soit que passager chez M. de Bonnières, et que bientôt il ne revienne à ses véritables goûts. Lui-même ne considère-t-il pas un peu comme des distractions et des haltes légères les histoires d’amour où il s’est un instant complu et les jolis Contes dorés d’où nous tirons les vers suivants d’une forme si précise et dune fermeté d’acier ?

Les œuvres en prose de M. de Bonnières ont presque toutes paru chez Paul Ollendorff ; ses Contes Dorés se publient dans la maison A. Lemerre.

E. Ledrain.


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LE ROSIER ENCHANTÉ


Comment mie gentille fée était retenue dans un rosier, et comment elle offrit son amour à Jeannot.


Jeannot, un soir, cheminait dans le bois
Et regagnait la maison d’un pied leste,
Lorsqu’une Voix, qui lui parut céleste,
L’arrêta net : — « Jeannot ! » disait la Voix.

Qui fut surpris ? Dame ! ce fut notre homme.
Il ne s’était aucunement douté
Qu’il cheminait dans le Bois Enchanté.
S’il n’avait peur, ma foi ! c’était tout comme.

Il demeura tout sot et tout transi.
— « Jeannot, mon bon Jeannot ! » redisait-elle.
Il n’était pas, certe, une voix mortelle
Charmante assez pour supplier ainsi.

Or, en ce lieu poussait plus haut qu’un orme
Un Rosier d’or aux roses de rubis.
Le paysan eût eu mille brebis
D’un seul fleuron de ce rosier énorme.


La Voix partait de ces rameaux touffus,
Car il y vit une gentille Fée,
De diamants et de perles coiffée.
Jeannot tira son bonnet, tout confus.

— « Jeannot, je veux te conter ma misère, »
Dit-elle; « écoute et remets ton bonnet.
« Je te demande une chose qui n’est
« Que trop plaisante à tout amant sincère. »

Le jeune gars écarquillait les yeux,
Comme en extase, et restait tout oreille.
Il n’avait vu jamais beauté pareille,
Ni de fichu d’argent aussi soyeux.

La Fée était belle en beauté parfaite,
Rare, en effet, et mignonne à ravir,
Tant, qu’à jamais, pour l’aimer et servir,
Je n’en voudrais pour moi qu’une ainsi faite !

— « Mon bon Jeannot, aime-moi seulement, »
Reprit la Fée ; « il n’est point de tendresses
« Et de baisers et de bonnes caresses,
« Que je ne fasse à mon fidèle amant.

« Aime-moi bien, puisque je suis jolie,
« Aime-moi bien aussi pour ma bonté.
« Je suis liée à cet arbre enchanté :
« Romps, en m’aimant, le charme qui me lie. »

— « Je ne dis non, » fit l’autre, « et je m’en vais
« Tout droit conter notre cas à ma mère.
« Conseil ne nuit : l’on cueille pomme amère
« Sans que pourtant le pommier soit mauvais. »


Il fut conter la chose toute telle,
Riant, pleurant, amoureux et dispos.
Du coup, sa Mère en laissa choir deux pots
Qu’elle tenait. — « Eh ! mon gars, » lui dit-elle,

« Fais à ton gré. Ce nous est grand honneur.
« Va, mon garçon, et pousse l’aventure.
« Nous aurons gens, malgré notre roture,
« Pour nous donner bientôt du Monseigneur ! »

Elle rêvait déjà vaisselle plate,
Non plus salé, mais belle venaison,
Vin en tonneaux et le linge à foison,
Cotte de soie et robe d’écarlate.

Jeannot courut. L’aurore jusqu’aux cieux
Avait poussé sa lueur roselée ;
La Fée était bel et bien envolée
Et tout le Bois rose et silencieux.


MORALITÉ

Ne tardez pas, quand l’heure heureuse sonne,
Gentils amants. Aimez-vous sans façon.
Le bel Amour n’a besoin de leçon,
Le bel Amour ne consulte personne.


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LES TROIS PETITES PRINCESSES

Comment trois bonnes fées firent trois beaux dons à trois petites princesses.



Trois filles d’un Roi sarrazin,
Le même jour, furent priées
Et le même jour mariées
Aux trois fils d’un Prince voisin.

Elles eurent mêmes grossesses :
Au bout de neuf mois mêmement,
Il leur naquit, pareillement,
Trois petites princesses.

Le Roi maure, dit le Conteur,
Fit proclamer leur délivrance
En Inde, en Perse et jusqu’en France,
Et dépêcha son Enchanteur

Auprès de trois gentilles Fées
Qui, dans trois chars tendus d’orfrois,
Se présentèrent toutes trois,
D’aurore et de lune attifées.

Après qu’il fut fait maint salut
Et que luth et lyre eurent cesse,
Chaque Fée à chaque Princesse
Fit le plus beau don qu’il lui plut.

À sa Princesse la Première
Donna pour don qu’elle serait
Faite comme elle, trait pour trait,
Et plus Belle que la lumière.


— « Bien que soit richesse en honneur
« Chez les mortels, dit la Seconde,
« Mon don n’est perle de Golconde,
« Mais belle perle de Bonheur. »

Vint la troisième. — « Il est encore,
« Dit-elle, un don plus précieux ! »
En couvrant l’enfant jusqu’aux yeux
D’un suaire tissé d’aurore.

En faisant ce don, elle était
Si bonne, si douce et si tendre,
Qu’on ne se lassa pas d’attendre
Le grand bien qu’elle promettait.

Grand bien n’est pas ce qu’on présente
Souvent pour tel ; car là, tout beau !
On mit la petite au tombeau,
Qui mourut à l’aube naissante.

MORALITÉ

Mieux que bonheur et beaux appas
Vaut la mort pour ce qu’est la vie :
Ne la plaignez : Qui ne l’envie
Ne vécut et ne m’entend pas.





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