Anthologie féminine/Marquise de Lambert

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 105-112).

MARQUISE DE LAMBERT
(Anne-Thérèse de Marquenat de Courcelles)

(1667-1733)


Les détails biographiques sur la marquise de Lambert ne font pas défaut, et nous n’avons qu’à puiser à bonne source : dans une réédition de ses œuvres par Jouaust.

M. de Lescure, dans une étude critique des plus intéressantes, fait ressortir toute la sagesse et toute la vigueur mordante qui éclatent dans ses ouvrages, dont les principales divisions : Conseils à mon fils, Conseils à ma fille, De l’Amitié, Réflexions sur la femme, forment un traité de morale et d’éducation des plus complets.

« La marquise de Lambert eut la première un salon dans ce XVIIIe siècle où les femmes régnèrent par les salons. La première elle fut une puissance sociale, littéraire, académique, dirigea la mode, régenta le goût, imposa le ton, fit de l’éventail le sceptre de la conversation, donna de ces dîners dont le billet d’invitation était un brevet de réputation et d’influence. Hâtons-nous de le dire : si Mme de Lambert fut une puissance, elle mérita de l’être. Son talent est resté pur comme sa vie, son influence fut noble comme son cœur. Elle exerça sur les mœurs de son temps un empire salutaire.

« Son histoire, qui est celle d’une femme sage et heureuse par la sagesse, est courte, comme celle des gens heureux et sages, et peut tenir en quelques lignes. Le drame de sa vie est tout intérieur.

« enfant, elle se dérobait souvent aux plaisirs de son âge pour aller lire en son particulier, et elle s’accoutuma dès lors de son propre mouvement à faire de petits extraits de ce qui la frappait le plus.

« Sa mère s’était remariée à Bachaumont, qui fit l’éducation de la petite fille.

« Fontenelle, qui fut un de ses meilleurs amis, dit que « sa maison était la seule où l’on se trouvât pour se parler raisonnablement les uns aux autres, et même avec esprit selon l’occasion » ....

« Le duc de Nevers lui avait cédé à titre viager une aile du palais Mazarin. Elle occupait l’extrémité de la galerie qui s’avance, vers la rue Colbert, sur la rue de Richelieu, au n°12. Elle recevait le mardi et le mercredi de chaque semaine tous ceux qui avaient de l’esprit, sans regarder à la fortune et à la noblesse, quoiqu’elle réunissait les grands seigneurs aux beaux esprits.

Elle mourut à quatre-vingt-six ans.


AVIS D’UNE MÈRE À SON FILS

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Voici, mon fils, quelques préceptes qui regardent les mœurs, lisez-les sans peine. Ce ne sont pas des leçons sèches, qui sentent l’autorité d’une mère : ce sont des avis que vous donne une amie, et qui partent du cœur.

Quelques soins que l’on prenne de l’éducation des enfans, elle est toujours très imparfaite. Il faudroit, pour la rendre utile, avoir d’excellens gouverneurs, et où les prendre ? À peine les princes peuvent-ils en avoir et se les conserver. Où trouve-t-on des hommes assez au-dessus des autres pour être dignes de les conduire ? Cependant les premières années sont précieuses, puisqu’elles assurent le mérite des autres.

Il n’y a que deux temps dans la vie où la vérité se montre utilement à tous : dans la jeunesse pour nous instruire, dans la vieillesse pour nous consoler.

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On peut beaucoup déplaire avec beaucoup d’esprit, lorsqu’on ne s’applique qu’à chercher les défauts d’autrui et à les exposer au grand jour. Pour ces sortes de gens, qui n’ont d’esprit qu’aux dépens des autres, ils doivent penser qu’il n’y a point de vie assez pure pour avoir droit de censurer celle d’autrui.

Il faut, s’il est possible, mon fils, être content de son état. Rien de plus rare et de plus estimable que de trouver des personnes qui en soient satisfaites ; c’est notre faute. Il n’y a point de condition si mauvaise qui n’ait un bon côté : chaque état a son point de vue, il faut savoir s’y mettre ; ce n’est pas la faute des situations, c’est la nôtre. Nous avons bien plus à nous plaindre de notre humeur que de la fortune. Nous imputons aux événemens les défauts qui ne viennent que de notre chagrin. Le mal est en nous, ne le cherchons pas ailleurs. En adoucissant notre humeur, souvent nous changeons notre fortune. Il nous est bien plus aisé de nous ajuster aux choses que d’ajuster les choses à nous. Souvent l’application à chercher le remède irrite le mal ; et l’imagination, d’intelligence avec la douleur, l’accroît et la fortifie. L’attention aux malheurs les rapproche en les tenant présents à l’âme. Une résistance inutile retarde l’habitude qu’elle contracteroit avec son état. Il faut céder aux malheurs. Renvoyez-les à la patience, c’est à elle seule à les adoucir.

Il faut compter qu’il n’y a aucune condition qui n’ait ses peines ; c’est l’état de la vie humaine : rien de pur, tout est mêlé. C’est vouloir s’affranchir de la loi commune que de prétendre à un bonheur constant. Les personnes qui vous paroissent les plus heureuses, si vous aviez compté avec leur fortune ou avec leur cœur, ne vous le paroîtroient guère. Les plus élevés sont souvent les plus malheureux. Avec de grands emplois et des maximes vulgaires, on est toujours agité. C’est la raison qui ôte les soucis de l’âme, et non pas les places. Si vous êtes sage, la fortune ne peut ni augmenter ni diminuer votre bonheur.

Jugez par vous-même, et non par l’opinion d’autrui. Les malheurs et les déréglemens viennent des faux jugemens ; les faux jugemens, des sentimens, et les sentimens, du commerce que l’on a avec les hommes ; vous en revenez toujours plus imparfait. Pour affoiblir l’impression qu’ils font sur vous, et pour modérer vos désirs et vos chagrins, songez que le temps emporte et vos peines et vos plaisirs ; que chaque instant, quelque jeune que vous soyez, vous enlève une partie de vous-même.


AVIS D’UNE MÈRE À SA FILLE

…Les vertus des femmes sont difficiles, parce que la gloire n’aide pas à les pratiquer. Vivre chez soi, ne régler que soi et sa famille, être simple, juste et modeste, vertus pénibles, parce qu’elles sont obscures… Que votre première parure soit donc la modestie, elle augmente la beauté et sert de voile à la laideur ; la modestie est le supplément de la beauté. Le grand malheur de la laideur, c’est qu’elle éteint et qu’elle ensevelit le mérite des femmes… C’est une grande affaire quand il faut que le mérite se fasse jour au travers d’un extérieur désagréable.

Vous n’êtes pas née sans agrémens, mais vous n’êtes pas une beauté ; cela vous oblige à faire provision de mérite ; on ne vous fera grâce de rien. La beauté inspire un sentiment de douceur qui prévient. Si vous n’avez point ces avances, on vous jugera à la rigueur. Qu’il n’y ait donc rien dans vos manières qui fasse sentir que vous vous ignorez. L’air de confiance révolte dans une figure médiocre.

Rien n’est plus court d’ailleurs que le règne de la beauté, rien n’est plus triste que la suite de la vie des femmes qui n’ont su qu’être belles. Si l’on a commencé à s’attacher à vous par l’agrément, faites qu’on y demeure par le mérite… Les grâces sans mérite ne plaisent pas longtemps, et le mérite sans grâces peut se faire estimer sans tomber. Il faut donc que les femmes aient le mérite aimable…

La beauté trompe la personne qui la possède, elle enivre l’âme. Cependant faites attention qu’il n’y a qu’un fort petit nombre d’années de différence entre une belle femme et une qui ne l’est plus… Les véritables grâces ne dépendent pas d’une parure trop recherchée. Il faut satisfaire à la mode comme à une servitude fâcheuse et ne lui donner que ce qu’on ne peut lui refuser.

Que ne doit-on pas aux agrémens de l’imagination ? C’est elle qui fait les poètes et les orateurs ; rien ne plaît tant que ces imaginations vives, délicates, remplies d’idées riantes. Si vous joignez la force à l’agrément, elle domine, elle force l’âme et l’entraîne : car nous cédons plus certainement à l’agrément qu’à la vérité. L’imagination est la source et la gardienne de nos plaisirs. Ce n’est qu’à elle qu’on doit l’agréable illusion des passions. Toujours d’intelligence avec le cœur, elle sait lui fournir toutes les erreurs dont il a besoin ; elle a droit aussi sur le temps ; elle sait rappeler les plaisirs passés, et nous fait jouir par avance de tous ceux que l’avenir nous promet ; elles nous donne de ces joies sérieuses qui ne font rire que l’esprit : toute l’âme est en elle ; et, dès qu’elle se refroidit, tous les charmes de la vie disparoissent.

Parmi les avantages qu’on accorde aux femmes, on prétend qu’elles ont un goût fin pour juger des choses d’agrément. Beaucoup de personnes ont défini le goût. Une dame d’une profonde érudition (Mme Dacier) a prétendu que c’est « une harmonie, un accord de l’esprit et de la raison », et qu’on en a plus ou moins, selon que cette harmonie est plus ou moins juste. Une autre personne a prétendu que le goût est une union du sentiment et de l’esprit, et que l’un et l’autre, d’intelligence, forment ce qu’on appelle le jugement. Ce qui fait croire que le goût tient plus au sentiment qu’à l’esprit, c’est qu’on ne peut rendre raison de ses goûts, parce que l’action de l’esprit qui consiste à considérer un objet était bien moins parfaite dans les femmes, parce que le sentiment qui les domine les distrait et les entraîne. L’attention est nécessaire ; elle fait naître la lumière, pour ainsi dire approche les idées de l’esprit, et les met à sa portée. Mais, chez les femmes, les idées s’offrent d’elles-mêmes, et s’arrangent plutôt par sentiment que par réflexion : la nature raisonne pour elles et leur en épargne tous les frais. Je ne crois donc pas que le sentiment nuise à l’entendement......