Anthologie féminine/Marquise de Sablé

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 63-64).

SABLÉ (Madeleine-Souvre, Marquise de)

(1598-1678)


Mme de Sablé était une des assidues de l’hôtel de Rambouillet. M. Cousin, dans ses études sur les femmes du XVIIe siècle, en a parlé comme une des femmes les plus distinguées de son siècle. Un portrait finement tracé nous en est resté, écrit par Mlle de Montpensier, parlant en même temps de la comtesse de Maure, sous les noms de princesse Parthénie et de reine de Misnie ; elle dit :

…C’étoient des personnes par les mains desquelles le secret de tout le monde avait à passer. La princesse de Penthièvre (Mme de Sablé) avait le goût aussi délicat que l’esprit ; rien n’égaloit la magnificence des festins qu’elle faisoit, tous les mets en étoient exquis, et sa propreté a été au delà de tout ce que l’on peut imaginer. C’est de leur temps que l’écriture a été mise en usage ; auparavant on n’écrivoit que les contrats de mariage, et des lettres on n’en entendoit pas parler.

Son salon était un des plus spirituels; très liée avec le duc de La Rochefoucauld, ses Maximes furent imprimées en 1708, à la fin du livre des Maximes de l’illustre moraliste.

MAXIMES

Être trop mécontent de soi est une faiblesse ; être trop content de soi est une sottise.

Il y a un certain empire dans la manière de parler et dans les actions qui se fait faire place partout et qui gagne par avance la considération et le respect.

Une méchante manière gâte tout, même la justice et la raison. Le comment fait la meilleure partie des choses, et l’air qu’on leur donne dore, accommode et adoucit les plus fâcheuses.

Dans la connaissance des choses humaines, notre esprit ne doit jamais se rendre esclave en s’assujettissant aux fantaisies d’autrui. Il faut étendre la liberté de son jugement et ne rien mettre dans sa tête par aucune autorité purement humaine. Quand on nous propose la diversité des opinions, il faut choisir, s’il y a lieu ; sinon, il faut rester dans le doute.

Il n’y a rien qui n’ait quelque perfection : c’est le bonheur du bon goût de le trouver en chaque chose ; mais la malignité naturelle fait découvrir un vice entre plusieurs vertus pour le relever et le publier, ce qui est plutôt une marque du mauvais naturel qu’un avantage du discernement ; et c’est bien mal passer sa vie que de se nourrir toujours des imperfections d’autrui.