Antonia (RDDM)/03

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Antonia (RDDM)
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 42 (p. 257-299).
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ANTONIA

TROISIEME PARTIE. ’

Si Julien eût été un roué, il ne s’y fût pas mieux pris pour exciter la passion de M’"^ d’Estrelle. Les jours se succédaient, et aucun hasard n’amenait la moindre rencontre. Et pourtant Julie, soit par excès de confiance, soit par distraction, vivait beaucoup plus dans son jardin que dans son salon, et préférait la promenade solitaire dans les bosquets à la conversation de ses habitués. Il y avait des soirs où elle s’enfermait sous prétexte de malaise et de lassitude, et ces jours-là elle se faisait encore belle, comme si elle eût attendu quelque visite extraordinaire ; elle allait jusqu’au fond du jardin, rentrait effrayée au moindre bruit , puis retournait voir ce qui lui avait fait peur, et tombait dans une sorte de rêverie consternée en reconnaissant que tout était tranquille et qu’elle était bien seule.

Un jour elle reçut une déclaration d’amour assez bien tournée, sans signature et sans cachet particulier. Elle en fut fort offensée, jugeant que Julien manquait à tous les engagemens qu’il avait pris envers elle, et se disant que cela ne méritait qu’un froid dédain. Le lendemain, elle découvrit que cette tentative venait du frère d’une de ses amies, et son premier mouvement fut de la joie. Non, certes, Julien n’eût pas écrit dans ces termes-là ; Julien n’eût pas écrit du tout ! Le billet doux, que dans le trouble de l’incertitude elle avait trouvé assez délicat, lui parut du dernier mauvais goût ; elle le jeta aux oubliettes avec mépris... Mais si Julien eût écrit pourtant ! Sans doute il savait écrire comme il savait parler. Et pourquoi n’écrivait-il pas ?

(1) Voyez la Revue du 15 octobre et du l’" novembre.

TOME XLII. 15 NOVE^IBRE. 17 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/262 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/263 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/264 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/265 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/266 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/267 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/268 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/269 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/270 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/271 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/272 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/273 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/274 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/275 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/276 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/277 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/278 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/279 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/280 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/281 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/282 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/283 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/284 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/285 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/286 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/287 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/288 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/289 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/290 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/291 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/292 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/293 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/294 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/295 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/296 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/297 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/298 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/299 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/300 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/301 Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/302 chez ce vieillard inexorable, il y avait une sorte de grandeur farouche dans cette magnificence qui ne reculait devant aucun sacrifice pour assurer le triomphe de sa jalousie. 11 y avait de l’habileté aussi à mettre ainsi Mme d’Estrelle aux prises avec le sacrifice des intérêts de Julien, de Mme Thierry et de Marcel. Ce dernier s’exécuta sur-le-champ avec une grande noblesse de langage. — Mon oncle, dit-il à M. Antoine, vous ferez pour moi dans l’avenir ce que bon vous semblera. Vous me connaissez trop pour croire que des espérances de ce genre influeront jamais sur ma conscience. J’ai dit tout à l’heure que j’étais contraire à la résolution de Mme d’Estrelle : j’avais là-dessus des idées que mon devoir est encore de lui soumettre ; mais sachez bien que, si elle ne juge pas à propos de s’y rendre, je ne lui rappellerai jamais que sa résistance peut me nuire dans votre esprit, que je n’agirai jamais avec elle sous l’impression de mon intérêt personnel, et qu’enfin, si madame persiste, ainsi que Julien, dans le projet qu’ils ont de se marier, je les aiderai de mes conseils, de mes services, et leur serai éternellement ami, parent et serviteur. Julie tendit silencieusement la main au procureur. Des larmes vinrent au bord de ses paupières. Elle regarda Antoine et vit se n inébranlable obstination sur son ma’- que racorni et cuivré.

— Allons trouver Mme Thierry et Julien, dit-elle en se levant ; c’est à eux qu’il appartient de prononcer.

— Non pas ! s’écria M. Antoine ; je ne veux pas qu’on prenne les gens au dépourvu. Dans le premier moment, je sais fort bien que le peintre fera son grand homme et que la mère prendra ses grands airs, surtout en ma présence. Et puis on se piquera d’honneur devant madame, on ne voudra pas être en reste de fierté : sauf à s’en repentir l’heure d’après, on dira vitement comme elle ; mais j’attends tout le monde à demain matin, moi ! Je reviendrai. Porte-leur mon dernier mot, procureur ; fais tes réflexions aussi, mon bel ami, et nous verrons alors si vous serez bien d’accord tous les quatre pour refuser mes dons présens et mes dépouilles futures. À revoir, madame d’Estrelle. Demain, ici, à midi !

Julie, en le voyant sortir, se laissa retomber pâle et brisée sur son fauteuil. Il se retourna au moment de quitter le salon, et s’assura qu’il avait réussi à ébranler ce fier courage. Il s’en alla triomphant.

George Sand.

(La dernière partie au prochain n°.)