Arrête-toi !

La bibliothèque libre.
Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes, 50e année , 5e série (p. 490).

Arrête-toi !

Arrête-toi ! telle qu’en cet instant je te vois, reste pour toujours dans ma mémoire !

Un dernier son inspiré s’est échappé de tes lèvres — tes yeux ne brillent et n’étincellent plus — ils s’éteignent lourds de bonheur, de béatitude consciente, devant cette beauté que tu as réussi à évoquer, vers laquelle tu sembles tendre tes bras triomphants et lassés.

Quelle est cette lumière plus subtile et plus pure que celle du soleil, répandue sur ton corps tout entier, et jusque dans les moindres plis de tes vêtements.

Quel dieu, d’un souffle caressant, a rejeté les boucles éparses de tes cheveux ? Sur ton front, devenu pâle comme le marbre, brûle encore sa caresse divine.

Les voilà découverts à nos yeux, les mystères, mystères de la poésie, de la vie, mystères de l’amour ! La voilà, la voilà, l’immortalité ! Il n’en est pas d’autre, et il n’en faut pas d’autre. En cet instant, tu es immortelle !

Cet instant passera, et tu redeviendras un peu de poussiére, une femme, un enfant… Mais que t’importe, puisque, un instant, tu es montée si haut que tu as franchi les limites de ce qui passe, de ce qui n’est pas éternel ! Cet instant, qui t’appartient, ne finira jamais.

Arrête-toi ! Laisse-moi prendre ma part de ton immortalité, et consens que sur mon âme tombe le reflet de ton éternité.


Novembre 1870.