Artaxerce (Delrieu)/Notes

La bibliothèque libre.
Giguet et Michaud (p. 113-139).
NOTES
DES ÉDITEURS.

a) Et à St.-Cloud, le 18 août de la même année, devant Leurs Majestés Impériales et Royales.

On jouait ce jour-là, avec Artaxerce, la comédie du Legs, dans laquelle mademoiselle Émélie Levert paraissait pour la première fois devant Leurs Majestés dans le rôle de la comtesse : ce jour a été doublement heureux ; l’Empereur, satisfait de la représentation de ces deux pièces, a accordé à l’auteur d’Artaxerce une pension de 2,000 fr., et à mademoiselle Émélie Levert une gratification de 5,000 fr.

b) Mlle. Bourgoin.

Mademoiselle Bourgoin n’a point créé le rôle de Mandane. On sait que mademoiselle Georges (actuellement à Pétersbourg) l’a joué quatre fois avant son départ pour la Russie. Nous ne chercherons pas à expliquer une aventure inexplicable ; par égard pour cette beauté fugitive, nous aimons mieux épaissir que déchirer le voile mystérieux qui couvre la cause de sa retraite inattendue. Nous nous bornerons à rendre justice au talent de mademoiselle Bourgoin, qui, empressée de rendre Artaxerce au public qui en était privé par la disparition de mademoiselle Georges, a vu et voit encore tous les jours de plus en plus son zèle et son dévoûment couronnés par le plus heureux succès.


1) Page 3, vers 20.

Devant quelques vaisseaux ce fier tyran des mers
Recule, et de sa fuite étonne l’univers.

L’histoire de Xercès, après sa défaite à Salamine, la conjuration d’Artaban contre ce fantôme de roi, l’ambition démesurée de ce vieux guerrier, courtisan et profondément hypocrite, enfin la catastrophe qui en fut le résultat, sont des faits si généralement connus, qu’il est inutile de les rappeler ici. Notre but, en publiant la tragédie nouvelle d’Artaxerce, est uniquement de comparer cet ouvrage à ceux des divers auteurs qui ont traité le même sujet, et de découvrir dans cette comparaison par quel art M. Delrieu a su trouver un succès brillant où tous ses devanciers n’avaient rencontré que des demi-succès ou des chutes. Nous pensons que ces recherches peuvent être utiles aux progrès de l’art dramatique.

Nous ne parlerons pas des prétendues tragédies de Magnon, en 1645 ; de Boyer, en 1682 ; de Deschamps, en 1721 ; ni surtout de Bursay, en 1765 ; (cette pièce en trois actes, qui est traduite littéralement de Métastase, et qui présente les défauts du célèbre poète italien, sans offrir ses beautés, est si faiblement écrite et conçue, qu’elle fut refusée à la Comédie Française, et ne fut jouée que par les acteurs du Théâtre Montansier, alors à Versailles.) Nous n’avons pas l’inutile projet de tirer ces pièces de l’oubli où elles sont plongées ; nous ne rappellerons ici que trois ouvrages plus estimables : c’est-à-dire, 1°. Xercès, de Crébillon, qui fut joué en 1714, et n’eut qu’une représentation ; 2°. la tragédie lyrique de Métastase, qui, sans fatiguer les spectateurs, a pour ainsi dire lassé les compositeurs italiens, et qui, mise si souvent en musique, a toujours charmé et charme encore les vrais amis de la littérature italienne, malgré les fadeurs amoureuses qui refroidissent un sujet si éminemment tragique et arrêtent la marche de l’action ; 3°. l’Artaxerce de Lemierre, joué en 1766, qui eut quelque succès, mais ne resta point au théâtre, parce que la plupart des défauts pardonnés dans un opéra italien, furent relevés et condamnés dans une tragédie française.


2) Page 4, vers 11.

Hautement se vantait d’envahir ses états.

L’auteur du nouvel Artaxerce commence par répandre un grand intérêt sur ses deux principaux personnages, Artaban et son fils Arbace, en représentant le premier comme un modèle de fidélité envers son roi vaincu, fugitif et malheureux ; le deuxième comme le vengeur du nom persan dont il relève, chez les Parthes, la gloire obscurcie chez les Grecs par la honteuse défaite de Xercès. Artaban, qui a si long-temps défendu le trône contre les tentatives des factieux, et notamment contre le mage Smerdis, serait resté inviolablement attaché à Xercès, auquel il a rendu le trône après sa défaite, si cet ingrat n’eût violé le serment fait à Arbace, de lui accorder le triomphe et Mandane, s’il revenait vainqueur des Parthes. L’indignation d’un père grièvement blessé dans la personne de son fils adoré, fait presque excuser le crime qu’il commet par excès de tendresse. Ce motif, qui rend la conjuration raisonnable et presque légitime, n’existe ni dans Crébillon, ni dans Métastase, ni dans Lemierre, et fait le charme et l’intérêt principal de la tragédie nouvelle. Dans Crébillon, Artaban n’a point de fils ; il n’agit que pour satisfaire sa propre ambition ; sa scélératesse parut atroce et absurde en entassant, pour lui seul, crimes sur crimes ; ajoutez à cela les fades lamentations d’une Amestris, d’un Darius, d’un Artaxerce, d’une Barsine, et vous ne serez pas surpris que cette intrigue, à la fois révoltante et comique, n’ait eu qu’une représentation. Lemierre a été moins malheureux ; mais il n’a fait que délayer en cinq actes les trois actes de l’opéra italien ; il a même retranché la première scène où Arbace et Mandane se font leurs adieux dans Métastase, et il commence par la scène de l’assassinat de Xercès. On voit, au lever de la toile, Artaban sortir de l’appartement du roi le fer sanglant à la main. Si c’est là une exposition, que nous réserve-t-il au dénoûment ? M. Delrieu a senti le danger de cette exposition ex abrupto, et a imaginé les deux premiers actes qui, en ménageant la surprise, graduent l’intérêt jusqu’à la scène de l’épée sanglante, qui fait alors un grand effet, parce qu’elle est bien préparée.
3) Page 5, vers 12.

Ordonne qu’Artaxerce, injuste envers Arbace,
Usurpe ses lauriers et triomphe en sa place.

L’injustice de cet ordre de Xercès, son ingratitude envers le héros pacificateur de la Perse et vengeur de son pays, révoltent les spectateurs contre ce monarque imbécile et orgueilleux que l’auteur a eu grand soin d’avilir et de cacher aux yeux du parterre. Les défauts et la nullité de ce personnage contrastent merveilleusement avec les qualités héroïques de son fils, qui a la générosité de réclamer, pour le vainqueur, le triomphe qu’on destine injustement à l’héritier du trône. C’est de ce double contraste entre l’injustice de Xercès et l’équité d’Artaxerce, entre l’ambition d’Artaban et la fidélité d’Arbace, que résultent la force et la rapidité des situations qui assurent à la nouvelle tragédie un succès constant au théâtre.
4) Page 6, vers 16.

....Xercès, confus de mes secours,
Ne me pardonne pas d’avoir sauvé ses jours !…

Mégabise, ainsi qu’Artaban, verse le mépris sur Xercès, en motivant sa haine fondée sur des injustices qui lui sont personnelles. L’indignation de Mégabise doit donc égaler celle d’Artaban, surtout en apprenant de ce dernier que Xercès n’attend le vertueux Arbace

Qu’afin de le bannir, ou pour l’assassiner.

Ils sont donc tous deux en quelque sorte autorisés à venger l’honneur du héros fidèle, en punissant le despote parjure. Si Artaban eût agi pour lui-même, il eût fait horreur. Après trente ans de vertus, il commet un premier crime pour son fils ; on le plaint. Rien de tout cela dans Crébillon, ni Lemierre, ni Métastase.


5) Page 10, vers 14.

Ce prince est un héros dont l’origine illustre
À l’éclat de sa gloire ajoute un nouveau lustre.

Artaban rend, ainsi que Mégabise, justice aux vertus d’Artaxerce. Mais il lui suffit qu’il soit né du tyran pour qu’il mérite la mort. Aussi mène-t-il de front cette double entreprise ; ce qui ne fait alors qu’un seul et même nœud. On espère d’avance que si le faible Xercès succombe, son généreux fils saura se défendre ; et de-là le plus puissant intérêt, qui naît naturellement de l’incertitude des évènements ; incertitude qui tient constamment les spectateurs en haleine, jusqu’à la catastrophe qu’on ne peut soupçonner, même au moment où Artaxerce présente à Arbace la coupe empoisonnée.


6) Page 22, vers 8.

Le triomphe appartient au vengeur de l’état.
Ce vengeur est Arbace ; heureux par sa victoire,
Je réclame pour lui les palmes de la gloire.

Ce trait de vertu et de désintéressement ennoblit singulièrement le caractère d’Artaxerce, et répand sur tout son rôle un intérêt qui ne se trouve dans aucun des ouvrages composés sur le même sujet.
7) Page 26, vers 8.

Je lui désobéis ; l’honneur m’en fait la loi.
Une gloire usurpée est indigne de moi.

Les applaudissements redoublés que ce récit obtient constamment au théâtre, attestent également l’heureuse invention des deux premiers actes, et le talent distingué de M. Lafond, qui, par la manière à la fois simple et noble, naturelle et brillante, avec laquelle il rend ce récit et le rôle entier d’Artaxerce, a fait faire un pas de géant à sa réputation.


8) Page 29, vers 12.

Vous, tremblez pour un père, et songez qu’aujourd’hui
Un seul pas indiscret peut vous perdre avec lui.

Ce personnage de Cléonide, qui défend avec zèle un roi qui ne sait se défendre lui-même, a été heureusement substitué à ce même roi, dont la présence serait de toute nullité et paralyserait l’action.
9) Page 32, vers 16.

Seul, je viens en ces lieux interroger mon fils.

Cette situation, où Artaban paraît ne vouloir, aux yeux de Xercès et de Cléonide, que sonder le cœur d’Arbace, injustement accusé ; tandis qu’il n’a d’autre projet que de le séduire et de le déterminer à entrer dans la conspiration et à s’emparer du trône, qu’il a préservé de sa chute, est une invention très heureuse, qui a fourni à M. Delrieu une des plus belles scènes de sa tragédie. Dans cette scène M. Saint-Prix, étonnant dans tout le rôle d’Artaban, est réellement sublime. Il a, en général, parfaitement saisi toutes les nuances de ce grand caractère ; sa pantomime est effrayante de vérité. Il a surtout senti que le crime dont il se rend coupable, rendrait Artaban odieux, s’il ne glissait, pour ainsi dire, sur l’horreur qu’imprime l’assassin, afin d’appuyer davantage sur l’intérêt qu’inspire le père. Cette composition hardie et savante a puissamment contribué au succès de la tragédie que nous publions, et a doublé la réputation de cet acteur, si justement estimé.
10) Page 33, vers 10.

On me défend de voir ce guerrier magnanime
Que l’univers contemple et que l’envie opprime.

Dans Métastase, non seulement Mandane a avec Arbace plusieurs scènes d’amour, déplacées dans un sujet si terrible et insupportables même dans un opéra ; mais encore cet amour se croise avec ceux de Sémire, d’Artaxerce et de Mégabise. Dans la tragédie nouvelle toutes ces scènes langoureuses et ridicules ont été supprimées ; et Arbace loin de débiter des fadeurs à sa maîtresse, ne lui parle même pas dans tout le cours de la pièce, et ne paraît devant elle qu’au dénouement. L’auteur a justement pressenti que l’amour mis en action serait froid et sans couleur dans un sujet où un père, criminel par excès de tendresse pour son fils, se voit forcé de juger et de condamner à la mort ce même fils innocent et adoré.


11) Page 35, vers 9.

Fort de mon innocence, amis ! je ne crains rien.
Allez, et réprimez une ardeur téméraire.

Quel intérêt répand sur Arbace sa soumission aux ordres injustes de son roi, qui au lieu d’accorder le triomphe qu’il a promis au vainqueur des Parthes, le sépare de ses compagnons d’armes et lui interdit sa présence et celle de ses deux enfants, dont l’un est son ami et l’autre sa maîtresse ! Dans les autres tragédies, non seulement Arbace ne sauve point la Perse ; mais encore il n’est qu’un instrument passif de l’ambition démesurée de son père, ambition qui est alors dépourvue de raison et d’intérêt, puisque Arbace n’a rien fait pour mériter le trône où Artaban veut le faire monter.


12) Page 39, vers 1.

Du trône ! un tel honneur est par toi refusé ! —
J’ai puni le premier qui me l’a proposé.

Rien de plus éminemment tragique et de plus intéressant, que ce contraste entre un père emporté par le désir ardent de venger son fils d’une cruelle injustice, et de le placer sur le trône, dont il le croit seul digne par son héroïsme, et ce même fils, modèle de vertu, qui aime mieux mourir innocent, que de trahir son roi injuste ou de perdre son père coupable ; aussi cette scène entièrement neuve, et qui produit toujours un grand effet, est-elle une des causes principales de la différence qui existe entre le succès de la tragédie nouvelle et celui de tous les ouvrages joués antérieurement.


13) Page 40, vers 16.

Dévorer ses affronts, et, vainqueur de Tygrane,
Renoncer, sans se plaindre, au triomphe… à Mandane !

Ce trait envenimé qu’Artaban lance et enfonce si adroitement dans le cœur de son fils, qui, sourd à l’ambition, devient rebelle par amour, caractérise sa profonde dissimulation, motive son audace, et justifie en quelque sorte sa conduite. Ce hardi conspirateur, qui, en parlant de son fils, s’écrie :

Ta vertu m’alarmait, ton amour m’encourage !

peut raisonnablement tout attendre d’un amant irrité, qui, malgré l’ordre exprès du roi, n’hésite point à revoir Mandane. Ce motif est suffisant pour déterminer Artaban à porter aussitôt les premiers coups.

14) Page 46, vers 4.

....Regarde cette épée. —
Ciel ! — La reconnais-tu ?

Il est d’usage, chez les despotes de l’Orient, que l’épée royale reste suspendue au chevet du lit du roi ; tout sujet, tout prince même admis devant le monarque, entre désarmé dans sa secrette demeure. C’est donc l’épe de Xercès qu’Artaban a saisie pour le frapper et qu’il présente à son fils encore teinte de sang.
Quelques critiques ont paru étonnés qu’Artaban sortît de l’appartement du roi avec cette épée, sans être aperçu par les gardes ; en faisant cette observation, ils ont sans doute oublié qu’Artaban avait seul le droit d’entrer dans la secrète demeure du roi, et que ses gardes (qui n’y entraient jamais, sans être appelés), étaient vendus à Artaban, comme il l’annonce lui-même dès le deuxième vers de la première scène du premier acte,

Le monarque repose et sa garde est à moi.

Ils auraient dû voir que le lieu où se passe la scène, est la salle du conseil où les gardes ne sont pas ; ils auraient dû remarquer qu’Artaban profite de l’absence de Cléonide qui est allé, par ordre du roi, au devant d’Arbace. Ils ne doivent donc pas être étonnés qu’Artaban ait pu entrer chez le roi, le tuer et sortir de chez lui sans être vu.


15) Page 47, vers 4.

Voilà de ta grandeur le garant infaillible ! —
De votre amour pour moi, voilà le gage horrible. —
On vient !… donne !…

Combien cette situation terrible, où le père veut reprendre de la main de son fils le glaive sanglant, et où le fils emporte ce même glaive pour sauver son père coupable, est préférable à celle de Métastase ! Dans l’opéra italien, Artaban qui, contre l’usage reçu en Perse, est entré armé dans l’appartement du roi, et en sort également armé, dit à Arbace :

« Mon fils ! donne-moi ton épée. — Prends la mienne. »

ou bien en d’autres termes :

« Mon fils ! prête-moi ton innocence. — Charge-toi de mon crime »

Cette lâcheté si contraire au grand courage d’Artaban et à son amour extrême pour Arbace, eût été sifflée à Paris du haut en bas de la même salle, où l’on a applaudi unanimement à l’audace d’Artaban, qui veut reprendre des mains de son fils, le fer accusateur de son crime, et à la générosité d’Arbace, qui l’emporte pour sauver son père. C’était-là le principal écueil que M. Delrieu a très heureusement évité.


16) Page 48, vers 7.

C’est toi ?… Xercès n’est plus. — Artaxerce respire !

Artaban qui avait fait marcher de pair l’assassinat de Xercès et le meurtre d’Artaxerce, verrait, par ce seul mot de Mégabise, toutes ses espérances évanouies, s’il ne trouvait soudain dans son génie et dans son intrépidité une ressource prête pour sortir victorieux de l’abîme où l’a plongé son premier forfait. Voilà ce qui imprime un mouvement si rapide aux situations qui se succèdent et aux évènements pressés qui se déroulent si naturellement jusqu’à la catastrophe à la fois attachante, terrible et imprévue ; voilà ce qui forme le principal nœud de la tragédie nouvelle, qui eût été terminée-là, si le bras de Mégabise eût été aussi sûr que celui d’Artaban.
17) Page 53, vers 5.

Quand mon père n’est plus, l’assassin vit encore ! —
Il est chargé de fers. — Son nom ? — Arbace. — Dieux !

Quelle situation pour Artaxerce et Mandane, qui voient l’un son ami, l’autre son amant accusé du meurtre de leur père ! Quel supplice pour Artaban, qui seul coupable du crime imputé à son fils, ne peut ni ne doit repousser l’accusation. Cette scène et la dernière de cet acte, qui en découle si naturellement, sont d’un ordre supérieur.


18) Page 56, vers 3.

Tout parle contre lui. — La trompeuse apparence
Coûta plus d’une fois la vie à l’innocence…

On s’est plaint que Mandane fait trop éclater ses sentiments pour Arbace, en refusant de le croire coupable, et en demandant sa vie ; on a pensé qu’elle ne s’occupait pas assez de son père mort, et qu’elle songeait trop à celui que l’on accuse de l’avoir assassiné. Nous pensons (avec le journal de l’Empire et autres) que cette critique est fausse. Mandane ne peut rien pour son père mort, et tâche de sauver un accusé, dont le zèle pour ses rois, et dont le salut même d’Artaxerce

(J’en atteste ta vie ; Arbace est innocent.)

démontrent à ses yeux la vertu (amour à part.) Il n’y a rien dans cette conduite qui soit contre la nature et les bienséances.


19) Page 65, vers 3.

Oui, mon père ! Jamais, d’un attentat si noir ;
Arbace ne sera délateur ni complice ;
Je garde l’innocence et je cours au supplice !

On ne saurait donner trop d’éloges à M. Damas, qui dans le rôle d’Arbace, le plus intéressant de la pièce, a déployé tant de chaleur, d’abandon, de sensibilité et d’énergie. Il s’est particulièrement surpassé dans cette scène, où la fidélité et la rébellion, la vertu et le crime se disputent si vivement la victoire ; et dans laquelle Arbace a tout à la fois à triompher des fureurs d’un ambitieux, des séductions d’un conspirateur et de l’autorité d’un père.
20) Page 67, vers 6.

Soldats ! accourez tous et rendez-moi mes fers ! —
Ils n’obéiront point à ce cri téméraire. —
On vient !… silence !… — Ingrat ! sortez !. — Adieu !… mon père !

Ces derniers mots d’Arbace : silence ! — adieu ! mon père ! sont des plus heureux et des plus fortement en situation, que l’on ait jamais entendus au théâtre : qui ne serait touché de cette noble inquiétude d’Arbace, qui, à la vue des gardes prêts à l’entraîner, ne songe qu’au danger de son père, et craint qu’un seul mot ne trahisse le crime qu’il abhorre et qu’il va expier pour sauver le coupable !


21) Page 71, vers 2.

Le porter en triomphe, Enfin mettre à la place
Du dernier de nos rois le premier de ma race.

L’inébranlable constance, si bien exprimée dans ces vers d’Horace :

Si fractus illabatur orbis,
Impavidum ferient ruinæ.

peut justement s’appliquer au grand caractère d’Artaban, qui dans l’abîme où il est plongé ne s’effraie de rien, et espère encore tourner au profit de son ambition le jugement que lui-même va prononcer sur son fils ; il croit voir dans l’échafaud le premier degré de son trône. Voilà ce qui motive et justifie la situation la plus hasardeuse. C’était sans doute le comble de la hardiesse de présenter, sur le premier théâtre du monde, au parterre le plus éclairé, un père qui condamne à la mort son fils, tandis que ce père sait seul que son fils est innocent, et tandis que ce fils sait seul que son père est coupable. (Journal de l’Empire.)


22) Page 77, vers 6.

Je n’ose le punir et je ne puis l’absoudre !

Artaxerce qui, comme sa sœur, aime encore à croire à l’innocence d’Arbace, n’ose le juger, et, se flattant de le sauver, remet son sort entre les mains d’Artaban ; quelle est sa surprise lorsqu’il entend ce même Artaban condamner son propre fils ! En voyant dans la scène du jugement, Artaban, Arbace, Artaxerce, on ne sait lequel des trois est le plus à plaindre. Que cette scène était difficile !
23) Page 90, vers 5.

J’y tombe… je me tais !… De ce cruel silence
Qu’attends-tu donc ? — La mort. —

Zaïre, taisant à Orosmane le secret que lui a confié son frère, Léontine cachant à Phocas le véritable Héraclius, Hippolite innocent, souffrant les imprécations de Thésée et s’exilant sans découvrir le crime de sa marâtre, inspirent sans doute un grand intérêt ; mais cet intérêt est-il plus puissant que celui qu’inspire l’héroïque silence d’un fils vertueux qui se dévoue à la mort pour sauver un père coupable, et prend ainsi sur lui un crime dont il a horreur ?


24) Page 93, vers 3.

Va ! je saurai défendre un fils digne de moi !
Arbace ! il est un Dieu qui veille encor sur toi.

La manière dont M. Saint-Prix dit ce dernier vers, en quittant le fauteuil sur lequel il a prononcé la sentence fatale, est à la fois touchante, terrible et sublime. Nous pensons que ce célèbre acteur, si vrai, si étonnant dans la création de ses rôles (témoins Caïn, dans la Mort d’Abel, et le Cimbre dans Marius à Minturne), s’est encore surpassé dans la composition et l’exécution du rôle très difficile d’Artaban, personnage d’une si grande tenue, toujours en scène, toujours en des situations terribles et pourtant opposées, forcé d’affecter le calme, et de cacher sous des dehors paisibles les passions qui dévorent son ame. Aussi en a-t-il fait un des beaux rôles qui soient au théâtre. (Journal de l’Empire.)


25) Page 94, vers 7.

C’en est fait : Il est temps de subir mon arrêt.
Dans l’éternelle nuit j’emporte mon secret !

Cette sortie d’Arbace, à la fin du quatrième acte, laisse les spectateurs dans une cruelle incertitude, qui porte à leur comble la curiosité et l’intérêt. Le vertueux Arbace périra-t-il ? Artaban pourra-t-il encore le sauver ? S’il le sauve, le placera-t-il sur le trône, en faisant périr Artaxerce ? Quelle sera la victime ? Voilà ce que tous les spectateurs se demandent jusqu’au dénouement qui les satisfait et qu’ils n’ont pu prévoir ; voilà ce qui produit le grand intérêt du cinquième acte. Ce que l’on désire ardemment connaître, et ce que l’on ne peut prévoir, est toujours éminemment tragique.


26) Page 100, vers 1.

Le trône, je le hais ; le jour, je le déteste.
Me rejoindre à mon fils, est l’espoir qui me reste.

Artaban qui a constamment imprimé la terreur, inspire ici la pitié ; la certitude qu’il croit avoir de la mort de son fils, est pour lui un supplice affreux qui le punit de son vivant. Il est accablé et ne sort de son abattement que pour se livrer à l’espoir seul qui lui reste : la vengeance. C’est le dernier trait de caractère. Il a été père dans sa douleur, il redevient conspirateur dans son désespoir.

Ceci motive et justifie en quelque sorte le poison qu’il fait préparer par un mage, et qui doit être présenté à Artaxerce, dans la coupe sacrée, au moment où, suivant un usage antique, il viendra faire à son peuple le serment de le rendre heureux.

L’effet que produit toujours cette scène, naît de l’erreur que les spectateurs partagent avec Artaban. Ils sont de moitié dans la douleur qu’il éprouve, parce que, trompés comme lui, ils pensent que le vertueux Arbace a été tué dans la prison. Cette double erreur n’existe point dans Métastase, et l’intérêt de son dernier acte en est singulièrement affaibli. Cet acte dans l’opéra italien s’ouvre dans la prison d’Arbace, où Artaxerce descend pour sauver son ami et le sauve en effet. Cette scène est très belle, mais on peut lui appliquer le précepte d’Horace : « Præclara quidem, sed non erat hic locus ». L’auteur a donc fait sagement de la supprimer et de lui substituer celle où Mégabise vient annoncer à Artaban et au public la prétendue mort d’Arbace, que le public et Artaban croient véritable. Qu’en arrive-t-il ? dans Métastase, tout le monde sait qu’Arbace respire ; par conséquent plus de pitié, plus de surprise, plus d’intérêt. Dans la tragédie nouvelle, tout le monde croit Arbace mort, la pitié pour Arbace et pour Artaban lui-même, excite le plus puissant intérêt, auquel succède bientôt la plus grande surprise, au moment où Artaxerce vient annoncer à Artaban, irrité de la mort d’Arbace, que ce héros respire et que c’est lui-même (Artaxerce) qui l’a sauvé.
27) Page 105, vers 3.

Arbace, dites-vous ? — Le perfide ! — Il n’est plus ? —
Il respire ! ....................
...........................
C’est moi qui l’ai sauvé !…

Cette générosité d’Artaxerce est un coup de foudre pour Artaban. Que fera-t-il de la coupe empoisonnée, qu’il destinait au prétendu meurtrier d’Arbace ? Osera-t-il encore la présenter au libérateur de son fils ? L’intérêt est au comble.


28) Page 109, vers 14.

Arbace ! prouve enfin que tu n’es point coupable ;
Prends de ma main la coupe au crime redoutable.

Que d’intérêts à la fois dans cette coupe ! qui l’a empoisonnée ? le père… pour qui ? pour le roi… qui la tient dans sa main ? le fils… devant qui ? devant son ami, qui par-là veut le sauver, et devant son père, qui par-là voulait le venger… lequel des trois boira le poison ?… c’est ce que tous les spectateurs se demandent ; c’est ce doute alarmant qui répand sur cette situation le charme irrésistible qui provoque les applaudissements unanimes, au moment où Artaban épouvanté du danger de son fils, se jette sur la coupe fatale, l’arraque de la main de son fils, et avale d’un seul trait le poison.

Quelques critiques trop sévères ont cru voir dans cette situation (une des plus fortes qu’il y ait au théâtre), l’imitation du dénouement de Rodogune. Il suffira de faire le plus léger rapprochement entre ces deux situations, pour démontrer l’erreur de ces critiques. Dans Rodogune, qui a préparé le poison ? Cléopâtre… pour qui ? pour son fils… Pourquoi Cléopâtre le boit-elle ? pour tromper son fils et l’empoisonner avec elle… Certes, il ne faut pas une grande pénétration pour voir que dans Artaxerce les motifs et la situation sont diamétralement opposés, puisqu’Artaban n’a empoisonné la coupe que pour venger son fils, et ne la boit que pour le sauver. Je ne parle pas de l’intention d’Artaxerce, qui ne présente le poison à Arbace, que pour rendre plus éclatante sa justification. On voit assez combien cette intention s’éloigne et diffère de celle de Cléopâtre. Il n’est donc pas douteux que la coupe fatale préparée pour Artaxerce, passant de la main de ce prince sur les lèvres d’Arbace, et enfin devenant la punition d’Artaban, ne soit une idée neuve que M. Delrieu ne doit qu’à lui-même et qui honore son talent. (Journal du Publiciste.)


Nous ne publions ces notes que pour faire connaître aux étrangers la justice rendue à cette tragédie par MM. les gens de lettres, qui ne se sont montrés ni envieux, ni injustes, et l’unanimité des éloges que lui ont justement donnés les journaux, qui jusque-là avaient souvent manifesté des avis opposés, même pour des ouvrages bien accueillis du public. Nous avouerons même que ces notes ne sont que le résumé exact et succint de tout ce que nous avons entendu dans le monde, et de ce que nous avons lu dans tous les journaux.
fin.