Astronomie populaire (Arago)/IX/04

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 354-361).

CHAPITRE IV

intensités comparatives des étoiles de différentes
grandeurs


Pour déterminer les intensités comparatives moyennes et individuelles des étoiles de différentes grandeurs, on a eu recours à plusieurs moyens ; les résultats ne sont pas aussi concordants qu’on pourrait le désirer. Malgré leur dissemblance quelquefois énorme, je les inscrirai ici avec l’indication succincte des méthodes qui les ont fournies, afin de montrer aux jeunes astronomes et même aux simples amateurs, une lacune de la science qui appelle de nouvelles recherches, et qui promet de très-curieuses conséquences.

William Herschel essaya d’introduire des nombres dans la classification des divers groupes d’étoiles dont le firmament se compose ; de déterminer le rapport qui existe entre l’intensité d’une étoile de première grandeur et l’intensité d’une étoile de seconde, de troisième etc. Voici comment il opéra :

Deux télescopes de sept pieds anglais (2m, 13), exactement pareils et qui donnaient conséquemment deux images également intenses des étoiles de même état, furent placés l’un à côté de l’autre, de telle sorte que l’observateur pouvait, en une seconde de temps environ, se transporter de l’oculaire du premier télescope à l’oculaire du second. Des ouvertures circulaires en carton, de différents diamètres, réduisaient graduellement, à volonté et suivant des rapports connus, la quantité de lumière qui formait, dans un des deux télescopes, l’image de la plus brillante des deux étoiles qu’on voulait comparer. On s’arrêtait, en opérant cette réduction, au moment où l’image ainsi affaiblie paraissait égale à l’image sans affaiblissement de la seconde étoile vue dans l’autre télescope. Cette échelle de réduction ne descendait jamais au-dessous du quart. On n’était pas obligé d’employer des ouvertures qui, à raison de leur petitesse, auraient trop changé par voie de diffraction les dimensions de l’image. Seulement, quand il fallait opérer sur des étoiles dont l’une était en intensité moins du quart de l’autre, au lieu de faire une comparaison directe, on passait, comme repère, par des étoiles d’un éclat intermédiaire.

Ce procédé pèche en deux points essentiels.

L’image de l’étoile vue dans le télescope d’une ouverture réduite n’est pas égale en dimension à l’image fournie par l’instrument dont l’ouverture n’a reçu aucune modification. En second lieu, les images des deux étoiles ne se voyant pas simultanément, ne peuvent pas être égalisées avec une grande précision. Toutefois, comme un observateur tel qu’Herschel a dû certainement tirer bon parti, même d’une méthode imparfaite, je rapporterai ici ses principaux résultats.

α d’Andromède, la Polaire, γ de la Grande Ourse, δ de Cassiopée (toutes étoiles de seconde grandeur), sont exactement le quart d’Arcturus.

Si donc on réduisait au quart la lumière d’Arcturus, étoile de première grandeur, on obtiendrait une étoile de seconde grandeur.

α d’Andromède est égal à quatre fois μ de Pégase. Arcturus, égal à son tour à quatre fois α d’Andromède, est conséquemment égal à seize fois μ de Pégase.

μ de Pégase est porté dans les catalogues comme de quatrième grandeur.

Arcturus, de première grandeur, si l’on réduisait sa lumière au seizième, deviendrait une étoile de quatrième grandeur. Le quart de μ de Pégase, ou le soixante-quatrième d’Arcturus, est égal à q de Pégase, marqué dans les catalogues comme de cinquième à sixième grandeur.

La lumière d’Arcturus, réduite au soixante-quatrième, serait encore grandement visible à l’œil nu, puisque son intensité, restée égale à celle de q de Pégase, n’aurait pas tout à fait baissé jusqu’à la sixième grandeur.

En prenant pour point de départ non plus Arcturus, mais la Chèvre, qui appartient aussi au premier ordre de grandeur des étoiles, Herschel trouva :

β du Taureau
β du Cocher
de 2e grandeur, égales au de la Chèvre
ζ du Taureau
ι du Cocher
de 4e grandeur, égales à de la Chèvre
e de Persée
H des Gémaux
de 5e à 6e grandeur, égales à de la Chèvre

d des Gémaux, de 6e grandeur, égales à de la Chèvre

La lumière de la Chèvre, réduite au centième, serait donc visible à l’œil nu.

Wéga de la Lyre donne précisément les mêmes résultats que la Chèvre.

En prenant pour terme de comparaison la lumière de Sirius, on trouve :

La lumière de la Chèvre égale aux ou à un peu moins de la moitié de celle de Sirius.

Procyon 
β Taureau 
ι du Cocher 
Η des Gémaux 
g des Gémaux 

Prenant une sorte de moyenne entre ces divers résultats, on trouve que, dans leur ensemble, les étoiles de première grandeur pourraient être réduites au 144 de leur éclat « sans cesser d’être visibles à l’œil nu, sans être réduites au-dessous de la sixième grandeur. »

Michell pensait que les étoiles dont la lumière est la plus blanche sont les plus brillantes, abstraction faite de leur grandeur. Il admettait que la lumière de certaines étoiles est plus blanche que celle du soleil, mais sans dire sur quel fondement il s’appuyait pour soutenir cette opinion.

On trouve dans les Éphémérides de Bode, de 1789, une note de Köhler, conçue à peu près en ces termes :

« J’ai inventé un instrument qui donne la mesure des intensités lumineuses des différentes étoiles. Je place devant l’objectif achromatique d’une lunette de 49 centimètres un appareil qui sert à changer son ouverture ; c’est un diaphragme carré dont on peut faire varier la diagonale depuis une longueur de 27 millimètres divisée en mille parties, jusqu’à 0. Avec l’ouverture entière de mille parties, je vois les étoiles de neuvième et même de dixième grandeur ; ces étoiles disparaissent, et successivement celles des ordres supérieurs, à mesure que je rétrécis l’ouverture. J’ai comparé le 23 avril 1786, avec cet instrument, Arcturus et quelques étoiles qui en sont voisines. Voici le résultat de ces comparaisons :

Nombre des parties comprises
dans la diagonale du carré.
Arcturus disparaît à 
12
Régulus à 
29
β du Lion à 
39
η du Bouvier à 
51
La Chevelure de Bérénice à 
175

« Cet instrument donne des différences assez grandes pour mériter le nom de photomètre. »

Cette dernière remarque de Kôhler peut être acceptée, pourvu que l’on entende seulement déduire de son instrument l’ordre de grandeur des étoiles. Si l’on voulait passer au rapport numérique de ces grandeurs d’après celui des surfaces des portions de l’objectif que le diaphragme laisse à découvert, on se tromperait probablement beaucoup, à cause des influences que les bords de ce diaphragme exercent sur la marche des rayons et sur les diamètres des images.

Pour déterminer les intensités comparatives de différentes étoiles, on a imaginé divers moyens de réduire leurs lumières jusqu’à ce qu’elles ne produisissent plus d’effet sur la vue ; la réduction devra être évidemment d’autant plus considérable que l’étoile est primitivement plus brillante. C’est, comme on voit, le procédé de Köhler ; mais on l’a débarrassé des causes d’erreur que nous avons signalées.

M. Xavier de Maistre proposait d’employer, pour opérer la réduction en question, deux prismes, le premier de verre bleu, le second de verre blanc, ayant le même angle et opposés l’un à l’autre ; de sorte que la lumière qui traversait le parallélépipède résultant n’éprouvait pas au total de décomposition prismatique sensible. Le biseau du prisme bleu était si mince, qu’il transmettait la lumière des plus petites étoiles, tandis que sur la base opposée à ce biseau, la lumière des plus brillants de ces astres était totalement éteinte. Un pareil instrument serait sujet à bien des difficultés, parmi lesquelles je me contenterai d’en citer une seule, l’impossibilité de l’appliquer à une lunette d’une certaine ouverture avec la chance de calculer l’absorption correspondante. Il est clair, en effet, qu’en le plaçant devant l’objectif, les rayons qui concourraient à la formation de l’image auraient traversé des épaisseurs de verre très-dissemblables.

J’ai fait construire un appareil à l’aide duquel, en opérant sur l’image polarisée d’une étoile, on arrive à atténuer son intensité par degrés exactement calculables d’après une loi que j’ai démontrée. Pendant les longs travaux que j’ai effectués pour arriver à la solution de la question que je m’étais posée, ma vue s’est affaiblie, et j’ai dû prier M. Laugier de soumettre mon appareil a une expérience décisive. On trouvera dans mes Mémoires sur la polarisation les détails de ma méthode ; je ne ferai que transcrire ici les résultats obtenus par M. Laugier.

Voici le tableau des intensités relatives des étoiles qu’on calcule d’après ses expériences :

Sirius 
1 000
α de la Lyre 
617
α de l’Aigle 
450
Procyon 
445
Rigel 
439
α de la Vierge 
310
α d’Orion 
411
Aldebaran 
220
γ d’Orion 
199
ε d’Orion 
88
γ de l’Aigle 
80
π d’Orion 
70
γ du Cygne 
56
β de l’Aigle 
34
ζ du Cygne 
31

John Herschel regarde Sirius comme égal à 324 fois une étoile de sixième grandeur.

Dans ses recherches photométriques, Steinhel est arrivé aux résultats suivants pour la quantité de lumière dont brillent respectivement les étoiles de différentes grandeurs :

Sixième 
10
Cinquième 
28
Quatrième 
80
Troisième 
227
Deuxième 
642
Première 
1 819

M. Seidel, en se servant du photomètre de Steinhel, a trouvé les rapports suivants entre les intensités de différentes étoiles, en prenant Wéga ou α de la Lyre pour terme de comparaison :

Sirius 
513
Rigel 
130
Wéga 
100
Arcturus 
84
La Chèvre 
83
Procyon 
71
L’Épi ou α de la Vierge 
49
Ataïr 
40
Aldebaran 
36
Denebola 
35
Régulus 
34
Pollux 
30

Beteigeuze, ou α d’Orion, manque dans ce tableau, parce que c’est une étoile d’éclat variable.

Ces résultats, comme on voit, ne sont pas extrêmement différents de ceux obtenus par M. Laugier.