Ariane (Mendès)

La bibliothèque libre.
PhilomélaJ. Hetzel, libraire-éditeur (p. 17-31).

ARIANE



Azur, neige, cinabre !
Splendeur et pur dessin
Du sein
Dont la pointe se cabre !


Fureurs de Fastre ! essor
Rouge dans la nuit noire !
Ô gloire
Des chevelures d’or !

Aube énorme des pôles !
Baiser torrentiel
Du ciel
Sur les belles épaules !

Vague dispersion
Des célestes fumées
Pâmées
Dans les bras d’Ixion !


Candeur des citronnelles !
Mânes des lys défunts !
Parfums
Des lampes éternelles !
 
Rhythme pompeux du vers !
Blanches apothéoses
Des choses
Dans les soleils ouverts !
 
Déchirement des voiles,
Et tout ce que l'orgueil
De l’œil
Cherche dans les étoiles :


Les Dieux l’ont amassé
Dans les bras d’Ariane,
Liane
Où je suis enlacé.

Ariane, farouche
Habitante des bois,
Je bois
Les baumes de ta bouche !

C’est toi qui me conduis
À travers l’épouvante
Vivante
Des forêts et des nuits !


Les bêtes, dans nos courses,
Te suivent par convois ;
Ta voix
Charme le cœur des ourses !

Les chats-tigres félons
Baisent avec délices
Les lisses
Rougeurs de tes talons !
 
Tu courbes la panthère
À subir comme moi
La loi
Divine d’un mystère !


Ô reine-enfant ! tu peux
Interrompre d’un geste
La sieste
Des grands lions pompeux,

Et, caprices énormes,
Rougir leur vaste flanc
Du sang
Des mûres ou des cormes,

Et mêler à foison
Leur crinière moins blonde
À l'onde
Folle de ta toison,


Et bientôt sur les lierres
T’assoupir à demi
Parmi
Leurs troupes familières,
 
Cependant que le feu
De ta lèvre m’abreuve,
Ô veuve
Adorable d’un Dieu !

Mais, enfant, puisque l’ombre
Des grands ravins te plaît,
Il est
Une forêt plus sombre.


Ta nuque où l’astre luit
N’a pas d’or sous le peigne
Qui teigne
D’aurore cette nuit !

Solitudes funèbres
Que roule vers l’enfer
La mer
Houleuse des ténèbres !

Là, jamais le sanglant
Éclair de l’escarboucle
Qui boucle
Ta ceinture à ton flanc,


Ni ton regard qui creuse,
Comme un soleil, des trous
D’or roux
Dans la nuit ténébreuse,

Ni tes lèvres en fleurs
Ne pourraient faire luire
Le rire
Éclatant des couleurs !

C’est l’énorme broussaille
Et l’antre et le ravin
Qu’en vain
L’aube candide assaille,


C’est le gouffre vainqueur
Du ciel et le désastre
De l’astre,
C’est mon cœur ! c’est mon cœur !

Ô détestable gîte
De monstres ! longs abois
Du bois
Qu’un souffle impur agite !

Dans les repaires noirs
Où leur venin s’égoutte,
J’écoute
Ramper mes désespoirs !


Mes remords, bêtes mornes,
Passent en défaillant,
Fouillant
Leurs ventres de leurs cornes,
 
Et des singes poltrons
À la paupière bleue
La queue
S’enlace autour des troncs !

Amoureuse des roses
Et des œillets naissants,
Descends
Dans mon cœur, si tu l’oses,


Dans mon cœur dévasté,
Ô vivante statue
Vêtue
De ta seule beauté !
 
Sois l’amour ! sois l’aurore !
Perce, rayon d’azur,
Le mur
De la nuit incolore !

Que sur l’ombre l’amour
Éperdu se déploie
Et noie
La haine dans le jour !


Et les monstres infâmes
Sentiront, sous tes yeux,
En eux
Des éclosions d’âmes !
 
Et pareille au chasseur
Qui rapporte avec joie
Sa proie,
Ariane, ma sœur,

Des gouffres infertiles
Quand tu remonteras,
Les bras
Enlacés de reptiles,


La troupe des amants
Chantera sur l’ivoire
La gloire
Des sourires charmants,
 
Et, reine aux belles poses,
On te verra, le soir,
T’asseoir
Dans les apothéoses !
 
Tandis que, triomphant,
Je baiserai les roses
Décloses,
Ô délicate enfant


Dont le rire m’accueille,
La nuit, dans les massifs
Lascifs
D’orne et de chèvre-feuille !