Antonia (RDDM)/04

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Antonia (RDDM)
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 42 (p. 564-611).
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ANTONIA

QUATRIÈME PARTIE.[1]


Par caractère comme par état, Marcel était un homme prévoyant. On peut être positif et généreux. C’est sous cette double inspiration qu’il jugea la situation des deux amans et qu’il parla à Julie.

— Madame, lui dit-il en lui prenant les mains avec une bonhomie affectueuse qui n’avait rien de blessant, commencez par me compter pour rien dans tout ceci. Si Julien et sa mère sont à la hauteur de votre courage et de votre dévouement, loin de les dissuader, j’admirerai le sacrifice. Et d’abord ne vous exagérez pas les conséquences de l’avenir. M. Antoine est homme de parole, cela est certain ; dans le bien comme dans le mal, il tient ce qu’il promet. Pourtant son testament est un grand problème, par la raison que le voilà sur la pente du mariage. C’est un fait bien étrange, à coup sûr, de voir ce vieux garçon, ennemi des femmes et de l’amour, se jeter dans la fantaisie conjugale au déclin de sa vie ; comme cela porte le caractère de la monomanie, aucune promesse, aucune résolution de sa part ne peut l’en préserver. Il trouvera ce qu’il cherche, n’en doutez pas ; une femme titrée quelconque, jeune ou vieille, honnête ou non, belle ou laide, se laissera tenter par ses écus et accaparera tous ses biens. Voici donc la question simplifiée, et vous devez écarter la préoccupation de notre héritage à tous. Il n’y a de certain que les faits présens, et vous voyez que je suis hors de cause. Parlons donc de ces faits immédiats qu’on livre à notre examen. Ils sont fort sérieux. Je connais l’oncle Antoine : ce qu’il veut faire, il le fait Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/569 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/570 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/571 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/572 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/573 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/574 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/575 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/576 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/577 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/578 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/579 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/580 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/581 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/582 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/583 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/584 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/585 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/586 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/587 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/588 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/589 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/590 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/591 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/592 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/593 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/594 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/595 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/596 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/597 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/598 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/599 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/600 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/601 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/602 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/603 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/604 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/605 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/606 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/607 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/608 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/609 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/610 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/611 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/612 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/613 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/614 se fit frondeur politique de tous les événemens, quels qu’ils fussent, de la révolution. Tout le monde était fou, maladroit, stupide. Le roi était trop faible, le peuple trop doux, la guillotine tour à tour trop paresseuse et trop affamée. Et puis, comme cette succession de tragédies troublait sa tête plus folle que méchante, il changeait d’avis et passait en paroles d’un sans-culottisme effréné à un muscadinisme ridicule. Tout cela était fort inoffensif, car il ne briguait aucun pouvoir et se contentait de déblatérer dans ses rares échappées à travers la société ; mais il fut dénoncé par des ouvriers qu’il avait maltraités, et il faillit payer de sa tête son dévergondage d’obscure éloquence.

Julien et Marcel, à force d’insistance, réussirent à lui faire quitter l’hôtel Je Melcy, où chaque jour il provoquait l’orage. Ils le tinrent caché à Sèvres, où il les fit beaucoup soulTrir par sa méchante humeur et les compromit plus d’une fois par ses imprudences. Ses biens étaient sous le séquestre, et il n’en recouvra que des lambeaux. Il supporta ce coup terrible avec beaucoup de philosophie. Il était de ces pilotes qui maugréent dans la tempête, mais qui tiennent bon dans le sauvetage. Il ne voulut rien reprendre de ce que Julien tenait de lui et lui offrait avec instances. Comme on n’avait pas touché à son jardin et qu’il le recouvrait à peu près intact, il y reprit ses habitudes et sa bonne humeur relative. Il y vécut jusqu’en 1802, toujours actif et robuste. Un jour on le trouva immobile, assis sur un banc au soleil, son arrosoir h demi plein à côté de lui, et sur ses genoux un manuscrit indéchiffrable, dernière élucubration de son cerveau épuisé. Il était mort sans y prendre garde. Il avait dit la veille à Marcel : — Sois tranquille, les millions que tu devais hériter de moi, tu les auras ! Que je vive seulement une dizaine d’années, et je ferai une fortune plus belle que celle que j’avais faite. J’ai un projet de constitution qui sauvera la France du désordre ; après ça, je penserai un peu à moi, et je reprendrai moa commerce d’exportation.

George Sand.

  1. Voyez la Revue du 15 octobre, du Ier et 15 novembre.