Anthologie féminine/Mme de Bosguérard

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 362-364).

Mme  Marie de BOSGUÉRARD


Née Fœdéré, petite-fille du savant médecin de ce nom, poète de cœur et d’âme, gracieuse femme, mère par dessus tout, telle est Mme  de Bosguérard, peu connue du monde, car elle vit retirée, entre ses cinq filles qu’elle adore, travaillant pour elles. Plus de quarante volumes pour enfants et l’adolescence sont dus à sa plume, qui ne voulut jamais du succès au prix de signer un roman scandaleux. Ses poésies peuvent rivaliser avec celles de n’importe quelles femmes poètes de notre siècle, quoiqu’elles soient écrites à plume levée. C’est surtout à ce titre que nous la comprenons dans cette Anthologie, d’autant plus que, jusqu’ici, elles n’ont pas été réunies en volumes, et n’ont paru que dans la collection des Causeries familières ; elles méritent cependant de survivre :


SUR UNE ROSE
rêverie


Avez-vous quelquefois, passant par un sentier,
Entrevu tout à coup dans l’ombre et la verdure
Une rose sauvage, enfant de l’églantier,
Quand vous alliez cueillir ou la fraise ou la mûre ?

Alors que faisiez-vous, tout le long du chemin ?
En récoltant des fleurs un peu partout, dans l’herbe,
Vous formiez un bouquet bien gros pour votre main,
Orné tout aussitôt de la rose superbe.

Mais quelques pas plus loin, la brise s’élevant
Emportait doucement les feuilles de la rose ;
Elle mourait le soir, née au soleil levant !
Et vous n’y pensiez pas ! C’était si peu de chose !

Si, comme moi, pourtant, vous aviez, par hasard,
Entendu les accents de ces fleurs gracieuses,
Vous n’auriez pas, je crois, alors passant plus tard,
Arraché sans regret ces roses amoureuses.

Voici ce que je vis un beau jour de printemps :
Le soleil radieux illuminait la plaine ;
Des oiseaux qui chantaient, heureux de ce beau temps,
Et moi-même attendrie et voulant prendre haleine.

Je m’assis un instant sur le bord du sentier.
Un arbre séculaire étendait son feuillage,
Un oiseau gazouillait tout près d’un églantier,
Et j’entendis soudain du sein de cet ombrage

Un doux son retentir… Je cherchais çà et là…
C’était comme un soupir envoyé par la brise,
« Ma sœur, disait la voix, oh ! que je suis éprise
« De ce charmant oiseau qui demeure par-là ! »

Quelqu’un lui répondit avec un ton plus fort :
« Enfant, vous aimez tout, le soleil dans la plaine,
« L’oiseau, le papillon, tout ceci vous entraine !
« Aimer tout, selon moi, c’est avoir un grand tort !

« Car vous avez ici peu de temps pour fleurir.
« Le soleil d’aujourd’hui qui vous a fait éclore
« Demain vous mûrira ! Peut-être un jour encore
« Et vous serez ici, las ! bien près de mourir !…

« Croyez-moi, cachez-vous et fermez votre cœur,
« De crainte de l’user et de vivre trop vite,
« Vivez sans rien aimer, tâchez qu’on vous évite
« En montrant vos épines, alors on aura peur. »
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