Antiquités de la Bretagne/Côtes-du-Nord/10

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J.-B. Lefournier, 1837 (Antiquités de la Bretagne/Côtes-du-Nord, pp. 38-42).
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Après avoir examiné et décrit les monuments anciens, qui se trouvent dans les paroisses comprises entre Lannion et la mer, je revins dans cette ville, dans l’intention d’aller visiter de là deux châteaux fameux situés sur les rives de la rivière du Guer, en remontant son cours et s’avançant dans l’intérieur des terres, les châteaux de Coatfrec et de Tonquedec.


10.

Château de Coatfrec.


Le château de Coatfrec, Coetfrec ou Coëffrec, (car son nom se trouve écrit de ces diverses manières, dans d’anciens titres,) est à un grand quart de lieue de Lannion. Bâti sur une colline couverte d’arbres de haute futaie, qui domine la rive gauche de la rivière, une de ses tours éléve encore au-dessus des bois le noble orgueil de ses créneaux. Les autres ont été détruites, en tout ou en partie, ainsi que la presque totalité de cet édifice, actuellement en état complet de ruine ; mais ces ruines ont un aspect aussi pittoresque qu’imposant.

Il paraît que le plan du château de Coatfrec était carré et qu’il y avait à chacun des angles une forte tour ronde. La face de ce carré qui donne sur le bois, est encore debout, avec une tour dans l’angle à droite, cette tour solidement construite en pierre de taille, comme tout le reste de l’édifice, est ronde extérieurement et en dedans, hexagone. Je m’y introduisis par une crevasse qui se trouve au pied, et je remarquai qu’elle avait eu quatre étages, écroulés aujourd’hui ainsi que la plate-forme.

On voit encore en dehors les débris des machicoulis pratiqués au sommet, en dedans du parapet.

De cette tour, j’entrai par une porte de communication dans une grande salle, au-dessus

Château de Coatfrec.
Château de Coatfrec.

de laquelle existaient trois pièces de même dimension, mais dont les planchers sont détruits actuellement. Ces pièces sont éclairées par de grandes fenêtres à croisées de pierre, dont les embrasures ont plus de huit pieds d’épaisseur.

De cette grande salle basse, une porte en ogive me donna accès dans une autre encore plus vaste au-dessus de laquelle étaient également trois étages dont toutes les cheminées se voient encore. Tout ce corps de logis est compris dans la façade qui donne du côté du bois, c’est-à-dire celui qui est opposé à la rivière.

Après en être sorti par la crevasse dont j’ai parlé, et avoir tourné le pied de la tour angulaire, je trouvai une fausse porte pratiquée au pied du rempart, elle ouvrait sur un escalier de dix ou douze marches que je montai et qui me conduisit dans la grande cour intérieure de la forteresse. Le sol de cette cour se trouve donc bien plus élevé que celui qui environne la place en dehors, et même que le rez-de-chaussée du corps-de-logis que j’avais d’abord visité.

Toutes les autres parties de l’édifice ne sont pour ainsi dire plus qu’un monceau de ruines, parmi lesquels on aperçoit, au milieu des guirlandes d’un lierre séculaire, des arcades de portes et de fenêtres, décorées d’ornements gothiques. Dans un des angles de la cour, on voit pourtant encore une tourelle hexagone qui renferme les restes d’un escalier ; au pied de cette tourelle est une ouverture carrée et perpendiculaire, d’environ trente pieds de profondeur, dont les parois sont parfaitement muraillés en pierre de taille. En regardant dans cette espèce de puits, j’aperçus au bas les arcades et les voûtes de galeries souterraines, qui y communiquaient et que l’on a aujourd’hui obstruées de décombres. Si l’on ne pouvait s’introduire dans les souterrains que par ce puits singulier, il fallait une échelle pour y descendre.

Nous n’avons aucun document certain sur l’époque à laquelle le château de Coatfrec a été bâti. Cependant, à la forme carrée de son plan, nous voyons d’abord qu’il ne l’a pas été avant le treizième siècle, car antérieurement, le plan des châteaux et forteresses avait généralement une autre figure, comme nous l’ont démontré des observations nombreuses. De plus, si nous en jugeons d’après le style de ses formes architecturales, nous serons portés à penser que son édification ne remonte pas au-delà des premières années du quatorzième siècle.

Le premier seigneur de Coatfrec, que nous ayions trouvé mentionné dans les annales de Bretagne, est un Yvon de Coatfrec chevalier, qui figure dans une montre de la compagnie de Messire Geoffroy de Kerimel, datée du 1er Juin 1373. Geoffroy de Kerimel était un des plus signalés capitaines Bretons de ce quatorzième siècle si fécond en illustres guerriers.

En 1455, le sire de Coatfrec fut compris dans le nombre des quatre-vingt-huit chevaliers bannerets qui ont siégé aux états de Bretagne, sous le duc Pierre II, (on trouvera à la fin du volume une liste nominative de ces seigneurs, elle fera connaître quelles étaient à cette époque les plus illustres maisons de la province.) Quoique le rang de banneret dût donner aux seigneurs de Coatfrec une certaine importance, on n’en entend plus reparler dans la suite. Pendant la guerre de la ligue, une garnison royaliste occupait leur château, il fut alors surpris par le fameux Fontenelle, mais il ne le posséda que fort peu de temps, en ayant été débusqué par la garnison de Tréguier.

Peu avant l’époque de la révolution, Coatfrec, passé entre les mains d’une famille parlementaire, appartenait au président le Pelletier.