Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Hyakou-nin-is-syou/Le grillon

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LE GRILLON



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Kirigirisŭ naku ya simo yo-no sa-musiro-ni
Koromo katasiki hitori ka mo nem[1].


Le Grillon (précurseur du froid) grésillonne, par cette nuit de gelée blanche, sur ma natte (froide et) étroite, dormirais-je solitaire, étendu sur mon vêtement ?

Extrait du Sin-ko-kin-siû. Cette pièce a été composée par Go-kyô-gokŭ-ses-syô-saki-no-dai-zyô-dai-zin, qui vivait sous le règne de l’empereur Toba II (1184 à 1198) et sous celui de Tsŭtsi-mikado-no In (1199 à 1210).

Le mot sa-musiro « natte étroite » rappelle l’idée de froid (en jap. さむし samusi) et contribue à rendre l’image que le poëte a voulu retracer par ces vers.

きりぎりす Kirigirisŭ, dans la langue ancienne, désigne « le grillon (Gryllus campestris) ». Il est mentionné, dans les poésies du Man-yô-siû, comme un insecte chantant[2]. — « Son nom est imitatif de son chant[3]. » — Dans la langue actuelle, Kirigirisŭ désigne une espèce de sauterelle, et le grillon se nomme vulgairement カウロキ Kôrogi (сверчокъ, suivant le Dictionn. japonais-russe de M. Gochkiewitch). — « Cet insecte ressemble à la sauterelle ; il est petit, d’un noir pur et brillant comme de la laque ; il a des ailes et « des cornes », et se met à chanter au commencement de l’automne[4]. » — « Il aime à chanter sous le carrelage des habitations. La guerre lui plaît ; et lorsqu’il est vainqueur, il célèbre fièrement sa victoire. Son chant ressemble au bruit que fait l’ouvrier quand il tisse avec rapidité[5]. » — « Il y a deux espèces de grillons : celle qui a le dos plat grésillonne supérieurement. Son chant est comme si l’on disait Ko-ro-ro-mŭ, Ko-ro-ro-mŭ ; pur et gracieux, on le range après celui des insectes des pins[6]. » — « Le Korogi naît au commencement de l’automne, et chante lorsque l’hiver est arrivé. Suivant un dit-on populaire, lorsque le grillon se met à chanter, les femmes paresseuses se trouvent prises à l’improviste (pour les vêtements d’hiver). Au Japon, aussi bien qu’en Chine, on ne distingue pas bien le grillon, la sauterelle, etc.[7] »

On le voit, le grillon, chez les peuples de l’extrême Orient, est considéré comme un pronostic du froid, et on le retrouve avec cette signification dans les plus antiques ouvrages de la Chine[8].

Dans nos pays occidentaux, on tire chez les paysans, de la présence ou de l’attitude de certains animaux, des pronostics pour la pluie, le froid, le beau temps, etc. Le grillon par exemple a été également considéré comme le présage tantôt heureux, tantôt néfaste, des événements prochains. Il est en outre, dans nos campagnes, l’hôte du foyer domestique, et lorsqu’il vient chanter dans l’âtre, les cultivateurs sont persuadés que la saison sera rigoureuse. Comme beaucoup d’autres insectes, le grillon recherche la chaleur des habitations pour conserver la vie active qu’il perdrait s’il restait exposé aux intempéries de la saison. De même que la sauterelle, il est considéré aussi quelquefois comme le précurseur d’une année malheureuse[9]. C’est sous l’impression de ces idées populaires qu’il a été appelé à figurer dans les ouvrages de plusieurs de nos poëtes[10].

  1. Hyakŭ-nin-is-syu, pièce xci ; Hito-yo gatari, vol. VIII, fo 20 ; Si-ka-zen-yô, p. 31.
  2. Dictionn. Syô-tsiu Ka-gon-teï, p. 62.
  3. Dict. étym. Gon-gen-teï, p. 17.
  4. Mao-si-cu (Commentaire du Livre sacré des Vers), cité dans le Syo-gen-zi-kô. édit. lith., p. 164.
  5. San-tsaï-tu-hoeï, Sect. des insectes.
  6. Wa-kan-san-saï-dzŭ-ye, livre LIII, fo 13, vo.
  7. Ku-kin-cu, ap. Enc. jap.
  8. Voy. notamm. Si-kin, I, xv, i ; Biot, Recherches sur la température ancienne de la Chine, p. 43 ; et, sur la cigale, les Mém. concernant les Chinois, t. XIII, p. 415. — Cf. le nom sanscrit du grillon vars akara, qui signifie « celui qui fait ou qui annonce la pluie ».
  9. Joa. Swammerd. Biblia naturæ, p. 864 ; Le Véritable Mathieu Lœnsberg, Bar-sur-Seine, 337e année, p. 232 ; Théophraste, De signis tempestatum, éd. Wimmer, p. 397.
  10. Alfred de Musset, Poésies nouvelles, Idylle, v. 11-12 ; Shakespeare, Macbeth, acte II, scène 2 ; Milton, Il Penseroso, v. 81-82 ; Gay, The Dirge, 5e pastor., v. 102-103 ; Jan Kochanowski, Poezye (xvie siècle), Polny swierszcz.