Antoinette/4

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Paul Ollendorff (Tome 2p. 27-31).
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Les deux enfants étaient très religieux, surtout Olivier. Leur père les scandalisait par ses professions de foi anticléricales ; mais il les laissait libres ; et, au fond, comme tant de bourgeois qui ne croient pas, il n’était pas fâché que les siens crussent pour lui : car il est toujours bon d’avoir des alliés dans l’autre camp, et l’on n’est jamais sûr de quel côté tournera la chance. En somme, il était déiste, et il se réservait, le moment venu, de faire venir un curé, comme avait fait son père : si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal ; on n’a pas besoin de croire qu’on sera brûlé, pour prendre une assurance contre l’incendie.

Olivier, maladif, avait une inclination au mysticisme. Il lui semblait parfois ne plus exister. Crédule et tendre, il avait besoin d’un appui ; il goûtait dans la confession une jouissance douloureuse, le bienfait de se confier à l’invisible Ami, dont les bras vous sont toujours ouverts, à qui on peut tout dire, qui comprend et qui excuse tout ; il savourait la douceur de ce bain d’humilité et d’amour, d’où l’âme sort toute pure, lavée et reposée. Il lui était si naturel de croire, qu’il ne comprenait pas comment on pouvait douter ; il pensait qu’on y mettait de la méchanceté, ou que Dieu vous punissait. Il faisait des prières en cachette pour que son père fût touché de la grâce ; et il eut une grande joie, un jour que, visitant avec lui une église de campagne, il le vit faire machinalement un signe de croix. Les récits de l’Histoire Sainte s’étaient mêlés en lui aux merveilleuses histoires de Rübezahl, de Gracieuse et Percinet, et du calife Haroun-al-Raschid. Quand il était petit, il ne doutait pas plus de la vérité des unes que des autres. Et, de même qu’il n’était pas sûr de ne pas connaître Schacabac aux lèvres fendues, et le barbier babillard, et le petit bossu de Casgar, de même que, lorsqu’il se promenait, il cherchait des yeux dans la campagne le pic noir qui porte dans son bec la racine magique du chercheur de trésors, Chanaan et la Terre Promise devenaient, par la vertu de son imagination d’enfant, des localités bourguignonnes ou berrichonnes. Une colline du pays, toute ronde, avec un petit arbre au sommet, comme un vieux plumet défraîchi, lui semblait la montagne où Abraham avait élevé son bûcher. Et un gros buisson mort, à la lisière des chaumes, était le Buisson ardent, que les siècles avaient éteint. Même quand il ne fut plus tout petit, et quand son sens critique commençait à s’éveiller, il aimait à se bercer encore des légendes populaires qui enguirlandent la foi ; et il y trouvait tant de plaisir que, sans être tout à fait dupe, il s’amusait à l’être. C’est ainsi que, pendant longtemps, il guetta, le samedi saint, le retour des cloches de Pâques, qui sont parties pour Rome, le jeudi d’avant, et qui reviennent dans les airs, avec de petites banderoles. Il avait fini par se rendre compte que ce n’était pas vrai ; mais il n’en continuait pas moins de lever le nez au ciel, quand il les entendait sonner ; et, une fois, il eut l’illusion — tout en sachant parfaitement que cela ne pouvait pas être, — d’en voir une disparaître au-dessus de la maison, avec des rubans bleus.

Il avait un impérieux besoin de se baigner dans ce monde de légende et de foi. Il fuyait la vie. Il se fuyait lui-même. Maigre, pâle, chétif, il souffrait d’être ainsi, il ne pouvait supporter de se l’entendre dire. Il portait en lui un pessimisme natif, qui lui venait de sa mère sans doute, et qui avait trouvé un terrain favorable chez cet enfant maladif. Il n’en avait pas conscience : il croyait que tout le monde était comme lui ; et ce petit bonhomme de dix ans, pendant ses récréations, au lieu de jouer dans le jardin, s’enfermait dans sa chambre, et, en grignotant son goûter, il écrivait son testament.

Il écrivait beaucoup. Il s’acharnait à écrire son journal, chaque soir, en cachette, — il ne savait pourquoi, car il n’avait rien à dire, et il ne disait rien que des niaiseries. Écrire était chez lui une manie héréditaire, ce besoin séculaire du bourgeois de province française, — la vieille race indestructible — qui, chaque jour, écrit pour lui, jusqu’au jour de sa mort, avec une patience idiote et presque héroïque, les notes détaillées de ce qu’il a, chaque jour, vu, dit, fait, entendu, mangé et bu. Pour lui. Pour personne autre. Personne ne le lira jamais : il le sait ; et lui-même ne se relit jamais.