Anthologie féminine/Mme de Souza

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 227-229).

Mme DE SOUZA

(1761-1836)


Adélaïde Filleul, veuve en première noces du comte de Flahaut, mort sur l’échafaud en 1793, née à Paris, écrivit pendant son exil des romans qui furent accueillis avec grande faveur, comme présentant des fines observations sur l’usage du monde, la conversation d’une société distinguée.

Adèle de Senange fut son premier début, suivirent Émilie et Alphonse, Charles et Marie, Eugène et Mathilde, la Duchesse de Guise ; Eugène de Rothelin roule sur l’habitude alors de sacrifier les enfants à l’avenir de la famille ; ainsi parle le héros :

Le fils aîné de M. d’Estouteville devait hériter de toute sa fortune ; le second, déjà chevalier de Malte, avait prononcé ses vœux ; Mlle d’Estouteville était chanoinesse et devait être nommée abbesse de Remiremont, le premier de tous les chapitres nobles.

Lorsque je fus présenté à Mme d’Estouteville, sa fille était avec elle. Sophie, grande, belle, avait cet air digne et noble qui semble annoncer toutes les vertus ; mais, à dix-huit ans, elle avait à peine jeté un regard sur le monde et elle se croyait le droit de comparer, de juger, d’avoir une opinion.

Près d’elle était Mlle d’Estaing ; je la savais sans fortune ; on la disait malheureuse chez son oncle. En la voyant, je me rappelai les conseils de mon père ; ils me poursuivaient malgré moi, et tous les mouvements d’Amélie attiraient mon attention. Elle avait une douceur et une grâce particulières ; sa figure, extrêmement blanche, mais un peu pâle, offrait quelque chose de si pur, de si transparent, que la moindre agitation la colorait. — Je ne doutais pas qu’Amélie fût la femme que mon père aurait préférée ; mais je me demandais si elle ne m’avait pas paru trop séduisante. Sa timidité me rassura, un sentiment secret me disait que ces yeux n’auraient jamais de colère ; que cette voix ne s’élèverait jamais jusqu’à la plainte......