Anthologie féminine/Mme D’Aulnoy

La bibliothèque libre.
Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 112-115).

Mme  D’AULNOY
(Née Marie-Catherine Le Jumel) de Barneville

(1650-1705)


Nous ne nous occuperons pas de la vie privée de Mme d’Aulnoy ; mariée, à l’âge de quinze ans, à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, débauché et qui mangea tout son bien, elle ne fut pas la seule coupable dans le ménage. Elle eut cinq enfants, dont quatre filles.

Son premier ouvrage fut la Relation d’un voyage en Espagne, publiée en 1690, qui fut pour elle un heureux début littéraire. Elle continua par les Mémoires sur la cour d’Espagne, puis les Mémoires sur la cour de France (1692), et sur la cour d’Angleterre (1695).

Succédèrent les Mémoires secrets de plusieurs grands princes de la cour, Konieski la Gonzieure, l’Histoire d’Hippolyte, comte de Douglas, roman qui fut goûté à l’époque ; mais l’œuvre qui fit principalement sa réputation dans le public fut ses Contes nouveaux, ou les Fées à la mode, qu’elle augmenta successivement de trois à huit tomes, encouragée par son succès. Elle obtint la suprématie sur tous les conteurs de l’époque, et La Harpe a dit : « que leur auteur savait mettre de l’art et du goût jusque dans les frivolités et conserver la vraisemblance dans le merveilleux ».

L’Oiseau bleu, la Belle aux cheveux d’or, Finette Cendron, la Chatte blanche, la Biche au bois, ne seront jamais oubliés et vivront à côté des contes de Perrault.

Ils sont moins bonhomme, moins naïfs, moins enfantins, plus travaillés, en un mot ; on y sent la touche délicate de la jolie femme. Ils sont au nombre de vingt-quatre.

Dans Finette Cendron, Mme d’Aulnoy a emprunté à l’histoire de Cendrillon et à celle du Petit Poucet : car la trame des contes de fées provient d’un fond traditionnel intitulé Il Pentamérone, qui est l’ouvrage type où Perrault et Mme d’Aulnoy ont vivifié et fécondé leur inspiration. Ses contes, écrits en prose, sont suivis d’une morale en vers libres.


LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR
(Fin.)

… Cabriolle se glissa doucement dans la presse, car il y avoit grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine : « Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant. » Elle se souvint aussitôt des peines qu’il avoit souffertes à cause d’elle, et de sa grande fidélité : elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant, et, lui mettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : « Venez, aimable Avenant, je vous fais roi, et vous prends pour mon époux. » Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître ; il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux cheveux d’or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.

  Si par hasard un malheureux
  Te demande ton assistance.
Ne lui refuse point un secours généreux :
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
 Quand Avenant, avec tant de bonté,
Servoit carpe et corbeau ; quand, jusqu’au hibou même,
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
  Il conservoit la liberté,
  Auroit-on pu jamais le croire
  Que ces animaux quelque jour
 Le conduiroient au comble de la gloire.
Lorsqu’il voudroit du roi servir le tendre amour ?
Malgré tous les attraits d’une beauté charmante,
Qui commençoit pour lui de sentir des désirs,
Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs.
  Une fidélité constante.

Toutefois sans raison il se voit accusé ;
Mais quand à son bonheur il paroît plus d’obstacle,
  Le Ciel lui devoit un miracle,
Qu’à la vertu jamais le Ciel n’a refusé.