Appel à la justice adressé par le Conseil national des femmes françaises à la Chambre des députés et au Sénat

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APPEL À LA JUSTICE
ADRESSÉ PAR LE
CONSEIL NATIONAL
DES
FEMMES FRANÇAISES
À LA
CHAMBRE DES DÉPUTÉS ET AU SÉNAT
Séparateur
1909

SECTIONS DU CONSEIL NATIONAL


1o  Section d’Assistance et d’Hygiène, siège social, 43, rue Blanche ; Présidente : Mme Eugénie Weill ; I.
● ● ●
2o  Section d’Éducation, siège social au Cercle du Travail féminin, 35, boulevard des Capucines ; Présidente : Mme Pauline Kergomard ; ❄
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3o  Section de Législation, siège social, 32, rue Vaneau ; Présidente : Mme d’Abbadie d’Arrast ;
● ● ●
4o  Section du Travail, siège social, 116, rue Saint-Dominique ; Présidente : Mme Pégard ; ❄
● ● ●
5o  Section du Suffrage, siège social, 20, rue Vauquelin ; Présidente : Mme Marie-Georges Martin ; I.
● ● ●
6o  Section des Sciences, Arts et Belles-Lettres : siège social au Cercle du Travail féminin, 35, boulevard des Capucines ; Présidente : Mme Cruppi.
*

CONSEIL NATIONAL
DES
FEMMES FRANÇAISES


COMITÉ EXÉCUTIF


Présidente d’honneur,
Mme Isabelle Bogelot, ❄.
Présidente,
Mlle Sarah Monod.
Vice-Présidentes,
Mlle Marie Bonnevial, Mme Jules Siegfried.
Mme Alphen Salvador I.
Secrétaire générale,
Mme Avril de Sainte-Croix.
Secrétaires,
Mme Péronneau Dauphin, . Mme Maria Martin.
Mme Pichon Landry
Trésorière,
Mme Eugénie Weill, I. .
Membres du Comité,
Mmes d’Abbadie d’Arrast. Mlle Lucile Morin.
Mmes Léon Pégard ❄.
Marie-Georges Martin. I.
Maria Martin
de Montaut.
Édouard Petit.
Membres Auxilliaires,
Mme la Générale Valabrègue. Mme A. Helbronner.
Mlle C. Cahen.


La déclaration de la Constitution
du Conseil National des Femmes Françaises a paru
dans le Journal Officiel du 23 Octobre 1901.


RAPPORT
DE LA
SECTION DU SUFFRAGE
DU
CONSEIL NATIONAL
PRÉSENTÉ PAR
Mme Maria VÉRONE
Avocate à la Cour d’Appel de Paris
Séparateur
1909



VŒU



Le Conseil National des Femmes Françaises émet le vœu suivant :

Que le Parlement, pour préparer l’égalité intégrale des deux sexes en matière politique, accorde promptement aux femmes l’électorat et l’éligibilité pour les Conseils municipaux, les Conseils d’arrondissement et les Conseils généraux.




CONSEIL NATIONAL
des
FEMMES FRANÇAISES
Assemblée générale statutaire du 6 juin 1909


SECTION DU SUFFRAGE

Mme Marie-Georges Martin, présidente de la Section du Suffrage, dépose le rapport suivant fait par Mme Maria Vérone et accepté par la Section[1] :


RAPPORT DE Mme MARIA VÉRONE
SUR LA QUESTION DU SUFFRAGE DES FEMMES


Le mouvement suffragiste à l’Étranger

La France, qui s’honore d’avoir, la première, proclamé les Droits de l’homme, se montre fort en retard en ce qui concerne les Droits de la femme.

Dans de nombreux pays des divers continents, les femmes jouissent actuellement de tout ou partie des droits politiques.

Aux États-Unis, plusieurs États accordent aux femmes non seulement les droits municipaux, mais encore l’électorat, voire même l’éligibilité en matière politique. Au Colorado, les femmes ont déjà fait partie du Sénat fédéral : l’Utah et l’Idaho ont récemment donné aux femmes les droits politiques ; la Louisiane, le Montana et l’état de New-York, ont donné le droit de vote sur toutes les questions budgétaires aux femmes payant des impôts ; le Wyoming s’est montré particulièrement favorable au mouvement féministe, car à la fin de l’année 1901, le Parlement de cet État adoptait le vœu suivant :

Le Wyoming a été le premier État à adopter le suffrage universel mis en vigueur dès 1869. Le suffrage égal pour les deux sexes a été adopté dans la constitution du Wyoming en 1890. Depuis ce temps, les femmes ont exercé leurs droits comme les hommes avec le résultat que de meilleurs candidats ont été choisis pour remplir les postes vacants, les procédés d’élection ont été purifiés, le caractère de la législation a fait des progrès, et le féminisme s’est développé en utilité par la responsabilité politique. En conséquence : un vœu est émis par la Chambre des députés et le Sénat du Wyoming, demandant le droit de vote pour les femmes dans tous les États de l’Union américaine, comme une mesure tendant au bien-être social.


Les femmes votent dans la Nouvelle-Zélande, pour les élections municipales et parlementaires ; en Norvège, pour les élections municipales seulement. Elles sont électrices et éligibles en matière municipale en Angleterre et au Danemark ; elles jouissent de tous les droits politiques, électorat et éligibilité, en Australie et en Finlande.

On peut donc dire que c’est du Nord que nous vient l’exemple.

Depuis quelques années, le mouvement suffragiste s’est accentué un peu partout, prenant des formes différentes plus ou moins violentes.

La question du vote des femmes se posa en Belgique en 1902 lors de la lutte pour le suffrage universel, mais le parti le plus avancé, — le parti ouvrier, — résolut de limiter la campagne au suffrage universel des hommes, afin de ne point compromettre l’entente de tous les partis révisionnistes. Les femmes belges poursuivent activement et méthodiquement leur propagande,

Les pays scandinaves se sont mis à la tête du mouvement suffragiste, ont organisé sur cette partie du programme féministe un congrès international d’où est née une fédération internationale, qui compte de très nombreuses sociétés adhérentes.

Au mois de mars 1907, la Chambre italienne eut à discuter une adresse envoyée par le Conseil national des femmes ; elle adopta un ordre du jour ainsi motivé :


Confiante dans le Gouvernement pour préparer un projet de loi par lequel le droit de vote politique et administratif sera reconnu aux femmes, la Chambre renvoie la pétition au président du Conseil.


La Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, paraissent marcher plus lentement ; néanmoins, les groupes s’y développent, et l’opinion publique s’y montre de plus en plus favorable à la cause féministe.

Enfin, chose curieuse, c’est dans la calme et placide Angleterre que le mouvement a pris le plus d’intensité. La campagne active et incessante des suffragettes anglaises a bien trop défrayé la chronique pour qu’il soit nécessaire d’en retracer les multiples péripéties. Bornons-nous seulement à constater que la propagande bruyante des féministes anglaises a eu pour résultat d’attirer l’attention de la foule sur une question qui la laissait auparavant indifférente, et que la répercussion s’en est fait sentir en divers pays.

Ainsi, de tous côtés, l’on revendique l’égalité des sexes au point de vue politique. La France républicaine doit-elle donc se montrer plus arriérée que certains états monarchiques !


L’Électorat et l’Éligibilité des Femmes en France


Les Françaises, moins heureuses que les femmes dont nous venons d’énumérer les droits, ont été, jusqu’à présent, tenues en dehors de toutes les élections ayant un caractère politique. Cependant, dans divers cas, elles sont appelées à voter, parfois même à être candidates.

Afin de démontrer que le suffrage des femmes ne serait pas chose absolument nouvelle en France, nous allons rechercher en quelles matières, et dans quelles conditions, les femmes sont électrices et éligibles.


Enseignement, Conseils départementaux. — Il est institué dans chaque département un conseil de l’enseignement primaire composé ainsi qu’il suit : 5° deux instituteurs et deux institutrices titulaires, élus respectivement par les instituteurs et institutrices publics du département. (Loi du 30 octobre 1886, modifiée par la loi du 14 juillet 1901, art. 44, § 5.)


Conseil supérieur de l’instruction publique. — Le Conseil supérieur de l’instruction publique est composé comme il suit : six membres de l’enseignement primaire, élus au scrutin de liste par les inspecteurs généraux de l’instruction primaire, par le directeur de l’enseignement primaire de la Seine, les inspecteurs d’académie des départements, les inspecteurs primaires, les directeurs et directrices des écoles normales primaires, la directrice de l’école Pape-Carpentier, les inspectrices générales et les déléguées spéciales chargées de l’inspection des salles d’asile. (Loi du 27 février 1880, art. 1er , § 25.)


Travail, Conseils du Travail. — Dans chaque section sont éligibles les Français de l’un ou l’autre sexe, âgés de vingt-cinq ans au moins, domiciliés ou résidant dans la circonscription de cette section, non déchus de leurs droits civils et civiques, appartenant ou ayant appartenu pendant dix années comme patrons, employés ou ouvriers, à l’une des professions inscrites dans la section.

Dans chaque section sont électeurs-ouvriers les associations professionnelles légalement constituées en conformité de la loi du 21 mars 1884. (Décret du 17 septembre 1900 modifié par le décret du 2 janvier 1901, art. 5.)


Conseil Supérieur du Travail. — Le Conseil supérieur du travail est composé de 65 membres, savoir : 26 membres nommés par les patrons, 26 membres nommés par les ouvriers.

Pour être éligible, il faut être Français, âgé de vingt-cinq ans au moins, et non déchu de ses droits civils et civiques.

La candidature des femmes est admise suivant les mêmes conditions d’âge et de nationalité. (Décret du 14 mars 1903, art. 2, 8 et 9.)


Conseils de Prud’hommes. — Sont inscrites également sur les listes électorales, suivant la distinction ci-dessus, les femmes possédant la qualité de Françaises, réunissant les conditions d’âge, d’exercice de la profession et de résidence, et n’ayant encouru aucune des condamnations prévues aux articles 15 et 16 du 27 mars 1907. (Art. 5 in fine.)

Sont éligibles, à condition de résider depuis trois ans dans le ressort du Conseil : 1° les électeurs âgés de trente ans sachant lire et écrire, inscrits sur les listes électorales spéciales ou justifiant des conditions requises pour y être inscrites : 2° les anciens électeurs n’ayant pas quitté la profession depuis plus de cinq ans et l’ayant exercée cinq ans dans le ressort. (Loi du 27 mars 1907. Art. 6 modifié par la loi du 15 novembre 1908.)


Commerce, Tribunaux de commerce. — Les femmes qui remplissent les conditions énoncées dans les paragraphes précédents seront inscrites sur la liste électorale ; néanmoins elles ne pourront être appelées à faire partie d’un tribunal de commerce. (Loi du 19 février 1908, modifiant l’article 1er  de la loi du 8 décembre 1883.)


Chambres de commerce et Chambres consultatives des arts et manufaotures. — Les membres des chambres de commerce et des chambres consultatives sont nommés par les mêmes électeurs que les présidents et les juges titulaires ou suppléants des tribunaux de commerce et dans des conditions identiques. (Loi du 19 février 1908, art. 2, § 1.)

Prévoyance. Conseil supérieur de la mutualité. — Ce Conseil est composé de 36 membres, savoir : dix-huit représentants des Sociétés de secours mutuels, élus par les délégués des sociétés… (Loi du 1er  avril 1898, art. 34.)


Bien qu’il n’y ait pas de mention particulière concernant les femmes, il est bien certain que celles-ci ne font l’objet d’aucune exclusion, puisque les sociétés de secours mutuels exclusivement féminines sont autorisées.


L’Éducation des Femmes


Il est aisé de se rendre compte que la femme participe actuellement à toute la vie économique du pays ; c’est pour cela d’ailleurs que, peu à peu, quelques droits lui ont été concédés, Pour quelles raisons prétend-on donc la maintenir hors du domaine politique ? Il ne saurait plus être question de la femme au foyer. Depuis trop longtemps déjà la grande industrie emploie des ouvrières qu’elle paie moins cher que les hommes, et ce n’est pas la faute du féminisme si la mère de famille a dû quitter son ménage pour se rendre à l’usine, au magasin ou au bureau. C’est là un fait dont on peut discuter les conséquences, mais qu’il est impossible de contester.

Un des grands arguments des antiféministes est celui-ci : la femme n’est pas soldat. « Sac au dos, disent-ils, et vous aurez le bulletin de vote ». Ils oublient qu’il n’y a jamais eu aucune corrélation entre l’accomplissement du service militaire et l’exercice des droits politiques. Les dispensés et les réformés n’ont jamais été privés de leurs droits, bien qu’ils n’aillent pas à la caserne. D’ailleurs, la femme a une autre mission à remplir : celle de la maternité qui n’est ni moins pénible ni moins dangereuse que le séjour à la caserne.

Certains républicains ajoutent : « Mais la femme est réactionnaire, et lui accorder le bulletin de vote serait mettre en péril l’existence de la République. » Ceci n’est pas prouvé : car, aussi longtemps que les femmes ne voteront pas, il sera bien difficile de connaître exactement leurs opinions. De plus, a-t-il jamais été question de retirer le droit de suffrage à tous les hommes qui se disent royalistes ou impérialistes ? Pourquoi la liberté d’opinion devrait-elle donc être respectée uniquement à l’égard des hommes ? Cette crainte est d’ailleurs exagérée ; beaucoup de femmes sont très fermement attachées aux principes républicains. Dira-t-on que leur éducation sociale et politique est incomplète et insuffisante ? Nous venons de voir qu’elles participent à des élections diverses et qu’elles ont pu prendre ainsi peu à peu l’habitude de la discussion. En outre, des femmes dont la valeur et la compétence en certaines matières ont été officiellement reconnues, furent appelées à siéger dans des Conseils supérieurs ou dans des Commissions extra-parlementaires. On trouve aussi des femmes dans les Conseils d’administration des bureaux de bienfaisance et des Caisses des écoles, dans les Sociétés coopératives, les groupements politiques les plus divers, les loges mixtes et dans certaines associations cultuelles protestantes. Enfin, il existe des Syndicats professionnels féminins et des Sociétés féministes où sont étudiées des questions de toute espèce.

Cependant, l’indifférence et l’ignorance se rencontrent parmi les femmes tout autant que parmi les hommes, et le résultat du suffrage féminin pourrait s’en ressentir. Faut-il donc admettre une sélection ? et comment la faire ? Notre esprit démocratique s’oppose à toute distinction ayant pour base la fortune ou les diplômes, aussi n’est-ce pas par sélection qu’il faut procéder, mais par étapes.

Que les femmes obtiennent d’abord les droits municipaux : elles complèteront ainsi leur éducation. Et, quand elles auront prouvé leurs capacités et leur bon sens, les droits législatifs leur seront accordés.


Étude des projets parlementaires


Projet Gautret. — Le 2 octobre 1901, M. Gautret déposa sur le bureau de la Chambre, une proposition de loi tendant à accorder le droit de vote aux femmes célibataires, veuves ou divorcées, c’est-à-dire, explique-t-il, à la femme responsable d’elle-même, au chef de famille ayant un intérêt indépendant à faire valoir. »

M. Gautret continuait la vieille tradition de la dépendance de la femme dans le mariage, il renforçait encore le principe de l’autorité maritale. Il pensait sans doute, en faisant cette énorme concession à tous les hommes mariés, obtenir plus rapidement le commencement de réforme qu’il proposait. Illusion ! Son projet ne fut jamais discuté.

Pour la femme, dit-il dans l’exposé des motifs, sujétion, dépendance, obéissance aux lois que nous avons faites et qui forcément nous sont favorables ; inégalité nécessaire, inéluctable ; lutte des sexes remplaçant la lutte des classes !

M. Gautret pensait enrayer cette lutte en faisant adopter le projet suivant :

Article Unique.Le droit de vote dans les élections municipales, cantonales et législatives, est accordé aux femmes majeures célibataires, veuves ou divorcées.

Sous ces réserves, les conditions du vote imposées aux électeurs sont exigibles des femmes en tant qu’électrices.


Les féministes, parmi lesquelles se trouvent de nombreuses femmes mariées et mères de famille, ne firent pas une très active propagande en faveur de ce projet qui mourut avec la législature qui l’avait vu naître.


Projet Dussaussoy. — Le 10 juillet 1906, une nouvelle proposition était déposée à la Chambre par M. Dussaussoy.

Cette proposition ne fait aucune distinction entre les femmes, mais elle les tient à l’écart des élections législatives, Les raisons en Le données par M. Dussaussoy lui-même dans l’exposé des motifs :

Il ne nous paraît plus possible de tenir compte de ce bon mouvement qui, transférant l’autorité du chef de clan au chef de famille, autoriserait encore le mari à représenter sa femme dans les élections. La femme mariée, aussi bien que la femme célibataire, veuve ou divorcée, doit garder sa propre votation, son suffrage personnel.

Mais, d’autre part, l’état de nos mœurs et de nos institutions ne nous paraît pas autoriser actuellement le législateur à conférer aux femmes l’électorat politique proprement dit. Autant il serait imprudent de ne pas suivre la vie, de refuser l’accession des femmes aux droits qu’elles sont en état d’exercer profitablement, et dans la pratique desquels elles acquerront l’expérience civique nécessaire à tous les membres d’une démocratie, autant il serait dangereux de supposer cette éducation parfaite, et de doubler d’un seul coup le corps électoral formé en 1848.

Le xviiie siècle a proclamé le droit de l’homme, le xixe siècle proclamera le droit de le femme, a dit Victor Hugo. De telles prophéties sont à l’ordinaire risquées. La première Douma de l’empire tentait naguère de la réaliser. Il n’est en tout cas pas douteux qu’une nouvelle révolution se soit faite par l’instruction, par l’industrie. C’est au législateur d’en discerner les effets et de les accorder au droit, s’il veut accomplir, perfectionner, sauver les institutions.

C’est pour entrer enfin dans ce mouvement juridique et social qui entraîne tous les États à forme parlementaire que nous avons l’honneur de vous soumettre la proposition de loi suivante :

Article unique. — Les femmes sont admises à concourir à l’élection des membres des conseils municipaux, des conseils d’arrondissement et des conseils généraux dans les conditions fixées par la loi pour l’exercice de ce droit par tous les Français.

Elles sont inscrites sur les listes électorales selon les mêmes règles.


Le projet de M. Dusaussoy a eu un peu plus de succès que celui de M. Gautret. Il a été longuement discuté, commenté dans tous les Congrès et réunions féministes. Il a même été pris en considération par la Commission du suffrage universel qui a désigné comme rapporteur M. Ferdinand Buisson, lequel est favorable au projet. Voici donc enfin le premier pas fait, — celui qui coûte le plus, dit le vieux proverbe. Pouvons-nous espérer maintenant que le rapport de M. Buisson sera déposé et discuté avant la fin de cette législature ? Peut-être, si nous ne laissons pas les bonnes volontés s’endormir.

Et nous pensons bien qu’au cours de la discussion surgira un projet additionnel accordant aux femmes, non seulement l’électorat en ces diverses matières, mais aussi l’éligibilité.


Le mouvement suffragiste


L’opinion publique qui, au début du mouvement suffragiste, s’était montrée hostile. lui est devenue favorable grâce à une propagande incessante. Il est facile de le constater par les diverses manifestations qui se sont produites depuis un an.


Conseil général de la seine. — En 1886, Mme Hubertine Auclert avait adressé au Conseil général de la Seine un vœu en faveur de la participation des femmes aux droits électoraux. Ce vœu, n’eut, à cette époque, aucun succès.

Mais Mme Hubertine Auclert est une persévérante. Elle adressa à nouveau la même proposition à l’Assemblée départementale en 1907, et, cette fois, elle réussit. Le vœu, après avoir été renvoyé à la Commission compétente, fut rapporté favorablement par M. d’Aulan à la séance du 21 novembre 1907.


J’estime que les femmes qui gèrent des intérêts de propriété, d’industrie ou de commerce, dit le rapporteur, ont droit à donner leur opinion sur la façon dont nous gérons Les intérêts de la Ville ou du Département…

Aussi, au nom de votre Quatrième Commission, ai-je l’honneur de vous proposer de voter le vœu suivant :

Le Conseil général,

Émet le vœu :

Que les femmes soient appelées à jouir du droit électoral pour les élections au Conseil général et au Conseil municipal.


Ce vœu fut aussitôt adopté sans discussion.


Une candidature féminine. — Dans diverses circonstances, des candidatures féminines avaient été posées à Paris ; mais, alors qu’elles avaient à grand’peine réuni une centaine de voix, c’est près de mille électeurs qui, au mois de mai 1908, accordaient leurs suffrages à une candidate dans le 9e arrondissement de Paris (quartier Saint-Georges).

Les esprits pessimistes ou malveillants essayèrent de dénaturer cette importante manifestation de l’opinion. Les uns parlèrent de plaisanterie ; les autres ne virent qu’une preuve de mécontentement envers le conseiller sortant. Les premiers faisaient injure au corps électoral, les autres n’avaient point réfléchi. Les mécontents avaient l’occasion, s’ils le voulaient, de manifester doublement : en mettant dans l’urne un bulletin blanc, ils se montraient à la fois adversaires du conseiller sortant et adversaires du féminisme. Si les électeurs n’ont point agi de cette façon, c’est que telle n’était pas leur pensée.

En réalité, nous avons eu là une très brillante victoire féministe.


Pétition du conseil national des femmes. — Au mois de mai 1907, le Conseil national des femmes françaises a fait circuler des listes de pétition dont voici le texte :


Le Conseil national des femmes françaises qui compte actuellement 73 000 membres et dont Le but est l’amélioration du sort de la femme, au triple point de vue économique, social et politique, a protesté à plusieurs reprises, contre l’exclusion des femmes des listes électorales.

La femme responsable, comme l’homme, de ses actes envers la Société, doit avoir, comme lui, le droit de lutter pour ses opinions dans la vie publique ainsi que dans la vie privée.

Justiciable, comme l’homme, des lois de son pays, elle doit avoir, comme lui, le droit de les discuter.

Contribuable, comme l’homme, elle ne peut, sans injustice, être privée plus longtemps de tout pouvoir de contrôle sur les finances de l’État.

Épouse et mère, elle doit légitimement être mise à même de préparer le meilleur avenir possible à sa descendance.

Pour ces raisons :

Les soussignés demandent que la loi électorale, réglant actuellement le droit de suffrage des hommes soit étendue aux femmes dans les mêmes conditions.


Cette pétition s’est aussitôt couverte de signatures, et elle a été adoptée par le Comité central de la Ligue des droits de l’homme.


Ligue des droits de l’homme. — La Ligue des droits de l’homme a mis au programme de son Congrès de 1909, la question des droits de la femme. Un rapport sur ce sujet doit être présenté par Mme Maria Vérone, au nom du Comité central.

Le vœu concernant les droits politiques est ainsi conçu :


La Ligue des droits de l’homme.

Considérant que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit être entendue dans ce sens que tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ;

Considérant, en conséquence, que tous les Français sans distinction de sexe doivent être égaux devant La loi ;

Émet le vœu :

Que les femmes obtiennent les droits d’électorat et d’éligibilité pour les conseils municipaux, les conseils d’arrondissement et Les conseils généraux, dans les mêmes conditions que les hommes.


Nous ne doutons pas que les délégués des sections de la Ligue, qui représentent près de 80 000 électeurs, n’adoptent cette proposition.

Il est donc bien certain que partout, et dans les milieux les plus divers, le vote des femmes est demandé comme une des réformes les plus urgentes.


Le rôle des Conseils municipaux,
des Conseils d’arrondissement et des Conseils généraux


D’après la loi du 5 avril 1884 sur les Communes (art. 61), les attributions des Conseils municipaux sont strictement déterminés.


Le Conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune.

Il donne son avis toutes les fois que cet avis est requis par les lois et règlements, ou qu’il est demandé par Administration supérieure.

Il réclame, s’il y a lieu, contre le contingent assigné à la commune dans l’établissement des impôts de répartition.

Il émet des vœux sur tous les objets d’intérêt local.

Il dresse chaque année une liste contenant un nombre double de celui des répartiteurs et des répartiteurs suppléants à nommer.

Il n’apparaît pas qu’il y ait en tout ceci rien que les femmes ne puissent faire.

Du reste, la plupart des délibérations du Conseil municipal ne sont exécutoires, qu’après approbation de l’autorité supérieure, c’est-à-dire du préfet, notamment celles qui concernent le budget communal, les crédits supplémentaires, les contributions extraordinaires et les emprunts, les octrois. (Art. 68.)

Pour mieux indiquer quelles sont les questions dont s’occupent les conseillers municipaux, nous donnons ici la nomenclature des six grandes commissions du Conseil municipal de Paris :

1o  Finances. — Contentieux. — Taxes. — Examen des traités. Monopoles. — Services publics municipaux ;

2o  Administration générale de la police. — Sapeurs-pompiers. Domaine ;

3o  Voirie. — Travaux affectant la voie publique ;

4o  Enseignement. — Beaux-Arts ;

5o  Assistance publique. — Mont-de-Piété ;

6o  Hygiène. — Eaux. — Égoûts. — Navigation.

Il est bien évident qu’une femme, non moins qu’un homme, sera également compétente sur tous ces points. Mais il y a maintenant des femmes docteurs en médecine, des licenciées en droit, des agrégées ès lettres ou des ès sciences, des employées d’administration, des ouvrières de toutes professions, qui pourraient être appelées en maintes circonstances à donner un avis judicieux.

Conseils d’arrondissement. — Le Conseil d’arrondissement délibère sur les réclamations auxquelles donnerait lieu la fixation du contingent de l’arrondissement dans les contributions directes. Il délibère également sur les demandes en réduction de contributions formées par les communes. Il donne son avis sur les changements de circonscription du territoire de l’arrondissement, des cantons et des communes, et la désignation des chefs-lieux ; sur le classement et la direction des chemins de grande communication : sur les réclamations relatives aux travaux intéressant plusieurs communes. (Loi du 10 mai 1838, art. 40 et 41.)

Le Conseil d’arrondissement peut adresser directement au préfet, par l’intermédiaire de son président, son opinion sur l’état et les besoins des différents services publics en ce qui concerne l’arrondissement. (Art. 44.)

Enfin, dans sa Seconde session, le Conseil d’arrondissement répartit entre les communes les contributions directes. (Art. 45.)

Les Conseils d’arrondissement s’occupent donc tout particulièrement des contributions. Or, les femmes étant contribuables, elles devraient être appelées à en faire partie.

Conseils généraux. — Le Conseil général vote le budget du département, mais il délibère en outre sur diverses questions.

La loi du 10 août 1871, qui organise l’administration départementale a eu pour but d’étendre le plus possible les libertés locales, et de décentraliser l’organisme départemental, sans nuire à l’unité nationale.

Cette loi a séparé autant qu’il était possible les affaires générales de l’État, des affaires du département donnant au Conseil général une influence prépondérante pour l’administration de toutes les affaires départementales.

Elle a retiré au Préfet le droit de décision qu’il possédait sous l’Empire et sous la Monarchie, et a fait de ce haut fonctionnaire un agent d’exécution des délibérations du Conseil Général, placé sous le contrôle de la Commission Départementale.

Le département de la Seine a été placé hors du droit commun et vit tout à la fois sous partie des lois du 22 juin 1835, 10 mai 1838, 18 juillet 1866, 10 août et 16 septembre 1871.

Le Conseil général de la Seine est divisé en cinq grandes commissions dont les attributions sont les suivantes :

1o Immeubles départementaux ;

2o Routes et chemins. — Assainissement ;

3o Assistance publique ;

4o Beaux-Arts. — Instruction publique ;

5o Finances. — Police. — Prisons.


Participation aux Élections sénatoriales


On a souvent fait remarquer que l’entrée des femmes dans les Conseils municipaux, les Conseils d’arrondissement et les Conseils généraux, entraînerait en même temps leur entrée dans le domaine politique, puisque ces diverses Assemblées sont appelées à former en grande partie le collège électoral pour la nomination des sénateurs.

En effet, la loi du 9 décembre 1884 est ainsi conçue :


Art. 6. — Les sénateurs sont élus, au scrutin de liste quand il y a lieu, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie et composé : 1o  des députés : 2o  des conseillers généraux ; 3o  des conseillers d’arrondissement : 4o  des délégués élus parmi les électeurs de la commune par chaque Conseil municipal.


Que doit-on faire à ce sujet ? Faut-il prendre à l’égard des femmes des mesures d’exclusion et admettre un nouveau régime d’exception qui viendra s’ajouter à tous les anciens ? Est-il préférable, au contraire, de les soumettre purement et simplement au droit commun ?

Il est bien évident que nos préférences vont sans hésitation au second système qui ne nous paraît pas d’ailleurs devoir provoquer des motifs sérieux de crainte.

Nous avons dit précédemment que nous acceptions le principe des étapes successives, mais il nous semble que ces diverses étapes ne doivent pas être franchies brusquement, sans transition. Or, le lien entre les droits municipaux et les droits législatifs serait justement cette participation des femmes aux élections sénatoriales.

Pourquoi n’accorde-t-on pas immédiatement aux femmes l’électorat et l’éligibilité en matière législative ? Parce qu’un certain nombre d’entre elles sont complètement ignorantes de la politique, et incapables de voter d’une façon consciente. Si l’on pouvait accorder les droits politiques aux seules femmes capables d’en user sagement et intelligemment, il n’y aurait sans doute aucune raison pour les leur refuser.

Eh bien cette sélection que nous déclarions ne pouvoir être basée ni sur la fortune ni sur les diplômes, se ferait ici tout naturellement et sans froisser personne.

Quelles seraient donc les femmes appelées à faire partie du collège électoral pour les élections sénatoriales ? Toutes ? Non pas : mais celles qui auraient obtenu déjà de leurs concitoyens un mandat. Et ce serait vraiment faire injure au suffrage universel de penser que les Conseillères ne devraient pas leur élection à leurs capacités et à l’estime qu’elles auraient su inspirer aux électeurs et aux électrices du département. Quant aux femmes qui pourraient être prises sur la liste des électeurs de la commune, il leur faudrait être déléguées par le Conseil municipal qui aurait soin sans doute d’éliminer les incapables ; mais cela n’a pas grande importance, car les Conseillers municipaux ont coutume de choisir les délégués parmi eux, et cette fois encore ce ne serait donc très certainement que des conseillères qui voteraient.

Le suffrage à deux degrés doit par conséquent, rassurer les esprits les plus pessimistes.


Étude de la loi du 5 avril 1884 sur les communes


Nous venons d’énumérer les attributions des Conseils municipaux et généraux, nous devons rechercher maintenant s’il existe dans la loi du 5 avril 1884, qui règle d’organisation des communes, des prescriptions quelconques empêchant l’application de cette loi aux femmes.

Voici quelles en sont les principales dispositions :

Électorat. — Les conseillers municipaux sont élus par le suffrage direct universel.

Sont électeurs tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis, et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi.

La liste électorale comprend : 1o  tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitant depuis six mois au moins ; 2o  ceux qui y auront été inscrits au rôle d’une des quatre contributions directes ou au rôle de prestations en nature, et s’ils ne résident pas dans la commune auront déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux.

Seront également inscrits aux termes du présent paragraphe les membres de la famille des mêmes électeurs compris dans la cote de la prestation en nature, alors même qu’ils n’y sont pas personnellement portés, et les habitants qui, en raison de leur âge ou de leur santé, auront cessé d’être soumis à cet impôt ; 3o  ceux qui, en vertu de l’article 2 du traité du 10 mai 1871, ont opté pour la nationalité française et déclaré fixer leur résidence dans la commune, conformément à la loi du 18 juin 1871 ; 4o  ceux qui sont assujettis à une résidence obligatoire dans la commune en qualité de fonctionnaires publics.

Seront également inscrits les citoyens qui, ne remplissant pas les conditions d’âge et de résidence ci-dessus indiquées lors de la formation des listes, les rempliront avant la clôture définitive. (Art. 14.)

Les dispositions de l’article 14 de la loi du 5 avril 1884 envisageant l’organisation municipale sont applicables à Paris. (Loi du 29 mars 1886.)

Y a-t-il dans tout ceci quoi que ce soit qui motive l’exclusion des femmes ? Assurément non. Les femmes peuvent remplir les conditions de résidence ; elles peuvent être fonctionnaires ; elles paient les impôts. Rien ne s’oppose donc, sinon la routine et les préjugés, à leur inscription sur les listes électorales.

Les quatre contributions directes sont : l’impôt foncier, l’impôt des portes et fenêtres, la cote personnelle mobilière et la patente.

En 1880, une femme refusa de payer ses impôts, parce qu’on ne lui accordait aucun droit. Pas de droit, pas de devoir, » disait-elle. L’affaire vint devant la juridiction administrative, laquelle déclara que la contribution mobilière est due par une fille majeure, ayant des moyens suffisants d’existence, sans que celle-ci puisse se prévaloir de ce que dans l’état actuel de la législation elle ne jouit d’aucun droit politique. (Conseil de préfecture, 11 août 1880 ; Conseil d’état, 8 avril 1881).

Ces décisions sont en contradiction formelle avec les principes suivants, émis dans la déclaration des Droits de l’homme :

Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. (Art. 13).

Chaque citoyen a le droit, par lui-même ou par ses représentants, de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. (Art. 14.)

Ainsi, d’après le Conseil d’État, lorsque l’on dit tous les citoyens doivent payer l’impôt, cela signifie : tous les hommes et toutes les femmes. Mais, lorsqu’il s’agit de contrôler, le mot citoyen change de sens et s’applique uniquement aux hommes.

N’est-ce point là une nouvelle preuve que les Droits de l’homme ne sont point ceux de tous les humains ?

Les conditions du paiement de la prestation en nature sont réglées par la loi du 21 mai 1836 :


Tout habitant, chef de famille ou d’établissement à titre de propriétaire, de régisseur, de fermier ou de colon partiaire, porté au rôle des contributions directes, pourra être appelé à fournir une prestation en nature.

Tout individu, même non porté nominativement au rôle des contributions directes, même âgé de moins de dix-huit ans ou de plus de soixante ans, même invalide, même du sexe féminin, même enfin n’habitant pas la commune, si cet individu est chef d’une famille qui habite la commune, ou si à titre de propriétaire, de régisseur, de fermier ou de colon partiaire, il est chef d’une exploitation agricole ou d’un établissement situé dans la commune, est passible de la prestation ; dans ce cas toutefois, il ne doit pas la prestation pour sa personne, mais il la doit pour tout ce qui, personne ou chose, dans la limite de la loi, dépend de l’exploitation ou de l’établissement dont il est propriétaire ou qu’il gère à quelque titre que ce soit (Art. 3.)


Donc, en vertu de ce texte, la femme, chef de famille ou chef d’exploitation, paie la prestation en nature, pour les hommes qui dépendent de son établissement : puis, conformément à la loi de 1884, ceux-ci vont se faire inscrire sur la liste électorale, tandis que la véritable contribuable, la femme qui a payé l’impôt, demeure exclue.

Cette constatation devait être faite pour mieux démontrer toutes les iniquités de notre législation.


Éligibilité. — Sont éligibles au Conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits au 1er  janvier de l’année de l’élection, âgés de vingt-cinq ans accomplis. (Art. 31.)

Ne peuvent être conseillers municipaux : 1o  les individus privés du droit électoral ; 2o  ceux qui sont pourvus d’un conseil judiciaire ; 3o  ceux qui sont dispensés de subvenir aux charges communales et ceux qui sont secourus par les bureaux de bienfaisance ; 4o  les domestiques attachés exclusivement à la personne. (Art. 32).


On n’aperçoit en tout ceci aucune mesure d’exclusion visant les femmes. Il apparaît au contraire que le droit d’éligibilité. dépend beaucoup du paiement des impôts, de la contribution aux charges de la commune, et l’on conçoit alors difficilement que les femmes soient éliminées, puisqu’elles ne sont pas exemptes d’impôts.

Invoquera-t-on l’ignorance de quelques-unes ? Nous répondrons alors par un extrait des débats parlementaires, et par quelques arrêts du Conseil d’État.


Lors de la seconde délibération à la Chambre des députés, M. Lenient avait proposé, dans la séance du 5 juillet 1883, d’écarter les illettrés, mais cet amendement n’a pas été pris en considération. (La Loi municipale. Commentaire par Léon Morgand).


Le Conseil d’État a déclaré qu’on ne pourrait écarter un candidat sous le prétexte qu’il serait faible d’esprit ou imbécile (9 décembre 1871), ou qu’il aurait des habitudes d’intempérance (8 novembre 1878), à moins qu’il n’ait été déclaré déchu de ses droits d’électeur par application de la loi du 23 janvier 1873 sur l’ivresse.

Il a fait mieux encore. Il a décidé à maintes reprises que, pour l’éligibilité aux fonctions de maire, on ne saurait écarter un conseiller sous prétexte qu’il serait illettré (2 août 1878, 17 janvier 1879, 6 mars 1885).

Les illettrés, les idiots et les ivrognes peuvent donc faire partie du Conseil municipal, ils peuvent même remplir les fonctions d’officier de l’état-civil. Quelle jolie garantie, en vérité, pour la bonne administration de la commune ! Et l’on se demande vraiment par quelle aberration de l’esprit on reprocherait aux femmes l’incapacité de certaines d’entre elles, alors que les autres peuvent être instruites, intelligentes… et sobres surtout. Mais il paraît qu’être femme constitue un vice rédhibitoire !

C’est d’ailleurs ce qui ressort d’un jugement de justice de paix rendu en 1908, et dont nous extrayons le passage suivant :


Attendu que les lois et décrets régissant les élections politiques ne contiennent aucune disposition permettant expressément aux femmes d’être inscrites sur les listes électorales.

Telle est à peu près l’opinion de M. Armand Bernard, secrétaire général de la préfecture de la Seine, qui, dans un interview du Temps, (29 avril 1908) s’exprimait en ces termes :

Sans doute la loi de 1884 n’interdit pas aux femmes de se faire inscrire sur les listes électorales et de poser leur candidature, mais elle ne leur donne pas non plus ce droit, et le ministère de l’Intérieur a toujours interprété la loi dans un sens contraire aux désirs des féministes.


Il est ainsi des droits qui ne sont ni donnés ni interdits aux femmes ! Bizarre situation faite par la loi qui peut être interprétée, selon les cas, dans un sens large ou restreint. Il suffirait donc qu’un ministre de l’Intérieur adressât aux maires une circulaire relative au vote féminin pour qu’immédiatement tout changeât. Mais le ministre qui oserait cet acte n’est pas encore né !

C’est cependant par une simple circulaire que les ouvriers ont été admis à faire partie du jury… mais le jury est composé d’hommes, et voilà qui explique bien des choses.

Nous ne pensons pas que, sans une loi, les femmes parviennent à prendre part à une élection quelconque.

Nous vous proposons donc d’adopter, pour le transmettre au Parlement, le projet de résolution suivant :

Le Conseil national des femmes françaises émet le vœu :

Que le Parlement, pour préparer l’égalité intégrale des deux sexes en matière politique, accorde promptement aux femmes l’électorat et l’éligibilité pour les Conseils Municipaux, les Conseils d’arrondissement et les Conseils généraux.

Maria Vérone,
avocate à la Cour d’appel de Paris.

Ce vœu, mis aux voix est adopté à l’unanimité avec remerciements à la Section du Suffrage pour l’activité qu’elle montre et félicitations à Mme Maria Vérone pour son lumineux rapport.


● ● ●


Après l’adoption de ce rapport par l’Assemblée générale du Conseil National des Femmes, la Section en décide l’impression et l’envoi aux membres de la Commission de la Chambre, au groupe féministe présidé par M. Beauquier, ainsi qu’à tous les députés et sénateurs.

Mme Marie Georges Martin, présidente de la Section, a fait alors remarquer que si le Parlement accepte — comme les femmes ont le droit de l’espérer — de leur accorder immédiatement l’électorat et l’éligibilité pour les assemblées départementales et communales le nombre des électeurs va plus que doubler.

Il deviendra nécessaire alors d’augmenter le nombre des conseillers généraux, des conseillers d’arrondissements et des conseillers municipaux, dans une proportion que le Parlement aura à apprécier et à déterminer.

Il apparaîtra même probablement, aux partisans de la représentation proportionnelle qu’il leur appartient d’étudier la question de la représentation proportionnelle des femmes dans toutes les assemblées délibérantes, si on ne leur accorde pas immédiatement les droits politiques intégraux.

Il y aura donc lieu de faire aussi une démarche près du groupe de députés qui s’occupe de la question de la représentation proportionnelle.

C’est même peut-être dans la solution de cette question de la représentation proportionnelle que se trouvera aussi la solution possible d’accorder aux femmes les mêmes droits sociaux, civils et politiques qu’aux hommes.

La femme, être humain comme l’homme, doué de raison comme lui, génératrice et première éducatrice de l’enfant, obligée aux mêmes devoirs que lui dans la famille et dans la société, passible des mêmes peines que lui, doit posséder les mêmes droits que l’homme et participer à la confection des lois avec lui.

La proclamation des droits de l’homme et du citoyen en 1789 fut une des plus belles étapes dans la voie du progrès humain, et, au commencement de ce xxe siècle de justice, de science et de vérité, la République Française a le devoir l’obligation même, de proclamer « le Droit Humain », qui est l’affirmation de l’égalité intégrale à laquelle ont droit les deux sexes, dans la famille et dans la Société Républicaine et Démocratique.



CONSEIL NATIONAL DES FEMMES PRANÇAISES



STATUTS



I. — Dénomination, But, Siège.


Article premier. — Il est formé à Paris, le 18 avril 1901, une Fédération des Sociétés féministes et Œuvres féminines, créées par des femmes ou pour des femmes, sous la dénomination de « Conseil National des Femmes Françaises ».

Art. 2. — Le but du Conseil National est d’établir un lien de solidarité entre les diverses Sociétés et Œuvres s’occupant de la condition et des droits des femmes, qui permette à ses membres de conférer ensemble sur les questions relatives à leurs intérêts sociaux et matériels, à leurs droits et à leurs devoirs, dans la société et dans la famille.

Art. 3. — Le siège du Conseil National est à Paris.

Art. 4. — Le Conseil National est affilié au Conseil International des Femmes (International Council of Women).


II. — Constitution du Conseil national et de son Bureau


Art. 5. — Toutes les Œuvres féminines, toutes les Sociétés qui poursuivent l’amélioration du sort de la femme au point de vue éducatif, économique, social, moral, philanthropique ou politique, pourront faire partie du Conseil National et nommeront deux déléguées de nationalité française pour les y représenter : une déléguée permanente et une déléguée suppléante.

Le suffrage de chaque Société s’exprime par une seule voix aux Assemblées du Conseil. La déléguée permanente est titulaire de cette voix, qui passe en son absence à la déléguée suppléante.

La déléguée suppléante a toujours voix consultative, de même que les membres d’honneur, les membres auxiliaires et les membres individuels.

Les séances sont ouvertes aux membres du Conseil et à ceux des Conseils étrangers de passage à Paris.

Art. 6. — Pour faire partie du Conseil National, les Sociétés devront en adresser la demande, par écrit, au Bureau, et accompagner cette demande d’un rapport sur leurs travaux, et leur bon fonctionnement administratif. Elles devront justifier de deux années d’existence et de 25 membres au moins.

Pour faciliter l’entrée de l’élément ouvrier dans le Conseil National des Femmes Françaises, il a été décidé que les syndicats et coopératives mixtes pourront être admis au Conseil National à condition toutefois qu’ils constituent un groupement exclusivement féminin de 25 membres au moins, auquel on tiendra compte des années d’existence du syndicat et qu’un procès-verbal sera fourni de la séance où la constitution de ce groupement aura été décidée.

Les mêmes conditions seront faites aux sociétés mixtes ayant pu former un groupement distinct de femmes de 25 membres au moins.

Le Bureau soumettra ces demandes à la plus prochaine réunion du Conseil National, qui en votera l’admission ou le rejet.

Art. 7. — Les femmes qui auront rendu des services notoires à la cause féministe pourront faire partie du Conseil National, à titre de membres d’honneur, à la condition, toutefois, qu’elles soient élues, au scrutin secret et à la majorité des trois quarts des membres votants. Leur candidature aura été proposée à la séance précédente. Le nombre des personnes qui seront admises exceptionnellement ne pourra pas s’élever au-dessus de dix.

À côté des membres d’honneur, le Conseil National accepte la collaboration de personnes susceptibles de l’intéresser particulièrement à ses travaux.

1o À titre de membres auxiliaires ;

2o À titre de membres individuels ;

Art. 8. — Le Conseil National nomme un Comité exécutif de 12 membres, lequel élit son bureau ; à ces 12 membres sont adjoints deux membres suppléants. Les Présidentes de section, les membres d’honneur et les membres auxiliaires pourront assister aux séances du Comité exécutif.

Art. 9. — Ce bureau est composé de : une Présidente, quatre Vice-Présidentes, une Secrétaire générale, deux Secrétaires, une Trésorière.

Art. 10. — Le Bureau du Comité exécutif est nommé pour une période de trois années. Il est renouvelable par tiers. Les membres fondateurs sont de droit et à vie membres du Conseil.

Art. 11. — Si une vacance, par démission ou par décès, vient à se produire dans le Comité exécutif, il y sera pourvu par un des membres suppléants, qui pourront toujours assister aux séances et auront voix consultative.

Art. 12. — La présence de 7 membres au moins est nécessaire pour la validité des décisions du Comité exécutif. En cas de partage des voix, celle de la Présidente est prépondérante.

Art. 13. — Il est tenu un registre des procès-verbaux des réunions du Comité exécutif. Ces procès-verbaux sont signés par la Présidente et la Secrétaire générale et la secrétaire rédactrice.


III. — Administration et Fonctionnement.


Art. 14. — Les réunions du Conseil National ont lieu cinq fois par an ; elles comprennent quatre Assemblées statutaires et une Assemblée générale publique.

Elles sont présidées par la Présidente du Conseil National, ou l’une des Vice-Présidentes.

Art. 15. — L’ordre du jour de l’Assemblée générale est arrêté par le Comité exécutif.

Chaque membre du Conseil a le droit de demander la mise à l’ordre du jour d’une question déterminée ; mais il devra adresser sa demande au moins trois mois avant la réunion du Conseil. Le Bureau décide s’il y a lieu d’y faire droit.

En cas de non-acceptation par le Comité exécutif, la question pourra être présentée à l’Assemblée générale lorsque l’ordre du jour sera épuisé et sur décision spéciale de l’Assemblée générale.

Les convocations devront être adressées un mois à l’avance.

Art. 16. — Les délibérations sont prises à la majorité des membres présents ou représentants. La voix de la Présidente est prépondérante.

Art. 17. — Le vote a lieu à mains levées, sauf pour les questions de personnes, où il a lieu au scrutin secret.

Art. 18. — Les décisions du Conseil National, prises conformément aux statuts, engagent tous les membres du Conseil, même les absents.

Art. 19. — Les procès-verbaux des séances du Conseil National doivent être signés par la Présidente et la Secrétaire Rédactrice et consignés sur un registre spécial, lequel restera au siège social.

Art. 20. — Il doit être tenu une feuille de présence à chaque réunion du Conseil.

Art. 21. — Le Comité exécutif reçoit du Conseil National le pouvoir de le représenter, d’agir en son nom, de faire ou autoriser tous les actes relatifs à son objet.

Il représente le Conseil National vis-à-vis des tiers, fixe les dépenses générales d’administration et règle les abonnements de toutes sortes, touche les cotisations et détermine le placement des fonds disponibles.

Il arrête les états de situation et rédige les rapports qui doivent être soumis au Conseil, statue sur toutes les propositions à lui faire et détermine toute action judiciaire.

Art. 22. — Toutes les décisions à prendre sont soumises, au préalable, au vote du Conseil ; quant aux mesures prises d’urgence par le Comité exécutif, en dehors du Conseil, elles devront être soumises à son approbation dans la plus prochaine séance.

Art. 23. — Les membres du Comité exécutif ne contractent, à raison de leur gestion, aucune obligation personnelle, relativement aux engagements pris au nom du Conseil. Le Conseil est responsable des engagements pris en son nom.

Art. 24. — Le Conseil National est représenté en justice ainsi que dans tous les actes de la vie civile, par la Présidente ou la Secrétaire générale.

Art. 25. — Les ressources du Conseil National se composeront :

1o D’une cotisation annuelle de 20 francs pour chaque Société adhérente ; cette cotisation sera réduite à 10 francs pour les Syndicats ouvriers et les groupes universitaires ;

2o Des dons et subventions qui pourraient lui être accordés ;

3o Du produit des ressources créées à titre exceptionnel, avec l’autorisation du Gouvernement ;

4o Du revenu de ses biens et valeurs de toute nature.

5o D’une cotisation annuelle de 100 francs par membres auxiliaires !

6o D’une cotisation annuelle de 10 francs par membres fondateurs ;

7o D’une cotisation annuelle de 5 francs par membres individuels.

Art. 26. — Les fonds disponibles sont placés en rentes nominatives de 3 % sur l’Etat, ou en obligations nominatives des Chemins de fer, dont le minimum d’intérêt est garanti par l’État.

Art. 27. — Les statuts ne pourront être modifiés que sur la demande d’un quart au moins des membres du Conseil.

Art. 28. — Le vote de modification des statuts n’est acquis qu’à la majorité des deux tiers des membres votants.

Art. 29. — La dissolution ne peut être prononcée qu’à la majorité des trois quarts des membres du Conseil.

Art. 30. — En cas de dissolution du Conseil National, l’actif de l’Association sera attribué, par décision du Conseil, à une ou plusieurs Sociétés féministes ou s’occupant d’œuvres féminines.



RÈGLEMENT DU CONSEIL NATIONAL



Article premier. — Les membres du Comité d’initiative nommés par les Congrès et la Présidente du Comité d’initiative restent de droit membres du Conseil National sans être obligées d’y être déléguées par une Société.

Art. 2. — Chaque groupe, société ou syndicat, doit être représenté au Conseil National par deux de ses membres ; la même personne ne peut être déléguée par plusieurs sociétés.

Les groupes corporatifs doivent se faire représenter par deux membres de leur corporation.

Art. 3. — Afin d’assurer son bon fonctionnement, et pour faciliter son travail, le Conseil National a constitué plusieurs sections.

Ces sections sont autonomes et peuvent appeler des hommes et des femmes n’appartenant pas au Conseil à participer à leurs travaux.

Art. 4. — Cependant, comme le Conseil National endosse la responsabilité des décisions et des actes des sections, celles-ci sont tenues d’informer le Comité Exécutif des questions qu’elles mettent à l’ordre du jour. Ces questions une fois étudiées, chaque section doit, dans l’intérêt même de l’unité d’action du Conseil, soumettre au Comité Exécutif, qui les propose au vote de l’assemblée statutaire, les conclusions de ses travaux.

Art. 5. — Le Comité Exécutif doit être informé à l’avance de toute démarche faite auprès des pouvoirs publics revêtant un caractère officiel et deux membres du bureau, au moins, doivent faire partie des délégations nommées à cet effet, par les sections.

Art. 6. — Le Conseil National défraie les sections de tous frais d’administration. Les dépenses supplémentaires de quelque ordre qu’elles soient, ne peuvent être engagées sans l’assentiment préalable du Comité Exécutif qui, s’il les autorise, doit les faire approuver par la prochaine assemblée statutaire.

Art. 7. — Les réunions publiques ou autres manifestations extérieures ne peuvent être organisées au nom du Conseil National sans l’assentiment de ses membres.

Art. 8. — Toutes les propositions ou notions soumises aux assemblées statutaires, doivent être déposées en double exemplaire sur le bureau.

Art. 9. — Les oratrices ne pourront occuper la tribune pendant plus de dix minutes, ni parler plus de deux fois dans la même séance sur le même sujet, à moins que l’Assemblée, consultée par la Présidente, n’en décide autrement. Les Présidentes de section ne pourront déposer qu’une seule proposition par séance.

Art. 10. — Les attaques personnelles sont rigoureusement interdites.

Art. 11. — Toute personne ayant causé du scandale sera d’office exclue du Conseil National après décision du Comité Exécutif. Le Bureau statue en dernier ressort sur tous incidents non prévus par le règlement.

Art. 12. — Afin de faciliter la propagande régionale, les sociétés affiliées forment une branche du Conseil par département. Les déléguées des sociétés qui composent chaque branche nomment elles-mêmes le bureau chargé d’organiser leurs réunions et leurs travaux communs.

Tout effort de propagande régionale, doit rester conforme aux présents statuts et règlements, et aux décisions des assemblées.

APPEL
DE LA
SECTION DU SUFFRAGE
Aux Femmes Françaises
de toutes les conditions sociales.


Êtes vous d’avis qu’à travail égal la femme a droit à un salaire égal ?

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Êtes-vous d’avis que la Chambre et le Sénat doivent faire une loi pour combattre l’alcoolisme ?

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Ne trouvez-vous pas injustes les lois actuelles contre la fille mère et son enfant ?

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Ne doit-on pas rechercher le père pour l’obliger à supporter sa part des charges pour élever l’enfant ?

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Ne trouvez-vous pas que dans le mariage les droits du père et ceux de la mère doivent être égaux ?

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Êtes-vous lasses, femmes, d’être sacrifiées dans les lois qui vous créent un état d’infériorité sur l’état de l’homme, presque en tout et pour tout ?

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Si vous voulez vos droits égaux à ceux de l’homme, dans la famille et dans la société, demandez partout et toujours, chaque fois que vous en aurez l’occasion, le DROIT DE VOTE qui, seul, vous conduira à faire régner la justice dans la famille et dans la société ?


Adresser les réponses à Mme Marie Georges Martin, présidente de la Section du Suffrage, 20, rue Vauquelin, en faisant connaître son nom et son adresse pour recevoir les communications.

  1. La Section du Suffrage des Femmes se compose de : Mme Marie-Georges, Martin, présidente ; Mmes Maria Martin et Louise Péronneau, vice présidentes Mlle Julie Auberlet, secrétaire : Mlle Cécile Cahen, trésorière, Mmes d’Abbadie d’Arrast, Belmart, Gobard, Hammer, Hennique, Renée Georges Leau, José Vialla, Petitjean : Mlle Nicolette Hennique ; Mmes Raphenaud, la Générale Valabrègue, Maria Vérone etc., membres de la Section.